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Il y a 50 ans, l’alcool était un fruit défendu à Madras...

2 Wine Shop à Pondichéry, ou le rêve de nombreux madrasis2 Wine Shop à Pondichéry, ou le rêve de nombreux madrasis
Wine shop à Pondichéry en 1969
Écrit par Alain Guillaume
Publié le 16 novembre 2020, mis à jour le 19 décembre 2023

1969, Madras. Alain est un jeune étudiant parachuté en Inde à la fin de son cursus universitaire. Une expérience qui le marquera à jamais. Plus de 50 ans plus tard il partage ses souvenirs de Madras sur lepetitjournal.com, un régal !

 

"L’alcoolisme est le plus grand fléau de l’Inde – après la dot."*

Lepetitjournal.com vous parlait de ce fléau justement il y a quelques semaines, mais quelle était la situation en 1969 ? Eh bien, comme le raconte Alain, c’est un sujet très sensible…Pour planter un peu le contexte, dès 1937 et dans un grand élan de pureté gandhienne, certains états ont instauré la prohibition totale ; c’est le cas du Madras State (Tamil Nadu), proclamé "Dry State". Dry oui, mais pas forcément pour tout le monde. Les étrangers par exemple, sont favorisés car, comme toujours, il existe des dérogations :

  • Pour les touristes, tout d’abord, qui se voient remettre avec leur visa un "Liquor Permit" leur permettant de se désaltérer dans leur hôtel, ou d’acheter certaines quantités de boisson dans de rares magasins spécialisés.

 

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  • Pour les étrangers résidents, c’est plus compliqué. Moyennant une taxe de 50 roupies (40 € de 2020) et de kafkaïennes démarches administratives, on peut obtenir un "Permit" valable 12 mois. Je dois justifier ma demande en entourant la mention "Habit", ce qui signifie que je suis déjà alcoolique ; j’ajoute par écrit que je suis fils d’alcooliques et que je ne peux me passer de ce nectar sous peine d’éprouver les plus graves malaises (déclaration que j’aurai les plus grandes difficultés à expliquer à mes parents). Ce "Liquor Permit" donne droit mensuellement à l’achat d’un certain nombre d’unités d’alcool (j’ai oublié si c’était 6 ou 12), "One Unit" représentant 12 bouteilles de bière, ou 3 de vin ou 1 d’alcool fort (40°). Quantités que, surtout sous ce climat tropical, toute personne normalement constituée ne pourrait ingurgiter sous peine d’un rapatriement sanitaire d’urgence. Pour nous, français de Madras, c’est surtout la bière (de Bangalore) qui a nos faveurs. Les "Foreign Liquors" de fabrication locale (whisky, cognac, rhum) sont atroces, le gin indien est très correct, et le vin d’Andhra Pradesh (Golconda Wine Ruby) est une curiosité ; bref, la chaleur et le bon sens incitent le plus souvent au lime’n soda.
  • Les indiens sont, eux, au régime sec. Il est bien connu que la prohibition rendant désirable l’objet interdit, tous les trafics fleurissent. Dans les villages, des margoulins vendent pour quelques roupies des tord-boyaux frelatés (à base d’alcool méthylique – "French Polish"), causant régulièrement des drames : une bonne centaine de morts du côté de Meenambakkam en juin 1969. Je me rappelle notre gentil garçon d’ascenseur me demandant de lui procurer "Brrandy forr baby". J’ai beau lui expliquer que "Birandi nalla illai for baby" il fera plusieurs tentatives...

Au vu de l’accès inégal à l’alcool, nos rapports avec les indiens en sont faussés ; qui d’entre nous n’a pas rencontré, dans une relation de travail ou de voisinage, un monsieur pressé de faire connaissance, demandant ensuite discrètement si on ne pourrait pas lui procurer quelques bouteilles ? Et un certain malaise de s’installer : amitié sincère ou intéressée ? Certains madrassi aisés profitent d’un week-end pour aller se procurer ou consommer le fruit défendu à Pondichéry ou dans l’état voisin de Mysore (aujourd’hui Karnataka) qui sont des "Wet States". De nombreux pubs de Bangalore sont très animés le dimanche, et les accidents fleurissent sur la route du retour…

 

wine shop pondichéry india inde madras alcool 1969

 

Un Souvenir personnel d’une Foire aux Vins un peu particulière

Le Consulat Général de Madras va fermer le 1er janvier 1970, décision inopinée prise dans le cadre de mesures d’austérité. Le Consul s’apprête à nous quitter. C’est un vieux monsieur très distingué qui aime les bonnes choses et boit chaque matin une coupe de champagne. Pour les besoins de ses fonctions (réceptions, banquets…), il a pu se constituer - hors-taxes- (privilèges diplomatiques) une cave bien fournie et une bonne provision de succulentes conserves. Avec beaucoup de gentillesse, il propose de nous céder ses réserves à prix coûtant. C’est ainsi que nous nous retrouvons à trois ou quatre collègues dans les caves du Consulat, à Teynampet, pour faire nos emplettes comme au supermarché. Il nous va maintenant falloir traverser tout Madras pour rapporter ce butin dans nos foyers sans nous faire remarquer. "On met tout dans ta voiture, tu as une plaque CC !" (Corps Consulaire) décident-ils. C’est ainsi que ma malheureuse 2CV camionnette se retrouve bien chargée, remplie de caisses de liquides prohibés. Dédé, qui ressemble à Yves Montant, m’accompagne en me disant "Tu sais, ici c’est comme si on transportait de la dynamite !".

 

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Je vais donc être Charles Vanel et nous allons rejouer Le Salaire de la Peur. Toutes les précieuses marchandises arriveront sans encombre chez leurs destinataires et nous célébrerons l’évènement à la française autour d’un bon cassoulet au confit d’oie ...

La prohibition prendra fin au Tamil Nadu le 30 août 1971, la vente des licences engendrant pour certains politiciens locaux des bénéfices personnels non négligeables. Comme disait ma voisine* : "This is India, you know ..."

*Une (lucide) voisine Indienne de l’Auteur de cet article

 

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