Le militant syndical Rong Chhun écope de quatre ans de prison pour incitation et perd ses droits civiques après avoir critiqué les politiques frontalières et la cybercriminalité.


Le militant syndical Rong Chhun, également conseiller principal du Nation Power Party, a été reconnu coupable d’incitation par le tribunal municipal de Phnom Penh pour avoir critiqué la politique frontalière du parti au pouvoir ainsi que la manière dont ce dernier « gère » le secteur illicite de la cybercriminalité.
Le juge président Li Sokha a condamné Rong Chhun à quatre ans de prison et à une amende de quatre millions de riels (environ 1 000 dollars). Il lui a également infligé une peine complémentaire : la privation de ses droits civiques, notamment le droit de vote et celui de se présenter à une élection.
Le juge a toutefois précisé que Rong Chhun n’était pas tenu de purger immédiatement sa peine, l’activiste ayant le droit de faire appel devant la cour d’appel.
Une absence remarquée à l’audience
Présent devant le tribunal le matin du verdict, Rong Chhun a refusé d’entrer dans la salle d’audience. Les autorités avaient renforcé la sécurité autour du bâtiment en installant des barricades, empêchant ainsi une cinquantaine de ses partisans de se rassembler.
« C’est une indication claire que le Cambodge manque encore de démocratie pleine et entière et continue de réprimer les voix dissidentes », a déclaré Chhun aux journalistes.
Il a lancé un message direct aux autorités : « Arrêtez d’abuser du système judiciaire pour persécuter les opposants politiques. Arrêtez de faire souffrir les gens. »
Convaincu que sa condamnation est « motivée politiquement », il a appelé ses soutiens à « garder le moral et poursuivre le combat ».
Des accusations liées à une vidéo critique
Cette nouvelle inculpation pour incitation découle d’une vidéo enregistrée en juillet dans la province de Kandal, dans laquelle Rong Chhun accusait le gouvernement de « mépriser les droits humains et les principes démocratiques », en particulier en lien avec l’industrie illicite de la cybercriminalité dans le pays.
Il s’est également exprimé auprès de Radio Free Asia (RFA) à propos de la visite du Premier ministre Hun Manet à la frontière entre le Cambodge et le Vietnam, signalant des « irrégularités » dans 84 % des bornes de démarcation frontalière.
Une figure emblématique du syndicalisme cambodgien
Rong Chhun est une figure de proue du mouvement syndical au Cambodge. Il a dirigé la Confédération cambodgienne des syndicats et l’Association indépendante des enseignants du Cambodge (CITA). Il a également été membre du Comité national électoral (NEC).
Chao Ratanak, chef adjoint de commune dans la province de Banteay Meanchey, a dénoncé la condamnation : « C’est une injustice à son égard, car ses actions ne sont pas répréhensibles. J’espère que le tribunal reconsidérera les charges retenues contre lui. »
« C’est le droit des citoyens d’exprimer leur opinion au sujet de la visite [de Hun Manet] à la frontière ou de donner une interview [aux médias]. C’est le droit de chaque citoyen », a-t-il ajouté.
Réaction de la Licadho
Am Sam Ath, directeur des opérations de l’ONG Licadho, a estimé que Rong Chhun continuerait à dénoncer les restrictions des droits et libertés au Cambodge, notamment en matière de liberté d’expression et de participation politique.
Selon lui, la série de poursuites judiciaires contre Rong Chhun est directement liée à ses activités politiques : « Il s’agit clairement d’une forme de pression et d’une restriction de ses libertés fondamentales, en particulier de ses activités politiques. »
« Nous constatons que cela affecte ses droits et libertés élémentaires. Le droit de vote et le droit de se présenter aux élections sont des piliers essentiels de toute société démocratique, et nous sommes attristés de voir ces droits sanctionnés par le tribunal », a-t-il poursuivi.
En avril dernier, le tribunal municipal de Phnom Penh avait déjà ordonné la saisie des biens de Rong Chhun, dans le cadre d’une amende contestée de 100 000 dollars liée à une précédente condamnation pour incitation remontant à 2021.
Khuon Narim
Avec l'aimable autorisation de CamboJa News qui nous permet de rendre cet article disponible à un public francophone
Né en 1969, Rong Chhun est une personnalité incontournable du mouvement syndical cambodgien. Après avoir obtenu un diplôme en mathématiques à l’Université royale de Phnom Penh en 1993, il débuta sa carrière comme enseignant dans un lycée local. En mars 2000, il cofonda l’Association indépendante des enseignants du Cambodge (CITA) aux côtés d’une trentaine d’enseignants, dans le but de défendre de meilleures conditions salariales et professionnelles. Il devint progressivement une voix influente des luttes ouvrières et éducatives dans le pays. Son engagement lui valut d’être arrêté en 2005 pour diffamation à l’encontre du Premier ministre, après des propos critiques sur un accord frontalier avec le Vietnam. Libéré sous caution en 2006, il poursuivit ses activités militantes, notamment contre une loi sur les syndicats et en soutien aux ouvriers du textile lors des grandes manifestations de 2013-2014.En 2015, il entra au Comité national électoral (NEC) en tant que représentant du Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP), dans le cadre d’un compromis politique. Il démissionna deux ans plus tard pour protester contre la dissolution du CNRP. Renvoyé du ministère de l’Éducation, il dénonça un licenciement politique et reprit ses activités au sein de la CITA. En juillet 2020, Rong Chhun fut de nouveau arrêté pour avoir évoqué des cessions territoriales présumées à la frontière avec le Vietnam. Ce nouvel emprisonnement suscita l’indignation d’organisations syndicales et de défense des droits humains, tant au Cambodge qu’à l’étranger. Il fut libéré en novembre 2021 après la suspension partielle de sa peine.
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