Le partage des ressources halieutiques et leur bonne gestion sont un point de friction entre de nombreux états du monde. On peut évoquer le conflit actuel entre la France et le Royaume Uni à propos de la pêche en Manche. On peut également se référer aux évènements récents qui ont causé la mort d’un jeune pêcheur tamoul, originaire de Rameswaram, l'île rattachée au continent par le pont Indira Gandhi et qui fait face à la pointe nord du Sri-Lanka.
Quelle est l’origine de ce conflit ? Plus globalement, quelle place tient la pêche dans l’économie indienne et plus particulièrement au Tamil Nadu ?
La mort du jeune pêcheur indien
Les tensions entre les pêcheurs indiens et ceux du Sri-Lanka datent de plus de dix ans. En ce mois d’octobre 2021, les esprits se sont échauffés avec les difficultés économiques dues à la raréfaction du poisson et la hausse des charges de carburant.
Au début du mois, le syndicat des pêcheurs sri-lankais remettait aux autorités indiennes une lettre de doléance, se plaignant du non-respect des zones de pêche par les professionnels indiens.
Quelques jours plus tard, la marine sri-lankaise saisissait deux bateaux indiens et arrêtait vingt-trois pêcheurs, en flagrant délit de pêche dans les eaux territoriales du Sri-Lanka. Dans la nuit du 18 octobre, la collision entre un chalutier indien et un bâtiment de la marine sri-lankaise causait la mort d‘un pêcheur indien de 30 ans.
La population de Kottapattinam d’où était parti le bateau a arrêté le travail quelques jours pour manifester son indignation et demander que la famille du défunt soit indemnisée.
Le conflit entre les pêcheurs indiens et sri-lankais
Pendant des siècles, les communautés de pêcheurs indiens et sri-lankais ont pêché dans les mêmes eaux sans problème. La dégradation des relations est venue avec la chute des ressources halieutiques dans le détroit de Palk, cet étroit chenal séparant l’état indien de la péninsule de Jaffna, au nord du Sri-Lanka. Le développement de la pêche au chalut de fond côté indien a fortement dégradé le milieu et appauvri le stock de poissons. L’équilibre est rompu car, du côté sri-lankais, ce type de pêche est interdit et les pêcheurs ne disposent que d’équipements rudimentaires.
En 1974, des négociations entre les deux pays ont attribué aux pêcheurs sri-lankais l’île inhabitée de Katchatheevu, en plein milieu du détroit. Les Indiens ne peuvent plus y pêcher. Ils ont pourtant continué à le faire jusqu’en 2010, sans aucune contrainte car les autorités sri-lankaises, accaparées par la guerre civile, ne contrôlaient pas. Depuis, la marine sri-lankaise patrouille dans ces eaux poissonneuses.
En moins de dix ans, l’Inde est devenu le troisième producteur mondial de poissons et de crustacés
L’Inde occupe aujourd’hui le troisième rang mondial en matière de production halieutique (tout confondu, captures et aquaculture), loin derrière la Chine et après l’Indonésie.
Le secteur a connu une croissance de plus de 10 % par an depuis 2014.
Longtemps limitée à l’autoconsommation et au marché local, la pêche s’ouvre aujourd’hui au marché national et à l’exportation (10 % des exportations totales indiennes). C’est dû en particulier à la modernisation des techniques et de la flottille ainsi qu’à la construction de ports pour la pêche hauturière.
L’activité halieutique de l’Inde présente une double particularité : l’aquaculture produit plus que la pêche de capture et la pêche en eau douce est supérieure en volume à celle des eaux saumâtres et marines (l’eau douce représente 55 % de la production totale de poissons). Ainsi, l’Inde est devenue le second plus grand pays aquacole au monde après la Chine. La production aquacole porte principalement sur l’élevage de carpes, de poissons chat et de crevettes (produites à 90 % dans le golfe du Bengale).
L’activité de pêche dans le Tamil Nadu
Le Tamil Nadu est le cinquième état en production halieutique, toutes espèces confondues, derrière par ordre chronologique l’Andhra Pradesh, le Bengale Occidental, le Gujarat et le Kerala.
Le Tamil Nadu combine tous les aspects du secteur : élevages et captures en eau douce dans les rivières, étangs, canaux.. ; pêche maritime traditionnelle et pêche au chalutier.
Sans rivaliser avec celle du Gujarat qui représente un tiers des chaluts indiens, la flottille des chalutiers tamouls est de plus en plus importante. A titre d’exemple, la côte entre Kottaipatinam et Pudukottai compte plus de 400 navires de ce type. On considère qu’au moins vingt-quatre familles dépendent de chaque chalutier, entre les pêcheurs à bord et le personnel à terre pour la réception des prises et l’entretien.
En parallèle, la pêche maritime traditionnelle reste très importante. La côte est ponctuée de villages de pêcheurs, particulièrement pauvres et marginalisés : 60% vivraient en dessous du seuil de pauvreté.
Leurs bateaux, tout en couleurs, ont conservé la forme allongée des Kattumaram (nom tamoul qui signifie bois attaché), anciens bateaux traditionnels construits avec deux ou trois rondins de bois léger. Aujourd’hui on désigne par « fibre teppa », les coques en fibre de verre dotées d’un moteur hors-bord qui partent chaque jour pour la pêche côtière. Malgré la motorisation, la production de cette pêche côtière stagne depuis plusieurs années, révélant l’appauvrissement des réserves de poissons.
Katchatheevu, l'île de la réconciliation ?
L'île inhabitée au plein milieu du détroit de Palk est dotée d’un sanctuaire dédié à Saint Antoine de Padoue, le patron des marins. Une église catholique a été construite en 1905 et accueille les pêcheurs tamouls d’Inde et du Sri Lanka pour une fête commune une fois par an. Le pèlerinage a été suspendu pendant la guerre civile sri-lankaise. Il a repris au début des années 2010 et réunit plus de 4000 personnes.
Souhaitons qu’il contribue à la réconciliation entre les communautés de pêcheurs des deux pays.