Pascal Médeville nous convie à un nouveau voyage ethnobotanique à la découverte des prâtip, radeaux végétaux de la Fête des eaux.
Les "prâtip" de la Fête de l'eau
Au Cambodge, la fête des eaux, qui se déroule chaque année entre fin octobre et début novembre, est l’une des plus importantes fêtes traditionnelles du pays. Pendant trois jours, les Cambodgiens assistent au spectacle des régates d’aviron et offrent des sacrifices à la lune. C’est à cette occasion qu’ils préparent et consomment le riz aplati que nous avions présenté dans un article précédent (ici). Le soir du troisième et dernier jour des régates, les Khmers ont aussi pour coutume de lancer sur les cours d’eau des radeaux végétaux, appelés « prâtip » (ប្រទីប).
Les régates et la mise à l’eau des « prâtip » commémorent une victoire naval décisive remportée en 1178 sur le lac Tonlé Sap, contre des envahisseurs venus de l’Empire Cham, celui qui allait devenir le bâtisseur d’Angkor Thom, le roi Jayavarman VII (r. 1181-1218 environ). (Des scènes de cette bataille navale mémorable ornent les murs du temple Bayon, à Angkor, et du temple de Banteay Chmar, dans la province de Banteay Meanchey.)
Deux types de « prâtip » au Cambodge
En réalité, on distingue deux types de « prâtip ». Les premiers, commandités par les différents ministères du gouvernement cambodgien à Phnom Penh, sont de grands radeaux portant de larges structures métalliques, ornés avec magnificence, brillant de mille feux. Ces radeaux illuminés sont lancés face au Palais Royal, sur le site des « Quatre bras », où confluent les bras amont et aval du Mékong, le rivière Tonlé Sap et le fleuve Tonlé Bassac. Les radeaux des ministères ont été soigneusement conçus en amont de la fête, et leur réalisation a été confiée à des équipes spécialisées qui travaillent d’arrache-pied pour achever les travaux avant la date fatidique. Ces radeaux sont probablement apparus à l’époque du protectorat français, lorsque le gouvernement cambodgien a été divisé en ministères.
Le second type de « prâtip », une offrande
Le second type de « prâtip » est confectionné de façon artisanale dans les familles. Leur origine remonterait à l’époque du règne de Jayavarman VII. À la différence de ceux des ministères, les « prâtip » populaires sont de dimensions beaucoup plus modestes : leur diamètre n’excède est celui d’un tronc de bananier (une vingtaine de centimètres environ), car la base de ces radeaux est une section du tronc de cet arbre. Les tronçons de tronc sont ornés de feuilles de bananier qui sont pliées ou enroulées, et agrémentés de fleurs fraîches.
Ils ont une apparence qui évoque les récipients confectionnés en feuilles de bananier, servant à contenir des aliments ou encore des offrandes religieuses, telles que du tabac ou du bétel. L’un des plats emblématiques de la gastronomie cambodgienne, l’amok (curry de poisson cuit à la vapeur), est souvent présenté dans l’un de ces récipients. Ces récipients sont appelés « kântong » (កន្ទោង), et ce nom sert aussi à désigner les « prâtip ».
Les « prâtip » populaires ont, dit-on, l’apparence d’une fleur de lotus. Ils sont le plus souvent illuminés avec des bougies installées au centre du dispositif, parfois agrémentés de bâtonnets d’encens.
Notons aussi qu’en Thaïlande est célébrée aux mêmes dates une fête, appelée « lou kratong », qui tire très certainement ses origines des célébrations cambodgiennes.
La vidéo ci-dessous, dénichée sur Youtube, montre la méthode de fabrication d’un prâtip populaire.
Cet article a initialement été publié sur Tella Botanica