Moins de 5 % de la population indienne ont reçu aujourd’hui une double dose de vaccin contre le SARS COV2. On peut évoquer plusieurs raisons à cette lenteur : la taille de la population, des difficultés logistiques (problème de conservation des vaccins au froid, accès difficile de certaines zones rurales…), le manque de professionnels de santé, des préjugés culturels et religieux et une pénurie de vaccins.
Manquer de vaccins, comment est-ce possible dans un pays leader dans le domaine ? Le petit journal a cherché à comprendre les raisons de ce paradoxe en s’intéressant à l’organisation du secteur pharmaceutique et l’évolution récente de la politique de santé indienne.
L’Inde figure parmi les leaders mondiaux pour la production de vaccins et de médicaments génériques
L’inde produit 60 % des vaccins et 20 % de tous les médicaments non brevetés à l’échelle mondiale. La moitié de la production indienne est exportée, principalement vers les Etats Unis pour les médicaments génériques. Les autres principales destinations sont le Royaume Uni, l’Afrique du Sud, la Russie et le Nigéria.
Le secteur pharmaceutique est porté par plus de 3000 sociétés et environ 10500 unités de fabrication. Beaucoup sont de taille modeste mais les quatre plus grandes entreprises du pays réalisent 30 % du chiffre d’affaires global. Parmi ces grosses entreprises, on peut citer Sun Pharma, CIPLA, Lupin, Aurobindo Pharma (rien à voir avec Sri Aurobindo mais l’entreprise a créé son premier site à Pondichéry). On connait également le fameux SII (Serum Institute of India) qui produit le vaccin Covishield et la société Bharat Biotech qui produit l’autre vaccin national, le Covaxin.
Un tiers de la production pharmaceutique indienne est localisée dans le Gujarat, mais aussi dans dans le Telangana et l'Andhra Pradesh. La ville d’Hyderabad dans le Telangana est considérée comme le centre de la biotechnologie indienne. Chennai accueille plusieurs entreprises pharmaceutiques.
Un secteur pharmaceutique développé dès les années soixante-dix
Au début des années soixante-dix, les dirigeants indiens cherchent à développer une production de médicaments bon marché pour améliorer la santé de la population à faible revenu, non seulement indienne mais aussi dans le monde entier.
La « Patents Act », loi sur la propriété des brevets adoptée alors, autorise la copie des médicaments. Les formules pharmaceutiques peuvent ainsi être reproduites sans brevet dans la mesure où on modifie ou invente de nouvelles façons de les produire. Pas besoin de longues et couteuses années de recherche.
La production pharmaceutique indienne se développe rapidement. Dès 1980, elle dépasse la consommation intérieure. Dans les années quatre-vingt-dix, le gouvernement indien opte pour une large ouverture aux capitaux étrangers, entrainant alors la disparition du secteur public
Des faiblesses structurelles à dépasser
Aujourd’hui, plusieurs signaux montrent que l’industrie pharmaceutique indienne doit encore travailler sur des faiblesses structurelles :
Tout d’abord, elle ne maitrise pas toute la chaine de fabrication et importe massivement les produits actifs de base, principalement depuis la Chine. Les tensions entre les deux pays ont, à certains moments, fragilisé l’approvisionnement.
Par ailleurs, le secteur pharmaceutique indien souffre d’un manque d’investissement dans la recherche et développement. Ses sociétés dépensent en moyenne 3 % de leur chiffre d’affaires en recherche alors que les grandes entreprises américaines et européennes y consacrent entre 8 et 15 %. Des partenariats et de la sous traitance existent avec les grandes multinationales pharmaceutiques en particulier pour réaliser pour leur compte les essais cliniques.
Enfin, l’Inde reste malheureusement parmi les champions de la contrefaçon (entre 20 et 33 % des médicaments contrefaits sont made in India)…
Les vaccins COVID indiens rapidement mis au point et dédiés à l’exportation
Forte de son expérience dans la production de vaccins, l’industrie pharmaceutique indienne a rapidement mis au point deux vaccins contre le SARS COV2 : COVISHIELD sur le modèle Astra Zeneca (vaccin à adénovirus) produit par le Serum Institute of India, approuvé par l'OMS et COVAXIN (vaccin à virus inactivé) produit par Bharat Biotech en Inde mais pas encore approuvé par l'OMS ndlr.
Par ailleurs, le vaccin Sputnik V a déjà été reçu et injecté depuis début juin. Le vaccin Moderna vient d'être approuvé par l'Inde. D'autre part, d'autres vaccins sont en cours d'essais et bientôt de production, comme par exemple Novavax, développé par la societe americaine Novavax et dont Serum Institute of India va démarrer la production. Enfin, un nouveau vaccin local développé par Zydus qui vient de demander l'approbation par le gouvernement indien.
Bien que ces vaccins ne soient pas utilisés en Europe, une très large partie de leur production était exportée jusqu’au printemps 2021. Le COVISHIELD alimentait en particulier le dispositif COVAX, mis en place en 2020 sous l’égide de l’OMS et la GAVI (Alliance pour les vaccins et l’immunisation). Basé sur la solidarité internationale, COVAX vise à fournir des vaccins à tous les pays quel que soit leur niveau de revenu et permettre un accès gratuit aux populations les plus défavorisées.
En avril 2021, face à la flambée épidémique, le gouvernement indien bloquait les exportations de COVISHIELD. Cependant, après quelques jours de très forte activité, la mesure trouvait ses limites et la vaccination dégringolait de moitié faute de vaccins. Pour vacciner tous les adultes d’ici la fin 2021 comme le premier ministre l’a promis, il faudrait 1,8 milliards de doses. Les capacités actuelles des deux sociétés indiennes sont largement insuffisantes pour atteindre ce chiffre. L’équation est d’autant plus délicate que le Serum Institute of India devra en parallèle honorer les contrats de vente signés avec de nombreux pays et le dispositif COVAX. En particulier, l’Afrique attend les doses de vaccins promises.
Des discussions sont en cours entre les sociétés productrices et le gouvernement indien pour multiplier les capacités de production. L’Inde a également négocié avec la Russie pour recevoir des doses du vaccin Spoutnik. L’enjeu est capital car l’OMS le rappelle régulièrement : l’épidémie ne pourra être contrôlée qu’avec une vaccination massive.