Édition internationale

EXCLUSIVITÉ - Rencontre exceptionnelle avec le président de l'Assemblée nationale Heng Samrin

Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 3 mars 2014

Premier entretien depuis plusieurs décennies de Heng Samrin avec la presse étrangère. C'était avec Le Petit Journal,  accompagné de la direction de Thmey Thmey.

 

 

Lire le CV de Heng Samrin en dit long sur la place prépondérante que ce petit homme d'origine paysanne s'est construite dans l'histoire politique de ces cinquante dernières années. L'un des seuls au pouvoir depuis 1979, il est aujourd'hui, président d'honneur du PPC et aussi président de l'Assemblée nationale.

Derrière lui, loin derrière, il y a l'indépendance en 1953, le maquis avec 1.500 soldats formés par les Nord-Vietnamiens, un grade de commandant dans l'armée révolutionnaire en 1968, la guerre contre Lol Nol, la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges, sa fonction de commandant de la 4e division de la zone Est du Kampuchea Démocratique, sa fuite en 1978 au Vietnam suite à une rébellion contre Pol Pot, son retour un an plus tard, lui l'ancien khmer rouge, à la tête du commandement du Front d'union nationale pour le salut du Kampuchéa, sa nomination comme chef du gouvernement d'obédience vietnamienne en 1979 ? .
Depuis, Heng Samrin n'a jamais quitté le pouvoir.

L'homme, qui a participé par deux fois à la libération de Phnom Penh, avec les khmers rouges en 1975 et contre les khmers rouges quatre ans plus tard, reçoit l'équipe de Thmey Thmey et du Petit Journal en ce jeudi 27 février 2014.

Eu égard à sa fonction, l'accueil dans son bureau de l'assemblée est à peine solennel. Un bureau moquetté, feutré et silencieux. Les réponses aux questions envoyées deux jours plus tôt sont sur la petite table basse. L'homme n'a pas accordé d'interview à la presse cambodgienne et étrangère depuis des décennies. Non pas par goût du secret mais plutôt en raison de sa capacité d'élocution et, explique-t-on avec respect, de sa mémoire. Heng Samrin est paysan, peu cultivé, il ne maitrise pas parfaitement les sujets.

Ce n'est donc pas tant le contenu de l'interview en lui même, si "historique" qu'il soit, le plus passionnant de cette rencontre rarissime. Mais c'est justement la rencontre avec cet homme qui l'est. Un politique qui a la réputation d'être un des hommes du pouvoir le moins corrompu et qui n'a pas amassé une fortune personnelle. Lui, le paysan au pouvoir depuis 1979. Il n'a non plus pas bâti un clan en plaçant ci et là famille et amis.  
Au cours de l'interview, délaissant la lecture des réponses rédigées par son cabinet, l'homme efface le politique. Il dépose les feuilles sur la petite table,  son visage impassible et sa voix monocorde disparaissent. Sourire et regard pétillant, il explique le plus naturellement possible qu'il n'aime pas le protocole et le dispositif de sécurité incombant à sa fonction. Il est du peuple et ne supporte faire le marché avec des gardes corps. Dans son village, sa maison est ouverte aux allers et venues. A Phnom Penh, rentré chez lui, le président de l'Assemblée nationale joue à la pétanque.

Près du peuple, certainement parfois parmi le peuple, l'ancien khmer rouge commandant dans l'Est du pays jouit d'une grande popularité auprès des Cambodgiens. La zone Est que le commandant Heng Samrin dirigeait fut l'une des moins meurtrières et aucun témoignage ne le mettrait en cause dans des massacres. Une raison supplémentaire, fondée ou pas, de sa popularité.

Au pouvoir depuis 35 ans, dans un pays gangréné par la corruption et qui bafoue les droits de l'Homme, ancien dirigeant khmer rouge, Heng Samrin émerge, à tort ou à raison, de cette odeur de souffre et de cendre. Un paradoxe déroutant pour un étranger qui s'apprête à le rencontrer. Après la rencontre, la puissance du paradoxe se renforce, mais devient un peu moins obscure.

Baigné dans ce paradoxe d'un homme acteur majeur de chaque étape de l'histoire du Cambodge contemporain et de ce paysan simple et avenant, le paradoxe de cet homme qui, dès qu'il sort de son costume politique, devient affable et vivant, le paradoxe du président de l'Assemblée nationale qui ne peut que lire des réponses face aux journalistes, baigné donc dans ce paradoxe, le prétexte de l'interview  - le voyage de Heng Samrin au Maroc et en Côte d'Ivoire ? paraît secondaire.

A ce propos tout de même, le Président a souligné l'importance "de renforcer la relation bilatérale avec les assemblées nationales africaines et surtout avec le Maroc et la Côte d'Ivoire. Ces pays sont aussi membres de la Francophonie dont le roi-père Norodom Sihanouk était un des fondateurs". "Cette rencontre, précise-t-il, permettra également de s'engager sur un soutien mutuel sur le plan économique, de l'agriculture, du tourisme et de l'investissement?.

Quant à la crise politique et au boycott de l'opposition de l'Assemblée nationale, Heng Samrin "appelle tous les députés à travailler ensemble" et précise "que les députés élus doivent en siégeant à l'Assemblée nationale respecter le Roi. L'opposition boycotte l'Assemblée et nous les appelons toujours à nous rejoindre le plus vite possible pour résoudre le problème démocratiquement".
L'entretien se termine sur son espoir que la réunion, d'aujourd'hui lundi 3 mars entre les deux partis, soit positive et constructive quant à la réforme électorale. Pas un mot de plus, ni plus haut, ni plus fort. Juste une déclaration du parti au pouvoir.

L'intérêt de cette rencontre, dans ce contexte, se dessinait ailleurs, dans sa rareté avec un tel personnage. Un personnage qui syncrètise la complexité d'un demi-siècle d'Histoire. Un homme politique atypique dans la haute sphère du pouvoir qui semble vaciller de ses dérives. Des dérives que Heng Samrin a accompagnées, lui le paysan peu cultivé si populaire.
Une rencontre complexe.

Emmanuel Scheffer - www.lepetitjournal/cambodge - Lundi 3 mars 2014

 

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Publié le 2 mars 2014, mis à jour le 3 mars 2014
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