Brittany Sims, fondatrice du restaurant Farm to Table à Phnom Penh, revient sur les raisons qui l’ont poussée à privilégier les fruits et légumes de l’agriculture responsable dans ses menus.
Se fournir auprès d’agriculteurs bios est un exercice difficile pour les restaurateurs au Cambodge, où il n’existe pas de réelles certifications fiables. C’est pourtant le défi qu’a décidé de relever Brittany Sims depuis la création du restaurant Farm to Table en 2014. Lepetitjournal.com Cambodge a interrogé la fondatrice de Farm to Table à propos de l’intérêt des circuits d’approvisionnement courts au Cambodge.
Lepetitjournal.com Cambodge : Pourquoi l’approvisionnement en fruits et légumes issus de l’agriculture responsable au Cambodge est-il un défi ?
Brittany Sims : Identifier des producteurs bios est un exercice difficile au Cambodge, où il n'existe pas de réelles certifications fiables. Nous travaillons le plus souvent possible avec de petites exploitations responsables. Une fois les producteurs identifiés, travailler avec des produits locaux et de saison implique aussi de nombreux défis. L'approvisionnement varie selon les saisons, car il suit les cycles naturels. Cela oblige notre chef à être créative ! En ce moment, notre menu met les goyaves à l’honneur, car nous avons trouvé un nouveau producteur qui utilise des méthodes respectueuses de l’environnement. Nous avons donc acheté une grosse partie de son stock le temps que son organisation se mette en place, et avons donc décliné la goyave sous forme de confitures, cocktails, glaces...
Pourquoi travailler avec des producteurs qui pratiquent l’agriculture biologique ? Quels problèmes posent le modèle d’agriculture conventionnelle ?
Le modèle d’agriculture dominant en Asie du Sud-Est est néfaste pour les consommateurs, les agriculteurs et l’économie cambodgienne. La plupart des fruits et légumes qu’on voit dans les marchés de Phnom Penh ne sont pas pas cultivés au Cambodge, et ne sont pas aussi frais qu’ils le semblent. 70% d’entre eux sont importés, le plus souvent du Vietnam et de Thaïlande. Cela pose des problèmes sur plusieurs plans. D’un point de vue sanitaire, ces produits sont remplis de pesticides. Beaucoup sont cultivés en utilisant massivement des engrais et pesticides, arrivent au Cambodge avant d’être mûrs, et on ajoute des produits pour accélérer le processus de maturation, c’est très effrayant. En règle générale, il faut éviter les produits qui ne sont pas de saison. Ces produits ont aussi un impact négatif sur l’économie cambodgienne. Vendus à un prix très bas, ils asphyxient le marché local cambodgien, dont l’agriculture n’a pas atteint le même niveau de développement que celles de ses voisins.
Vous avez mentionné l’importation massive de fruits et légumes en provenance de Thaïlande et du Vietnam, mais qu’en est-il de l’agriculture cambodgienne ?
Au Cambodge, on relève aussi un usage massif des pesticides. Même si le gouvernement essaie d’éduquer les agriculteurs pour une utilisation raisonnée des pesticides, cela reste très difficile étant donné que les notices de ces produits chimiques ne sont pas traduites en khmer. Ce ne sont pas uniquement les consommateurs qui sont affectés par l’utilisation massive de produits chimiques, mais aussi l’environnement et les agriculteurs eux-mêmes. L’agriculture cambodgienne étant très liée aux inondations, les pesticides et engrais peuvent contaminer de larges zones.
Comment identifiez vous les producteurs avec qui vous travaillez ?
Etant donné qu’il n’y a pas de certification biologique au Cambodge, nous devons connaître personnellement les producteurs, ce qui nous prend énormément de temps. De nouvelles régulations pour une certification biologique sont en préparation par le gouvernement, et c’est une très bonne chose, mais nous ne savons pas encore quand et comment cette certification sera appliquée. Nos producteurs viennent de différents horizons, on retrouve des ONG, des coopératives, des entrepreneurs individuels… Tout n’est pas noir et blanc, ces agriculteurs n’ont pas les mêmes pratiques et certains sont en cours de conversion vers une agriculture biologique. Nous essayons de les accompagner dans ce sens. Actuellement, nous estimons que 70% de nos produits proviennent de producteurs locaux.
Au delà des portes de votre restaurant, comment faites-vous la promotion des circuits de production courts au Cambodge ?
Nous essayons de donner à nos clients une meilleure information sur ce qu’ils peuvent consommer sans craindre pour leur santé, et d’une manière responsable de l’environnement. J’aimerais voir au Cambodge l’émergence d’un réseau de restaurateurs intéressés par cette démarche responsable. Nous avons passé énormément de temps à rassembler tout une série de bonnes pratiques, désormais nous souhaitons les disséminer le plus largement possible.