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Rencontre avec Vincent Henry, directeur délégué de l’Institut français à Iasi

Vincent Henry, directeur délégué de l’Institut français à Iasi en RoumanieVincent Henry, directeur délégué de l’Institut français à Iasi en Roumanie
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 9 janvier 2023

Pour cette rentrée 2023, notre rédaction est allée à la rencontre du nouveau directeur délégué de l’Institut français de Roumanie à Iasi, Vincent Henry.

 

La ville de Iasi et la Moldavie sont très liées à la France. La langue et la culture française ont joué un rôle essentiel dans la formation des élites intellectuelles, politiques et culturelles. Iasi est la ville où est née la Roumanie moderne et la France a été un acteur majeur de ce processus d’union des principautés roumaines.

 

Grégory Rateau : Pouvez-vous vous présenter brièvement?

Vincent Henry : Je suis arrivé récemment à Iasi mais mon parcours professionnel est très lié à la région et à la Roumanie plus particulièrement. J’ai une formation initiale de lettres modernes qui m’a conduit, un peu par hasard, à enseigner le français à l’université de Veliko-Tarnovo en Bulgarie, j’ai ensuite travaillé pour l’Alliance française de Moldavie, à Chisinau avant d’arriver à Bucarest, au bureau régional de l’Agence universitaire de la Francophonie. J’ai pu vivre dans trois pays alors en profonde transformation et cela m’a passionné et intrigué. De retour en France, je me suis tourné vers l’étude des relations internationales puis des sciences politiques jusqu’à la rédaction d’une thèse sur les relations entre la Moldavie et l’Union européenne à l’université Paris-Est. J’ai ensuite séjourné plusieurs années à Cluj où j’ai travaillé successivement pour l’Institut français, l’agence Expertise France et enseigné plusieurs années à l’université Babes-Bolyai. D’un point de vue strictement professionnel, mon parcours n’est pas très cohérent, il reflète plutôt l’envie de poursuivre une expérience dans une région de l’Europe qui m’a construit, intellectuellement et humainement.

 

Vous dirigez l'Institut français de Iasi depuis peu. Comment percevez-vous la ville de Iasi? Vos premières impressions quant à vos nouvelles fonctions?

Je suis directeur délégué de l’Institut français de Roumanie à Iasi, cette nuance a son importance, l’Institut Français de Roumanie est un établissement unique, il détermine une politique et des actions pour tout le pays. Les antennes de l’Institut en province ont un rôle essentiel pour les relayer, les mettre en place et les adapter dans les différentes villes et régions dans lesquelles elles sont implantées. Mon rôle et celui de toute l’équipe de l’Institut français de Roumanie à Iasi est d’identifier les partenaires et les publics susceptibles d’être intéressés et de bénéficier des activités que nous proposons. Il est aussi d’identifier les centres d’intérêt de publics déjà existant ou restant à découvrir et qui seront susceptibles de faire évoluer nos actions à venir. Cela revient à prendre le pouls d’une société en pleine évolution. C’est un passionnant travail de découverte, de rencontres et de dialogue dans des univers très variés.

 

Iasi est une ville où la littérature mais surtout la poésie sont très valorisées. Quelle place occupera la culture dans vos programmations à venir?

Je me méfie de ce genre de catégorisation. Iasi est liée à de très grands noms de la littérature roumaine et elle en tire une certaine fierté. Cet attachement à la littérature et plus largement à l’histoire se retrouve dans l’activité d’une grande maison d’édition comme Polirom, dans celle du musée national de la littérature à Iasi qui gère plus d’une dizaine de sites allant des classiques maisons d’écrivains ouvertes au public au très novateur « musée de la poésie ». Chaque année, la ville vit quelques jours au rythme de ce grand festival de littérature qu’est le FILIT qui réunit écrivains et traducteurs du monde entier.

Dans le même temps, la ville manque d’une belle librairie accueillante et les bibliothèques publiques sont rarement pleines. Comme ailleurs en Roumanie, la littérature est sacralisée et le nombre de lecteurs réguliers diminue.

Je me méfie en général de ce genre de catégorisation. Une ville serait celle des affaires, celle-là celle de la littérature, l’autre celle des nouvelles technologies…Or, toutes les grandes villes universitaires de Roumanie ont finalement une dynamique similaire. Elles attirent une population jeune et bien formée dont les pratiques culturelles et les centres d’intérêt sont en pleine évolution, elles laissent souvent de côté de larges pans de la population qui n’ont pas les clés des pratiques culturelles consacrées.

