Il n'est pas difficile de trouver des articles étudiant le confinement sous toutes ses coutures et imposé par l'ennemi invisible bien nommé le covid-19. Politiciens, économistes, scientifiques, citoyens, tous, de là où ils sont, nous font voyager d'une opinion à une autre, et nous bringuebalent, d'une prévision à une autre. Le coronavirus défie insolemment les frontières de toute nature. Il s'applique à n'importe quel secteur d'activité, à n'importe quel règne du monde vivant et à n'importe quelle latitude. Il est doué d'universalité. Quel que soit l'angle choisi : loisirs, économie, social, scolaire etc, tous les domaines en sont affectés. Tout le monde sera d'accord pour dire que ce virus est un désorganisateur.
Le confinement taquine vraiment notre vie privée et notre intimité
De prime abord, on peut constater qu'il taquine les dimensions les plus fortes de notre organisation sociale : l'espace, le temps et l'appareil social. Deux images illustrent bien le propos. La première est une couverture du guide du routard pour découvrir les plus beaux coins de notre appartement.
La deuxième montre le plan d'un logement avec en question de fond : où aller ce week-end ?
Le coronavirus joue avec les codes du langage. Il associe les contraires. Le Co du collectif et le Vide. C'est la définition du mot paradoxe dans le Larousse. C'est le début du sentiment d'étrangeté.
Lorsque le confinement se fait à plus d'un, indépendamment de l'état des relations familiales (ou amicales) antérieures au confinement, cette promiscuité se heurte à une autre dimension fondamentale de notre individualité, notre intimité. Prompt à emprunter le boulevard qui lui est fait, le sentiment de promiscuité prend sa source au creux de la plus petite discordance. Tout ce que l'autre décide de faire ou de ne pas faire est potentiellement vécu comme une petite effraction, générant un sentiment de contrainte ou de privation, qui a vite fait de barricader un peu plus cet espace clôt. Avec le confinement, le domicile devient un mille-feuille de rôles et de fonctions qui ne s'épaissit qu'en faisant voler en éclat tous ces non-dit tacitement acceptés pour la paix du ménage. La redistribution de l'espace sous-tend une modification de la circulation jusque dans la temporalité des échanges et donc de la dynamique familiale. Là où auparavant, l’organisation des tâches et des rôles était circonscrite par des horaires et des endroits permettant la circulation des émotions de manière équilibrée et anticipée, règne un bazar. Pas de confinement sans débat, sans parler de soi, sans parler de ce que l'on pense de l'autre, sans entendre l'autre. En d'autres termes, il devient difficile d'éviter la mise en mot des conflits d'intérêt, du fond de sa pensée, de ce qu'on ne prévoyait pas de dire. Quand bien même certains sujets nécessitaient d'être assainis et que la perspective d'un changement était soutenu par le désir de plus d'un, l'ensemble n'était jamais pensé que dans le cadre de la vie d'avant, avec les moyens de défense d'avant. Or dans le cadre de ce confinement, les échappatoires, de quelque nature qu'ils étaient, sont aussi éprouvés. Le confinement dévoile plus ou moins gravement les fragilités intimes. Attention. Le déséquilibre des émotions se manifeste aussi bien dans le bruit de la violence, de la colère, que dans le silence de la stupéfaction, de la peur ou même de la sidération.
Le lieu de confinement doit s’apprivoiser
Aussi confortable soit-il, le logement, lieu du confinement, ne nous protège pas du désagréable et sournois sentiment de promiscuité avec notre alterego. Le chez-soi cotonneux cède à l'image d'un ring désordonné. A l'instar des illustrations évoquées antérieurement, on comprend que l'espace est usuellement occupé et justifié par des obligations ou des investissements spontanés. La déportation des espaces extérieurs et de leurs fonctions en un même endroit à l'identité déjà établi se fait rarement dans la paix des émotions. A ce stade, il n'est plus question d'étanchéité. Il y a toujours un quelque part plus ou moins bruyamment désavantagé. Comment investir de manière constructive un espace déjà apprivoisé dans la restriction et la contrainte ? Comment opposer une sécurité interne à une mise au cloître temporaire mais à durée indéterminée ? Comment croire à la paix de son domicile lorsque dans l'inconscient collectif, des mots exhument des récits de guerre ?
