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LGBT au Cambodge, le prix de la tolérance

rockrock
Crédits : ROCK Facebook Page
Écrit par Victor Bernard
Publié le 4 janvier 2019, mis à jour le 7 janvier 2019

Le Cambodge, comme ses voisins thaïlandais et vietnamiens, est probablement l’un des pays d’Asie du Sud-Est les plus tolérants envers la communauté LGBT. Une image idéalisée pourtant largement biaisée par une incompréhension à la base du concept d’identité genrée et d’orientation sexuelle.

La tradition cambodgienne ne reconnaît pas de différence entre sexe et genre, et par conséquent il est inimaginable pour la majorité des Cambodgiens d’appartenir à un genre différent de leur catégorie sexuelle physique de naissance. Il est cependant aujourd’hui légal de changer son statut genré sur ses papiers d’identité, sans pour autant que les autorités exigent une quelconque opération chirurgicale. La province de Takeo a notamment inscrit le genre masculin sur les papiers d’identité d’un homme transgenre, lui permettant d’obtenir, bien que n’étant pas marié avec sa compagne de longue date, un livret de famille reconnaissant leur union.

Si l’homosexualité reste un tabou pour une grande majorité des Cambodgiens ruraux, la génération née dans les années 90, grâce à la révolution des réseaux sociaux, représente un véritable tournant dans l’acceptation des droits LGBT dans le royaume. Pour un pays dont les ressortissants ont du mal à quitter le territoire, en partie à cause des difficultés d’obtention des visas, le principal mode d’interaction des jeunes avec le monde extérieur reste internet. Et c’est par ce biais et ces nouveaux modes de communication que les jeunes Cambodgiens osent souvent parler de leur sexualité, notamment lorsque celle-ci ne se conforme pas à l’image conservatrice de la société cambodgienne.

Un schéma familial centré sur la procréation

L’origine de la difficile acceptation des homosexuels au Cambodge n’est pourtant pas tant liée à la religion, comme c’est souvent le cas dans d’autres pays. La société khmère est basée sur un schéma familial quasiment immuable. Le soutien mental, physique et financier aux personnes âgées est l’un des piliers de cette tradition et la non-procréation d’un des membres d’une famille enraye le système au point souvent de faire basculer le château de cartes des ressources de la famille. Sophal, un homosexuel de Phnom Penh décrivait la situation : “Je pense que le rejet de mes parents tient plus du fait qu’ils pensent que c’est impossible pour moi d’avoir des enfants. Cependant, cela se traduit souvent par des insultes et des stéréotypes car ils essaient de cacher leur déception en trouvant un autre prétexte à leur colère”. Les différents rapports des ONG et des Nations Unies dénoncent cette stigmatisation de la représentation des LGBT, provoquant le rejet de l’environnement familial. 

Cette concentration sur la survie financière familiale provoque souvent, pour les personnes LGBT, des mariages forcés, viols ou autres violences domestiques destinés à tourner ces adultes en époux et épouses, dont le comportement se conforme à la nécessité de procréer afin de subvenir aux besoins futurs des générations précédentes. Le rapport du PNUD sur la situation des LGBT cambodgiens datant de 2014 faisant notamment état de ces dangers.

L’éducation sexuelle des jeunes du pays en est encore à ses balbutiements. Les Cambodgiens commencent à peine à être sensibilisés aux dangers du VIH et autres infections sexuellement transmissibles, bien que de nombreuses campagnes aient été menées par le gouvernement et les ONG actives dans ce domaine, selon le PNUD. Le rapport ajoute que ces celles-ci se sont souvent concentrées sur l’importance de l’utilisation du préservatif en omettant de traiter les question de l’identité genrée ou de l’orientation sexuelle. 

Une action des autorités en demi-teinte

Le levier d’action est donc principalement le pouvoir politique. Dans un pays patriarcal (seulement 3 ministres sur 30 sont des femmes), la cause de la violence à l’encontre des personnes LGBT est loin de représenter un intérêt majeur pour le gouvernement. Cependant, certains ministres insistent sur l’importance de la représentation des identités non genrées et des différentes orientations sexuelles. La ministre des affaires féminines, Ing Kantha Phavi, a notamment inclus en 2014 les problématiques liés au harcèlement de la population LGBT dans son agenda et travaille, en partenariat avec le ministère de l’éducation de la jeunesse et des sports, à un programme d’éducation sexuelle destiné à enseigner la diversité des genres et des orientations sexuelles à l’école.

Les personnes LGBT ont ainsi été intégrées aux populations en danger dans le second programme national contre les violences faites aux femmes, lancé en 2015. Si de nombreux efforts sont donc effectués en matière d’éducation, la loi cambodgienne ne protège toujours pas les adultes LGBT contre la violence à laquelle ils sont confrontés dans leur quotidien, toujours d’après le rapport du programme de développement des Nations Unies datant de 2014. 

En 2004, le roi Norodom Sihanouk soutenait publiquement le mariage homosexuel. L’appel lancé envers la communauté LGBT, l’autorisant à s’exprimer afin de défendre ses droits, a ouvert la voie. La marche des fiertés à Phnom Penh est devenue un événement largement soutenu par de nombreuses ONG et ne suscite aucun rejet de la part des autorités. Selon le magazine d’information internationale The Diplomat, la prise de position favorable de l’ancien roi Norodom Sihanouk a d’une part durablement modifié le comportement des Cambodgiens vis-à-vis de leurs compatriotes LGBT, et d’autre part permis à de nombreuses personnes de s’assumer en tant que membres de la communauté.

Les LGBT étrangers au Cambodge

Le degré d’acceptation envers les LGBT au Cambodge est également souvent biaisé car comparé à celui des membres de la communauté étrangers, en tourisme ou en expatriation. La plupart des étrangers ne s’arrêtant que dans les grandes agglomérations du pays, telles Phnom Penh ou Siem Reap ou bien dans des zones touristiques comme les îles du sud du pays, ils ont souvent l’impression d’une société accueillante, voire très ouverte aux membres de leur communauté. Si de nombreux établissements ont ouvert dans la capitale - bars, clubs et spas - ils sont encore majoritairement fréquentés par les étrangers et touristes et les Cambodgiens y viennent souvent en secret.

La prostitution entache également la réputation des LGBT. Depuis le début des années 2000, de nombreuses ONG, dont la LICADHO, ont observé une augmentation significative de la présence d’hommes et de femmes transgenres dans le secteur du sexe tarifé, dont beaucoup reconnaissent également proposer leurs services à des hommes. Les risques, notamment de transmission d’infections sexuellement transmissibles sont donc bel et bien présents.

Le Cambodge dans l’impasse

Concrètement, la population LGBT cambodgienne s’assume de plus en plus, profite des quelques opportunités, notamment en matière de divertissement, que les zones urbaines proposent, mais ne revendiquent encore que très peu leurs droits. Même lors des marches des fiertés, très peu de revendications sont portées à l’encontre du gouvernement ou de quelconque autorité pour réclamer une protection de la communauté plus efficace.

Cette situation n’est pourtant pas durable au sein d’un pays dont la jeune génération tire quasiment toute son information des réseaux sociaux. Les progrès effectués dans les Etats voisins telles la Thaïlande qui, après avoir légalisé l’homosexualité en 1956, examine désormais un projet de loi concernant un partenariat civil entre personnes de même sexe, ont un impact sur les LGBT cambodgiens et le statu quo est difficilement concevable pour les années à venir.
 

victor_bernard
Publié le 4 janvier 2019, mis à jour le 7 janvier 2019

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