Le Tribunal révolutionnaire populaire et ses débats ont longtemps été vus comme un procès-spectacle, les historiens leur reconnaissent toutefois aujourd'hui une signification et une valeur historiques
(crédit: Centre de Documentation du Cambodge)
Il y a 30 ans, un tribunal de Phnom Penh condamnait à mort, et par contumace, les anciens dirigeants Khmers Rouges Pol Pot et Ieng Sary pour leurs crimes commis sous le régime communiste. Un tribunal composé de juristes cambodgiens et internationaux, des retranscriptions de débats disponibles en khmer, français, et anglais, et des témoins qui éclatent en sanglot alors qu'ils revivent leurs douloureuses expériences sous le règne de Pol Pot et sa vision utopique d'un pays agricole. Toute cela semble familier, il est pourtant intéressant de noter les différences qui séparent le Tribunal Révolutionnaire Populaire (TRP) de 1979, d'un Tribunal Khmer Rouge (TKR) en cours et devant lequel Ieng Sary, ancien ministre des Affaires étrangères du régime, est attendu pour répondre de crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
Pour commencer, il y a les chefs d'inculpation. Pol Pot et Ieng Sary étaient accusés de Génocide devant le TRP, un chef d'inculpation qui n'aura pas été retenu à l'encontre des cinq accusés du TKR. Une autre différence cruciale concerne la communauté internationale et sa perception des deux procès. Le TKR a le soutien de l'ONU, alors que le TRP, organisé sept mois après janvier 1979 et ?l'invasion' du Cambodge par le Vietnam, était rejeté par la plupart des gouvernements occidentaux comme un procès-spectacle.
Dans des interviews récentes, certains experts reviennent toutefois aujourd'hui sur cette tendance à ne voir le TRP que comme un exercice vide de sens. "Il est sur que le tribunal ne correspondait pas à un véritable état de droit, mais on ne peut pas le rejeter comme un simple procès-spectacle" estime ainsi Alex Laban Hinton, professeur d'anthropologie à la l'université Rutgers et auteur de ?Why Did They Kill ? Cambodia in the Shadow of Genocide' (2004). "C'était un premier pas qui aidait les gens à guérir, et aussi visait à rétablir une justice disparue sous le Kampuchéa Démocratique" précise t-il, "On aime ou pas, mais c'était aussi le premier procès au monde pour génocide."
Des inculpations sélectives
Il existe plusieurs motifs qui expliquent pourquoi Pol Pot et Ieng Sary ont été les seuls dirigeants Khmers Rouges à être jugés et condamnés par le TRP. Selon l'historien David Chandler, les deux hommes, dont l'on pense qu'ils résidaient en Thaïlande au moment de leur procès, avaient été "très tôt identifiés comme les ?méchants de l'histoire' dans la propagande vietnamienne." Dans leur livre de 2004 ?Getting Away with Genocide ? Elusive Justice and the Khmer Rouge Tribunal', Tom Fawthrop et Helen Jarvis estiment par ailleurs que les responsables du nouveau gouvernement Heng Samrin espéraient alors d'autres défections de dirigeants Khmers Rouges, notamment Khieu Samphan et Nuon Chea, tous deux attendent aujourd'hui leur procès devant le TKR.
Bien que Pol Pot et Ieng Sary aient été jugés par contumace, Tom Fawthrop et Helen Jarvis décrivent une atmosphère "très chargée" au théâtre Chaktomuk, "Les témoins et les observateurs fondaient régulièrement en larmes alors que les horreurs auxquelles ils avaient survécu étaient décrites dans le moindre détail". Le tribunal aura ainsi écouté 39 témoins en cinq jours. Et un reportage du ?Far Eastern Economic Review' de décrire les débats comme "une sorte de rediffusion légale d'histoires d'horreur similaires à celles racontées par les dizaines de milliers de réfugiés qui fuyaient le Kampuchéa durant les 3 ans et demi de règne de Pol Pot."Le verdict rendu un 19 août rendait les deux dirigeants coupables de génocide et les condamnait à mort, leurs propriétés étant aussi confisquées. Un verdict qui n'aura toutefois jamais été appliqué. Ieng Sary, aujourd'hui âgé de 83 ans, a été gracié en 1996 par le Roi Norodom Sihanouk en échange de son ralliement au gouvernement. Pol Pot, quant à lui, est mort dans ce qui ressemble à une crise cardiaque en 1998, juste après que les derniers Khmers Rouges aient accepté de le livrer à un tribunal international.
Des préoccupations avant tout locales
Selon les témoignages, le Tribunal révolutionnaire populaire avait trois objectifs : condamner les Khmers Rouges, légitimer le gouvernement Heng Samrin, et défendre l'invasion vietnamienne du Cambodge devant la communauté internationale. La journaliste américaine Elizabeth Becker a interrogé Pol Pot juste après la chute de son régime, et a raconté cette rencontre dans son livre ?When the War Was Over'. Et selon elle, si le TRP n'a finalement que peu réussi à influencer l'opinion internationale, l'objectif principal était probablement ailleurs. "Si le gouvernement Heng Samrin souhaitait clairement gagner une légitimité internationale par le biais de ce procès, il s'intéressait surtout à sa légitimité nationale, et il faut le noter, à donner un sens de justice pour des Cambodgiens qui avaient tant souffert."
Un article de Robbie Corey-Boulet, de notre partenaire The Phnom Penh Post
Traduit par SK (LePetitJournal.com-Cambodge) jeudi 20 août 200