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Interview avec le musicien français David Brossier, passionné de musiques roumaines

Après des études de musique classique, le violoniste David Brossier plonge dans l’univers foisonnant des musiques traditionnelles. Formé auprès de musiciens roumains, il s’approprie avec finesse les répertoires des Balkans et de Roumanie. Aujourd’hui, il dirige plusieurs formations, dont le Quintet Bumbac et Uzac Taraf, avec lesquelles il développe un travail de composition original.

David Brossier musicienDavid Brossier musicien
Écrit par Ilona Lespinasse
Publié le 27 juillet 2025, mis à jour le 28 juillet 2025

 

En Roumanie, j’ai rencontré des musiciens qui m’ont ouvert leurs portes, qui m’ont transmis des mélodies, des styles, une culture. Beaucoup avaient peur que cette musique disparaisse, face aux influences plus modernes, parfois superficielles.

Ilona Lespinasse : Votre intérêt pour les musiques traditionnelles émerge alors que vous êtes encore jeune adulte, et se précise lors d’un voyage en Roumanie. Qu’est-ce qui vous a touché dans cette musique ?

David Brossier : C’est toujours difficile d’expliquer ce qui nous attire dans une musique. Ce n’est pas quelque chose de rationnel. J’ai commencé le violon enfant, par la musique classique. Vers 14-15 ans, j’ai découvert les musiques populaires de la région où j’ai grandi, autour de Gap, dans les Alpes du Sud. À travers des rencontres, j’ai découvert les musiques de Roumanie et plus largement des Balkans. C’était presque à l’opposé de ce que je vivais alors avec la musique classique, que je ressentais comme très contraignante, rigide. Dans les musiques des Balkans, il y avait une liberté, une part d’improvisation, des couleurs nouvelles, parfois étranges selon les régions et les répertoires. Cela m’a profondément interpellé. Et puis, il y a ce mélange très fort d’émotions contrastées : des mélodies qui portent un poids, parfois une tristesse, mais toujours portées par des rythmes de danse. Ce contraste m’a touché.

 

I.L. : Quel lien entretenez-vous aujourd’hui avec la musique roumaine, et plus largement avec la Roumanie ?

D.B. : Aujourd’hui, je suis musicien professionnel, et ces musiques sont à la fois mon univers artistique et mon moyen de subsistance. Je continue à les pratiquer, à les étudier, à apprendre. Je retourne régulièrement en Roumanie pour nourrir ce lien.

 

I.L. : Vous avez été formé auprès de grands maîtres roumains et moldaves. Était-ce, selon vous, un passage obligé ?

D.B. : Ce qui me paraît essentiel, c’est de rencontrer des musiciens qui pratiquent réellement cette musique, dans son contexte. On ne peut pas comprendre la musique roumaine si on ne comprend pas l’endroit et la manière dont elle se joue. Les échanges avec les musiciens sur place sont passionnants, car la musique ne se vit pas de la même façon qu’en France.

 

I.L. : Vous avez collaboré avec de nombreux artistes, comme Geta Burlacu, Georgel Stan, mais aussi avec des fanfares et des orchestres. Qu’ont apporté ces collaborations à votre parcours ?

D.B. : Elles m’ont beaucoup enrichi. Jouer avec ces artistes m’a permis de me rapprocher de la culture roumaine. J’aime les musiques populaires dans leur diversité, mais j’aime aussi les explorer dans différents styles. Avec le Quintet Bumbac, par exemple, j’écris toutes les mélodies, inspirées des Balkans, mais ce n’est pas de la musique à danser, et on ne joue pas forcément dans les mêmes contextes que les musiciens traditionnels. Les mélodies sont souvent inattendues. Mais j’aime aussi me retrouver plongé dans le contexte traditionnel, avec ses codes.

 

I.L. : Votre instrument principal est un violon à cinq cordes, conçu avec le luthier marseillais André Sakellarides. Est-ce votre moyen d’expression privilégié ?

D.B. : La relation avec l’instrument est toujours complexe pour un musicien, car elle est quotidienne, intime. Il nous apporte beaucoup, mais demande aussi un réel engagement. Trouver un instrument qui corresponde à la musique que l’on joue est encore plus difficile que de trouver un “bon” instrument. Un violon parfait pour la musique baroque ou classique peut ne pas du tout convenir à la musique populaire des Balkans. À un moment, je cherchais des choses qu’un violon traditionnel ne m’apportait pas. J’ai alors rencontré André Sakellarides, qui a cette particularité de créer aussi des instruments atypiques. Je lui ai demandé un violon davantage orienté vers les graves. Il a une cinquième corde, et des cordes sympathiques qui résonnent à vide à travers le manche. Cet instrument a profondément changé mon jeu. Il m’a énormément apporté.

 

I.L. : Vous organisez depuis près de vingt ans des stages autour des musiques des Balkans, et participez à des conférences. Cela témoigne d’une forte volonté de transmission. Pourquoi cela vous tient-il à cœur ?

D.B. : Pour moi, c’est une forme de responsabilité. En Roumanie, j’ai rencontré des musiciens qui m’ont ouvert leurs portes, qui m’ont transmis des mélodies, des styles, une culture. Beaucoup avaient peur que cette musique disparaisse, face aux influences plus modernes, parfois superficielles. Certains m’ont dit : « Tu peux interpréter à ta manière, mais veille à garder l’essence de cette mélodie, ce qui en fait une mélodie d’“obtention”, par exemple. » La transmission est une part essentielle du rôle du musicien populaire. Je la pratique à travers des stages intensifs, qui répondent bien aux attentes des musiciens en France. C’est un bon format pour ceux qui veulent se lancer ou approfondir leur pratique.

 

I.L. : En 2015, vous créez Quintet Bumbac, avec lequel vous venez de sortir un nouvel album, Héritages. Quelle place occupe ce groupe dans votre vie ?

D.B. : C’est vraiment ma formation principale. C’est notre troisième album, mais le premier où j’ai assuré à la fois l’écriture musicale et la direction artistique. Cela m’offre une grande liberté. J’ai pu aller très loin dans l’écriture, dans les intentions. Sur cet album, j’ai pris le temps de composer des mélodies qui portent un message plus politique : j’ai voulu souligner la fraternité entre les musiciens et les peuples des Balkans, rappeler que les échanges ont toujours existé. La musique rassemble, et c’est cette idée que je veux porter avec Bumbac.

 

I.L. : Diriez-vous que l’intérêt des Français pour les musiques roumaines et balkaniques est en hausse ou en baisse ?

D.B. : Si je me fie aux demandes que je reçois pour mes stages, il est clairement en hausse. Il y a aujourd’hui de nombreux musiciens professionnels qui se spécialisent dans ces musiques. Cela dit, l’intérêt du public varie selon les modes ou les programmations. Mais du côté des musiciens, l’engagement est réel. Il y a vingt ans, sur mes élèves, un ou deux allaient peut-être un jour en Roumanie. Aujourd’hui, la moitié d’entre eux y sont déjà allés ou prévoient d’y aller. C’est très encourageant.

 

I.L. : Pour finir, quels sont vos projets en cours ?

D.B. : Je mène actuellement plusieurs projets de front. Le principal, c’est Uzac Taraf, une sorte de version électrique du Quintet Bumbac. C’est une formation plus énergique, inspirée davantage du sud des Balkans. Elle inclut une chanteuse, et je chante moi-même un peu aussi. J’ai même écrit quelques paroles en roumain. C’est un projet plus contemporain, mais toujours ancré dans cette culture musicale que je continue d’explorer.

 

Publié le 28 juillet 2025, mis à jour le 28 juillet 2025
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