Le confinement peut avoir des conséquences sur l’identité parentale
Il est à noter que le confinement a un retentissement conséquent sur l'identité parentale. Tout âge confondu, le transfert de la scolarité au domicile responsabilise père et mère d'une manière plus concrète. Il n'est plus uniquement question de projets fantasmés et attendus pour son enfant. Le principe de la réalité et le fantasme s'achoppent. Par la manière dont le parent va acter son encadrement pédagogique, il va mettre en langage (par des mots, des gestes) ses attentes, ses objectifs et aussi ses peurs, ses fuites, ses exigences. Il est exposé à ses propres limites en matière de transmission. Tout l'enjeu est de ne pas faire de ce terrain le lit de nouveaux quiproquos dans la relation parent-enfant. Il est important que le parent conserve une fiabilité symbolique indispensable au développement de l'adulte en devenir. L'exercice est proche du paradoxe et mobilise l'agilité du funambule.
Et l’expatrié dans tout ça ?
Face au danger d'un virus aussi inoffensif que mortel, la solution du confinement s'est imposée. Il est recommandé à la population de maintenir une étanchéité la plus parfaite, c'est-à-dire d'ouvrir le moins possible la porte ou la grille ouvrant sur l'extérieur. C'est le seuil du sentiment d'insécurité et le début des réflexes, par définition plus en lien avec l’inconscient qu'avec les processus de la pensée. Nous avons tous vu des images de gares ferroviaires de grandes villes sur-fréquentées au début du confinement. Parce que la proximité spatio-temporelle avec ses origines est incontestablement réconfortante pour un très grand nombre, la migration géographique vers ce qui tient à cœur est pensée comme une mesure de protection.
Pour l'expatrié (à distinguer du migrant), la fermeture de l'espace aérien ruine la mise en acte du désir de partir chez soi, auprès des siens, réciproquement inquiets. L'expatrié a traversé les frontières dans le cadre d'un projet pensé et sécurisé par l'employeur. Hors des frontières, le sentiment d'insécurité s’accroît avec une conscience aiguë de son statut d'étranger et des contraintes qui en découlent. Le sentiment d'exil vient narguer le sécuritaire isolement préconisé. Et quand on lit que les malades les plus gravement atteints sont isolés de tout et de tous, à l'exception faite du personnel soignant, cette résidence en terre étrangère peut perdre tout son sens.
Le confinement offre des opportunités pour « avancer »
En conclusion, les moyens mobilisés pour faire face à la propagation du coronavirus engendre des appels d'air et crée du vide à des endroits déjà fragilisés ou plus étonnamment, là où tout semblait parfaitement sécurisé. Comment adapter un système à des ondes de choc tout en s'assurant que les aménagements ne provoqueront pas de court-circuit lors de sa remise en route, quand viendra l'après ?
La question a le mérite de se poser car elle remet le temps en perspective. Le coronavirus aux attributs si humains draine aussi dans son sillon du vivant. Fort heureusement, et cela vaut la peine de le noter, par-delà le confinement qu'il impose, le coronavirus met l'individu en mouvement : D'une manière assez exceptionnelle, se présentent des challenges nouveaux et des libertés à revisiter. Dans cet espace-temps réduit, ralenti et incertain, il offre au professionnel des opportunités de se désinhiber, d'acter des idées ou de prendre le temps de perdre du temps sur des sujets trop rapidement mis de côté dans un cadre autrement plus standardisé et contraint. Il offre aux membres d'une même famille l'opportunité de réparer les non-dits, de se rencontrer sur de nouveaux terrains, de faire des têtes à tête d'une qualité rêvée. Il humanise les réseaux sociaux où se multiplient les actes de solidarités fédérateurs. Le virtuel fait la voie à l'authenticité de la parole. Mais cet écrit ne saurait résumer la richesse des ressources déployées par chaque individu pour faire acte de résilience !
un mot de l'auteur : Je suis psychologue clinicienne, ayant pratiqué pendant 17 ans dans un espace rencontre parent-enfant. L'organisation de droits de visite dans le cadre de séparation, divorce ou de placement m'a enseigné à ne pas mésestimer les détails qui sont bien souvent les verrous les plus efficaces dans la mise au travail des familles et des acteurs sociaux qui les accompagnent. Si vous désirez me contacter, n'hésitez pas : sandie.langellier@gmail.com