On pourrait dire que les grands écrivains roumains du XXe siècle ont su mettre à profit le contexte de l’union de 1918, pour faire sortir la littérature roumaine de l'ombre et l’intégrer dans la grande littérature européenne ; l’humble parler valaque est devenu la langue d’un État indépendant, moderne et par-dessus tout, unifié. La personnalité controversée et plurivalente d'Eugène Ionesco s’oppose à toute taxinomie socioculturelle ou littéraire - dans sa vision, les définitions n’étaient que des limites ; c’était suffisant de trouver un mot en vogue, flou, dépourvu de contenu, mais capable de tout définir. Il soutenait son hypothèse affirmant qu’au-delà de la notion d’écrivain de l’absurde, la société trouvera sans effort un autre mot pour se définir et définir les autres écrivains.
L’écrivain d’expression franco-roumaine est né en 1909, à Slatina ; il est baptisé avec le nom de son père, l’avocat Eugène Ionesco et de sa mère, Marie-Thérèse Ipcar, il hérite les racines francophones. Sa famille s’établit en France en 1911, où il passe sa petite enfance, rentrant dans son pays natal avec sa sœur, suite au divorce de ses parents, au début des années 20. Son intérêt particulier et précoce pour la littérature est révélé par ses premiers vers, écrits à l’âge de onze ans. Ses débuts littéraires ne démarrent vraiment qu'en 1927, dans la revue littéraire du Lycée « Saint Sava » de Bucarest, où Ionesco suivait alors des cours. En 1929, il étudie à la Faculté de Lettres, où il approfondit ses connaissances en langue et en littérature française. Sa prédilection pour les revues littéraires avant-gardistes se fait ressentir par des chroniques qui s’attachaient aussi au domaine de l’art plastique. Le premier volume paru, "Effigies pour les êtres petits" (1931) contient des vers, et trois années plus tard, ses chroniques de critique littéraire sont réunies dans le volume "Non".
L’unique et grand amour d’Eugène Ionesco a été sa femme, Rodica Burileanu ; après le mariage, le couple part s'installer à Paris en 1938, l’écrivain y travaille comme attaché culturel du gouvernement roumain et prépare sa thèse de doctorat. Malheureusement, il n’acquiert jamais le titre de docteur, parce que la Deuxième Guerre mondiale l’oblige à revenir en Roumanie avant de passer sa soutenance.
Ionesco revient en France en 1942, avec sa femme et sa fille, Marie-France Ionesco, obtenant la nationalité française après la fin de la guerre ; sa nature pacifiste est déçue par l’évolution du conflit armé et aussi par la situation politique de la Roumanie. L’ensemble de son œuvre écrite pendant l’émigration déborde d’allusions à son pays natal, mais sans employer son nom ou des dérivés éventuels. Il semble obsédé par le destin des États de l’Europe orientale, qui revient fréquemment dans ses écrits mémoriaux, dont son "Journal en miettes" ou "Passé présent, présent passé", considérant que l’existence de leurs sociétés se résumait à une attente inutile, suite au fait qu’« aucun système politique ne saurait nous libérer de la souffrance de vivre, de la peur de la mort, de notre soif de l’absolu ».
La première de l’anti-pièce "La cantatrice chauve", de 1950, marque son début littéraire et théâtral à Paris, celle-ci étant suivie par : "La Leçon", "Les Chaises", "Victimes du devoir", "Rhinocéros", "Le roi se meurt" ou encore "La Soif et la Faim". Son œuvre théâtrale a été publiée en sept volumes par la maison d’édition Gallimard, dès 1954 ; de plus, il écrit des essais (Notes et contre-notes), s'essayant aussi à l'exercice du journal. Parmi ses traductions en langue française, on trouve : le recueil de nouvelles de Pavel Dan, Le Père Urcan, les vers de Tudor Arghezi et Lucian Blaga, la prose d’Urmuz et le théâtre de Caragiale. Il rédige la préface de "Onze récits", une traduction française des poèmes d’Ilarie Voronca et on lui doit également l’introduction du terme roumanisme dans un contexte littéraire.
Eugène Ionesco fut élu membre de l’Académie française en 1970, occupant le fauteuil de Jean Paulhan et membre de l’Académie roumaine en 2009, quinze année après sa mort. Vers la fin de sa vie, le sort lui a fait son plus grand cadeau, son œuvre théâtrale est publiée de son vivant dans un volume de la prestigieuse collection de la Pléiade.
Source: Academie-francaise.fr
Ana-Maria Roșca
Article réalisé dans le cadre du Programme Culturel București - Centenar avec le soutien de Primăriei Municipiului București à travers Administrația Monumentelor și Patrimoniului Turistic