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SANDA VOICA - "D’ailleurs, j’ai toujours été ailleurs"

Écrit par Lepetitjournal Bucarest
Publié le 15 mai 2017, mis à jour le 29 mai 2017

Elle signe son volume de début en Roumanie avec le recueil de poésies « Diavolul are ochi alba?tri » (éditions Vinea 1999) sous le nom d'Alexandra Voicu. Arrivée en France la même année, elle décide d'écrire en français et prend le nom de Sanda Voïca. Elle publie des textes, des collages et des photos (« Moebius », « La Page blanche », « Place de la Sorbonne », « Terre à ciel », « Ce qui reste », « Recours au poème »). « Exils de mon exil » (Éditions Passage d'encres) et « Epopopoèmémés » (Éditions Impeccables) sont ses deux volumes de poésie publiés en français en 2015. Pourquoi avoir décidé d'écrire en français ? Quel sens donne-t-elle à sa condition de poète d'origine roumaine et de langue française ? Voici son témoignage.

 

D'ailleurs, toujours ailleurs ? comme tout écrivain. Mais un ailleurs finalement ciblé ou concrétisé dans un pays autre que celui où je suis née. Pourquoi la France ? En fait, j'écris pour répondre aussi à cette question : pourquoi écrire finalement en français ?

Mon premier livre publié, en 1999, en roumain, en Roumanie, par Nicolae Tzone, contenait déjà deux-trois poèmes écrits directement en français. Un filon souterrain, très profond, montait et m'abreuvait jusqu'à ce que je me décide de quitter la Roumanie, assez tard ? vers mes 37 ans ? et m'établir en France, en 1999 donc, où, dès le début, j'ai écrit seulement en français. J'ai publié des textes variés, poèmes, prose et notes critiques, dans plusieurs revues littéraires françaises, et, les dernières années, deux volumes, Exils de mon exil et Epopopoèmémés, et quelques autres plaquettes. J'ai aussi été présente dans une anthologie de poésie écrite par des femmes qui vivent en Normandie. J'ai même créé une revue littéraire numérique et papier, « Paysages écrits » 1

Dans les premiers numéros, je n'ai publié que des auteurs français, mais voilà que le roumain et la Roumanie m'ont rattrapée et j'ai créé une rubrique, « Des pays en poésie », où la Roumanie a maintenant une place permanente, mais d'autres pays y sont présents.

Pourquoi le français ? Peut-être parce, en 1990, suite à un séjour en France, pendant l'été, j'ai vu, dans une ruelle de Paris, mes ancêtres suspendus sur un fil, morts mais pas décomposés. J'ai su qu'il fallait aller les chercher, les voir de plus près, pour comprendre qui ils sont. Mais je suis d'abord retournée en Roumanie ? un détour de plusieurs années de vie et de travail, avant de revenir en France et m'y installer, en 1999. Détour et? lenteur, parce que c'est aussi ma façon d'être : je prends mon temps, comme l'escargot? D'où le retard dans mes publications, quand mes tiroirs, pour ne pas dire armoires, sont plein(e)s de manuscrits?

Finalement, j'écris dans une langue à ma portée, dont l'expression ou l'enveloppe est roumaine et /ou française et qui n'est qu'un accident de parcours? de vie.
La poésie est la source et l'eau qui en jaillit, l'écriture, c'est le vase, la cruche qui la transporte. Vers qui ?
Tremblement permanent, mon identité.

Comme si j'avais touché, déjà, en écrivant en roumain, les limites d'un langage, qui sont aussi les limites d'un monde. Et si j'écris maintenant seulement en français, je me retrouve toujours à frôler des nouvelles limites : d'une autre langue et d'un nouveau monde. Peut-être? mes propres limites. Certainement.
D'où l'envie de les transgresser sans fin.

Dans mon recueil, "Exils de mon exil", j'avais suggéré ou dit explicitement que l'écriture en soi, tout poème donc, est un? exil.
Et voilà, peut-être plus convaincante, la fin d'un poème, « Je suis ici », de mon recueil, Epopopoèmémés, paru en France en 2015 aux éditions Impeccables :

« Me voilà ici en grande interprète, traductrice d'une langue qui ne se révèle à moi que de temps en temps.
Me voilà ici ? loin des Cantacuzènes-fanariotes, dont le sang doit couler aussi dans le mien, selon ma vision d'il y a vingt ans : mes ancêtres vivent encore à Paris, héritiers des Cantacuzènes roumains.

Je suis ici. Mais qui suis-je ? Berka hier, l'ashkénaze aujourd'hui, la Cantacuzène avant-hier.
Non pas une balade sauvage ? mais oh, combien culturelle et culte, celle de Terrence Malick, vu l'autre soir au cinéma ! ?
Mais une balade CULTUELLE : je voue un culte ? d'où mes prières sauvages ? à mes hétéronymes.
Mais pas à moi : j'y échappe, comme la langue dont je traduis parfois, et qui m'échappe aussi / toujours. »


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Propos recueillis par Dan Burcea (lepetitjournal.com/bucarest) mardi 16 mai 2017

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Publié le 15 mai 2017, mis à jour le 29 mai 2017

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