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CINÉ - Silence, on finit de tourner

Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 2 avril 2010, mis à jour le 8 février 2018

Le tournage du documentaire "Le sommeil d'or" s'achève. Bientôt les anciennes salles de cinéma retrouveront leur anonymat, elles qui étaient sorties un instant de l'ombre entre les mains du réalisateur Davy Chou. Le Bokor redeviendra Karaoke, le Cinéma du Capitole salle de jeu. Silence, on finit de tourner!

Davy Chou suit avec attention le tournage (LePetitJournal.com)

Davy Chou nous accueille au cinéma du capitole, bâtiment multicolore dont on reconnaît la patte de son architecte, Van Molyvann. L'ancien temple du 7ème art est méconnaissable. Tables de ping-pong et billards verts bouteille ont remplacé les sobres toiles. Soudain le réalisateur arrive, détonnant dans son pantalon jaune et t-shirt violet. Pourtant c'est avec un sérieux très professionnel, que Davy veille jalousement sur son moniteur et malgré ses débuts en la matière, on sent la main de maître derrière cette équipe de tournage franco-khmer dépareillée. Documentaire de contraste, le "sommeil d'or" pourrait bien déterrer le cinéma d'avant guerre à travers la passion de celui qui ne l'a pas connu.

Coup de projecteur sur le cinéma d'avant guerre
Une heure durant, le futur documentaire semblera courir après le temps perdu, celui de l'industrie florissante du cinéma des années 60 et 70. Une piqure de rappel pour quelques privilégiés mais encore davantage une découverte pour le Cambodgien moyen! Si pour des années similaires de réalisation en France, nul n'est censé ignorer  "La folie des grandeurs", "La cage aux folles", "Les bronzés", "Les tontons flingueurs" ou encore "Les demoiselles de Rochefort", le souvenir des vieux films khmers est lui un fil ténu qui s'amenuise d'heure en heure. Avec Tong Ngy Kaing, assistant khmer du documentaire nous avons tenté de comprendre les raisons de ce lent oubli.

Sur les 300 films produits pendant cette période là, seuls une trentaine ont pu être sauvés de la folie de la guerre et à peine une poignée seulement est disponible à présent au grand public. Des anciens "acteurs" du milieu, les vrais comme les multiples professionnels qui entourent un film, peu ont survécu au régime des khmers rouges. Sans ses aînés expérimentés, la nouvelle génération n'a jamais pu être formée, avançant à tâtons et apprenant de ses erreurs. Si le 7éme art khmer était réputé assez florissant pour que la Thaïlande cherche à en copier les grands titres, les productions de qualité se font aujourd'hui plus rares. On comprend alors aisément l'amertume autant que la nostalgie de Tong Ngy par rapport à ce recul du cinéma: "C'était l'âge d'or du cinéma et maintenant notre niveau est proche de 0. J'en ai même honte. Il faudrait vraiment que ce documentaire aide la jeune génération à être plus attentive à  préserver notre qualité cinématographique". Difficile de ne pas se sentir en colère avec lui quand on sait que plus aucun cinéma n'a rouvert depuis au royaume. Le cinéma au pays a besoin d'investissement et de talent qu'on ne lui accorde pas encore. Pour le peuple cambodgien, l'heure est encore à la survie. En attendant les films se perdent.

Davy Chou fait son cinéma
Durant le tournage qui aura duré 1 mois sur Phnom Penh, Davy Chou et son équipe se sont promenés à la recherche du cinéma perdu des années 60 et 70.  Il a fallu aller sur les anciens lieux de projection, souvent aujourd'hui convertis en lieux de loisirs tout autres. "L'intérêt est d'y découvrir des réminiscences du passé cinématographique malgré le changement de décor" explique le réalisateur. Il citera en exemple les télés qui sont partout surélevés rapprochant l'attitude du téléspectateur de celle de l'amateur de toiles. Dans les anciens cinémas, le tournage n'a pas toujours été aisé. Il fallait s'assurer que des habitués des nouveaux lieux de loisirs répondent présents. On nous souffle à titre de petite anecdote, que les parties de ping-pong ou de billard étaient par exemple gratuites les jours de tournage! De quoi attirer des figurants improvisés! Davy Chou évoque également la difficulté morale rencontrée dans l'ancien grand cinéma"Notre découverte a été à la fois forte et violente. C'était devenu un squat. Avions-nous vraiment le droit de filmer leur précarité?".  Dans l'insalubrité des lieux, les petites péripéties de tournage se sont multipliées. Le réalisateur avoue en plaisantant: "oui, bon on est un peu retard sur le film mais c'est comme pour tous les tournages"

Entrée en scène
Pour témoigner de cette époque, l'équipe de tournage franco-khmère avait à ses côtés une actrice et trois réalisateurs, derniers souvenirs vivants d'un âge d'or d'un autre temps. Il a fallu tout le talent de Davy Chou pour les pousser à se confier. Au gré des séquences, on rencontre ainsi un des réalisateurs talentueux qui n'a jamais eu le temps de montrer son dernier film avec l'arrivée des khmers rouges. Plus déroutant encore, Pov Tevy, une actrice autrefois célèbre et témoin clé du documentaire, n'est plus que rarement arrêtée dans la rue. Et quand bien même, un fan l'aborderait, elle nie désormais son identité. Son passé glorieux appartient à une époque révolue que la Khmère désire oublier.

Nombreux sont les anciens à se rappeler les noms, l'émoi de leurs jeunes années et à regretter les projections. C'est pourtant en la jeune génération, que se trouve l'espoir le plus vif de sauvegarde du 7éme art khmer. C'est à elle que s'adresse le cri de détresse du documentaire. Tong Ngy, l'assistant  rapporte un message fort. "Plus nous arriverons à convaincre de fans, plus nous arriverons à trouver ces anciens films et à les rendre accessible au public". Il fait lui aussi partie de cette génération de nouveaux "acteurs" du monde du cinéma, des jeunes professionnels émus comme lui par la beauté des anciens films. Le Khmer se souvient ainsi de l'émotion ressentie en visionnant le vieux succès "12 s?urs": "C'est devenu mon film préféré, il n'y a aucune comparaison possible". A travers Tong Ngy et autres passionnés, brille encore la petite étincelle de vie de ce cinéma oublié.

Chaque nouveau spectateur est finalement un  artisan de la survie du cinéma d'avant guerre, qu'il soit professionnel ou non. "Le sommeil d'or", un documentaire qu'il faudra guetter, pour devenir soi même colporteur de son souvenir.

Marion Le Texier (www.lepetitjournal.com/cambodge.html) vendredi 2 avril 2010

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