Mercredi soir se tenait à l'Institut français une conférence intitulée « quelle spiritualité pour le XXIe siècle ? » animée par Marc Henry, Grand Maître de la Grande Loge de France, de passage en Asie. Quête de sens, valeurs morales, harmonie? Des notions soumises au dialogue avec une salle pleine, curieuse de découvrir une tradition intellectuelle et spirituelle souvent méconnue.
Marc Henry, danseur et journaliste en retraite, a été élu depuis peu Grand Maître de la Grande Loge de France (GLDF), deuxième obédience maçonnique de l'hexagone en terme d'effectifs (plus de 30.000 membres). De passage en Asie du Sud-Est, il est venu à la rencontre des frères présents sur place, loge Hamsa de Bangkok et loge Nagara de Phnom Penh. Vient de les rejoindre la loge Hoa Sen (d'Ho-Chi-Minh Ville, mais qui se réunit à Bangkok), qui a pris ses distances avec la Grande Loge Nationale de France (GLNF), en pleine tourmente après plusieurs affaires politico-financières impliquant des membres, et une grave crise de gouvernance depuis l'an dernier. Une image désastreuse qui a entraîné une chute de ses effectifs, notamment au profit de la GLDF, fidèle à une approche traditionnelle et spiritualiste (quand le Grand Orient de France, principale obédience, se tourne davantage vers les questions de société). Marc Henry est ainsi venu faire connaître le temps de conférences dans les Instituts français de Phnom Penh et Bangkok l'idéal spirituel et humaniste de sa branche de la franc-maçonnerie. Entretien.
- Pourquoi une conférence sur « la spiritualité au XXIe siècle » ?
- Nous souhaitions partager avec les frères et les profanes ? c'est le terme utilisé ? une réflexion sur la spiritualité, c'est-à-dire ce qui nous permet à tous de devenir plus humain. Face à notre part d'agressivité et d'animalité, qu'est-ce qui va nous permettre de découvrir une approche plus spirituelle, et ainsi nous ouvrir à l'autre, à la connaissance de l'autre ? Nous avons tous été façonnés par des parents, des enseignants, une culture particulière : nous avons besoin de ça pour devenir humain, mais en y perdant une part de liberté. La franc-maçonnerie cherche un langage commun, à améliorer un monde où l'homme n'est malheureusement plus au c?ur du débat, où le système est verrouillé par une recherche absolue de consumérisme et de satisfaction matérielle.
- Vous participez à des rencontres avec le public, or la franc-maçonnerie est souvent assimilée au secret?
- Le secret est en réalité un besoin d'initiation, un rite de passage, réservé à celui qui va être initié. Toutes les sociétés connaissent des rites de ce type, le mariage en est un. Cela n'empêche en rien de se tourner vers l'autre, de contribuer au développement des valeurs éthiques de la société. Une part des mythes sur la franc-maçonnerie, le fameux complot « judéo-maçonnique » - vient de la première moitié du XXe siècle, au temps de la IIIe République. Certains milieux de l'Eglise d'alors attribuaient à l'influence des juifs et des francs-maçons le déclin de leur emprise, dans une époque marquée par des changements rapides et l'évolution des idées. Les idéaux de la maçonnerie revendiquent de fait la devise « liberté-égalité-fraternité », adoptée par la Grande Loge de France en 1795. On nous a beaucoup reprochés d'être secrets, alors qu'il s'agit avant tout d'être discrets. Il n'y a pas de notre part de volonté de prosélytisme. Etre franc-maçon implique une forme d'ouverture d'esprit, sans vérité révélée, mais avec aussi le souci de transmettre un héritage.
- Nous sommes ici en Asie, dans une tradition spirituelle différente du monde européen d'où est issu la franc-maçonnerie. Un dialogue est-il possible?
- A la conférence de Bangkok, le dialogue s'est engagé avec un spécialiste du bouddhisme. Ce dernier propose une forme de déconstruction de l'individualité et de ses désirs. La franc-maçonnerie dit plutôt : construis-toi toi-même, tu n'es pas encore fini, achevé. Cela renvoie aussi aux tentatives au XVIIe siècle de définir une religion naturelle, commune à tous les hommes. Nous avons beaucoup de loges dans l'océan indien, comme sur l'île de la Réunion, où toutes les cultures, les traditions et les conditions sociales sont représentées. La maçonnerie ne s'oppose pas aux religions, qu'elle considère comme un domaine de réflexion parmi d'autres dans le champ de la spiritualité. Un musulman peut devenir franc-maçon et prêter son serment sur le Coran. A la Grande Loge de France, il devra en outre prêter serment sur ce que nous appelons « le Volume de la loi sacrée », qui est la Bible, mais considérée ici comme un outil pour approfondir la connaissance. Dans notre tradition, des hommes de différentes cultures, comme Jésus, Socrate ou Pythagore sont ainsi considérés comme des initiés.
Propos recueillis par Samuel Bartholin (http://www.lepetitjournal.com/cambodge) Vendredi 25 janvier 2013