ECONOMIE – Le Cambodge est-il en route vers la dédollarisation ?

Utilisé essentiellement pour les petits achats et échanges de tous les jours, le riel cambodgien occupe une place secondaire par rapport au dollar. Cependant, alors que le pays fait son entrée en bourse, le gouvernement entame une politique de dédollarisation afin de renforcer la monnaie locale pour les années à venir.

Introduit au Cambodge à partir de 1953, par le biais de l'aide internationale, le dollar s'est propagé massivement en 1970 dans la vie des cambodgiens, à la suite d'une injection financière de la part du gouvernement américain pour protéger le pays du communisme. Aujourd'hui, à Phnom Penh, les dollars sont échangés plus souvent que le riel, alors que les deux monnaies sont officiellement reconnues au niveau international.

Les inconvénients de la dollarisation au Cambodge

Un article du Wall Street Journal, paru le 11 avril dernier, insiste sur le fait qu'au Cambodge, des facteurs spécifiques doivent être pris en compte. La réticence à adopter le riel est ancrée dans la mémoire du régime communiste des Khmers Rouges, qui ont rendu illégale la propriété privée et ont aboli la monnaie en 1975. Le riel n'a été réintroduit que dans les années 1980, une fois les Khmers Rouges écartés du pouvoir.

Selon le même article, la Banque Nationale du Cambodge s'inquiète de cette situation : la dollarisation rend en effet la politique monétaire inefficace, et expose un pays faible comme le Cambodge à une forte fluctuation de capitaux. Selon Faisal Ahmed, le représentant du FMI au Cambodge, "l'inquiétude à propos de la monnaie est plus profonde que dans d'autres pays qui ont également subi des conflits. Le Cambodge doit repartir à zéro." Le FMI a également souligné que ce marché progressif basé sur la dédollarisation était efficace pour certains pays tels que Israël, la Pologne et le Chili, alors qu'il a entrainé des plans maladroits avec des effets négatifs au Mexique et au Pérou.

Le début d'une rerielisation ?

"Le gouvernement veut passer au riel, mais il ne veut pas le faire en utilisant une force réglementaire brusque", constate Faisal Ahmed au Wall Street Journal. La banque centrale a cependant commencé à mettre en place des mesures pour limiter le dollar. Elle impose une obligation de réserve de capital de 12 % sur les actifs en dollars, par rapport à 8% sur les actifs en riel. Les fonctionnaires, les taxes et les factures de services publics sont également payés en riel.

Le gouvernement demande aussi aux propriétaires d'entreprise de commencer à donner les prix des biens en riel en plus du dollar. Moniroth Lee, propriétaire d'un magasin de souvenirs à Phnom Penh, témoigne : "Ils ont dit qu'ils ne nous mettront pas d'amendes si nous acceptons les dollars mais ils nous rappellent que nous vivons au Cambodge et que nous devrions encourager l'utilisation de la monnaie locale".

Interrogé par le Wall Street Journal, In Channy, docteur en économie et vice-directeur général de la Commission des opérations boursières du Cambodge (Secc), pense que l'entrée en bourse du Cambodge, en demandant aux investisseurs étrangers d'utiliser le riel, pourrait contribuer à soutenir la valeur de la monnaie et renforcer son prestige.

La première compagnie à faire son entrée sur le marché boursier est la Régie des Eaux de Phnom Penh. Elle a effectué une offre de 20 millions de dollars la semaine dernière, et In Channy prédit que 10 autres compagnies seront listées d'ici à 2017.

Anaïs Chatellier (www.lepetitjournal.com/cambodge) Mercredi 18 avril 2012