La culture est au cœur de nos activités mais il nous faut la comprendre au sens large. Notre programmation comprend donc des évènements littéraires, des concerts, des conférences, des expositions d’art plastique ou du spectacle vivant mais nous voulons également nous ouvrir plus largement à d’autres formes de culture ; aux sciences de la nature, à la gastronomie, au sport, aux cultures numériques. Il en faut pour tous les âges et tous les publics.

 

Diriez-vous que la ville de Iasi est particulièrement francophone, francophile? Quelle place y occupe la langue française?

La ville de Iasi et la Moldavie sont très liées à la France. La langue et la culture française ont joué un rôle essentiel dans la formation des élites intellectuelles, politiques et culturelles. Iasi est la ville où est née la Roumanie moderne et la France a été un acteur majeur de ce processus d’union des principautés roumaines.

Ces liens sont aussi des liens du sang dans une région où soldats roumains et français ont combattu côte à côte pendant la première guerre mondiale ce qui a une résonance particulière dans le contexte actuel.

Cet attachement à la France est porté par celles et ceux qui transmettent cette histoire. Il est inscrit dans les pierres, se découvre au fil des rues. Oui, je parlerais d’une ville où la francophilie est toujours palpable.

On trouve à Iasi des francophones dont la maitrise de notre langue pourrait faire rougir bien des Français, la ville accueille un lycée bilingue prestigieux, une forte communauté d’enseignants transmet avec passion le goût du français à leurs élèves mais il ne faut pas se bercer d’illusion, sa pratique est moins forte qu’elle n’a pu l’être, notamment parmi les plus jeunes. C’est pourquoi une part croissante de nos activités se déroule aussi en roumain.

On entend toutefois fréquemment le français dans les rues de la ville, Iasi est une ville ouverte au monde où vivent plus d’un millier d’étudiants dont le français est la langue maternelle, ils sont une nouvelle facette de la francophonie à Iasi.

 

Pensez-vous que le secteur culturel puisse encore fédérer du monde?

Oui, bien sûr. Une part importante de la population reste éloignée des pratiques culturelles et c’est au secteur culturel d’aller à la conquête de ce public, c’est possible en considérant la culture comme un bien à partager et non pas un moyen de se distinguer et cela peut se faire en conservant un niveau d’exigence artistique élevé. De nombreuses institutions et organisations culturelles ont cette démarche, en Moldavie je pense, par exemple, aux organisateurs du FILIT ou au théâtre de la jeunesse de Piatra-Neamt. S’il veut attirer plus vers lui, le secteur culturel ne peut pas se permettre de rester dans l’entre-soi et l’auto-contemplation.

 

Un lieu, un évènement en particulier que vous aimeriez recommander à nos lecteurs s'ils venaient à passer par Iasi?

Vous êtes vous-même un grand lecteur, vous connaissez la figure du « wanderer », ce promeneur errant, ce voyageur qui observe. C’est cette attitude là que je recommanderais au lecteur ou à la lectrice de passage à Iasi. La ville est un petit peu labyrinthique, bâtie sur plusieurs collines, plusieurs niveaux, on s’y perd facilement mais jamais complétement.

En se promenant ainsi au hasard, on va de découvertes en surprises, on passe des monuments religieux du XVIe, d’une valeur exceptionnelle, aux imposantes demeures du XIXe, de la modernité tapageuse aux petites rues pavées, pentues et bordées de jardins, des souvenirs de la ville juive à l’imposant héritage de l’époque socialiste, par endroit, on peut même tomber sur des inscriptions ottomanes. Tout s’entremêle, déambuler à Iasi, c’est feuilleter un livre d’histoire dont les pages auraient été mélangées.

La ville a parfois l’allure d’une désespérante mer de béton avant de laisser place à des quartiers très verts où la nature a encore sa place. C’est en allant du centre-ville à cette zone de grands parcs (le parc Maiorescu, le parc Copou, le jardin botanique) que vos lecteurs trouveront l’Institut français, je leur recommanderais, là aussi, de nous rendre visite.

grégory rateau
Publié le 9 janvier 2023, mis à jour le 9 janvier 2023

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