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Etienne Ruhaud l'éditeur du roman sur l'actrice Aurora Cornu nous raconte sa Roumanie

Etienne Ruhaud l'éditeur du roman sur l'actrice Aurora Cornu nous raconte sa RoumanieEtienne Ruhaud l'éditeur du roman sur l'actrice Aurora Cornu nous raconte sa Roumanie
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 29 mai 2023, mis à jour le 29 mai 2023

Nous rencontrons Etienne Ruhaud, éditeur et auteur français qui vient d'éditer un roman intimiste ayant pour titre et pour sujet l'actrice roumaine Aurora Cornu. Certains de ses livres ont été traduits en roumain par Alina Pelea et Rodica Baconsky. A cette occasion, il revient également sur son expérience roumaine.

 

 

J’ai trouvé le pays authentique et varié. J’ai été surpris également par la joie de vivre, souvent, malgré certaines formes de pauvreté. Je voudrais découvrir d’autres coins. De plus la côte est très agréable, quoi qu’en dise Ovide (mort à Constanta, en exil), dans Les Tristes.

 

Grégory Rateau: Quand et dans quelles circonstances avez-vous découvert la Roumanie ?

Mon premier souvenir de Roumanie est lié aux événements de 1989. Je me rappelle du renversement de Ceausescu, à la télévision, et des terribles images qui nous parvenaient.

J’ai ensuite résolu d’aller dans ce pays en 2016. Il s’agissait d’un choix économique. Je souhaitais quitter la France pendant les vacances d’été, mais n’avais pas beaucoup de moyens. De fait, la Roumanie représentait une destination peu onéreuse, un peu exotique. J’ai donc pris un avion low-cost pour Bucarest, et j’ai adoré. J’ai peut-être tout autant apprécié l’architecture soviétique de la ville, que les parcs, les musées quasi déserts. Le pays offre plusieurs facettes : d’un côté la mer Noire, avec Constanta et son casino abandonné, ses plages immenses, de l’autre, la forêt un peu austère de Brasov, en Transylvanie. Par la suite, j’ai chroniqué le roman de Diana Adamek, La douce histoire du triste éléphant, et donc j’ai rencontré, en quelque sorte, la Roumanie littéraire, le milieu des Lettres roumaines. Certains de mes livres ont également eu l'honneur d'être traduits en roumain par Alina Pelea et Rodica Baconsky.

 

Une anecdote, une rencontre à nous faire partager ?

À Constanta, j’ai constaté qu’il existait des sortes de taxis collectifs sous forme de minibus. Aucune des règles de sécurité préconisées par l’Union Européenne n’est évidemment respectée. J’ai trouvé cela amusant. J’y ai vu comme une sorte de retour vers le futur, comme si on voyageait dans un pays authentique, moins domestiqué, moins aseptisé. De même, j’ai constaté que beaucoup de jeunes portaient des tee-shirts à l’effigie des groupes de métal. Ça m’a rappelé les années 90.

 

Pensez-vous revenir un jour en Roumanie ? Si oui pourquoi ?

Oui, j’aimerais beaucoup. J’ai trouvé le pays authentique et varié. J’ai été surpris également par la joie de vivre, souvent, malgré certaines formes de pauvreté. Je voudrais découvrir d’autres coins. De plus la côte est très agréable, quoi qu’en dise Ovide (mort à Constanta, en exil), dans Les Tristes.

 

Vous êtes à la fois auteur, éditeur, gardien de musée mais aussi critique. Comment conjuguer ces différentes activités ?

Je ne déteste pas mon travail d’agent d’accueil, mais il demeure alimentaire. Je dirige en effet la collection « Eléphant blanc » depuis deux ans chez Unicité et ne sors que peu de livres (huit, à l’heure actuelle, depuis 2021). Cela demande un peu d’application et d’organisation, certes, un suivi des auteurs. Ce n’est toutefois pas hyper absorbant. L’écriture est pour moi essentielle. J’ai toujours écrit : qu’il s’agisse de poésie, de lettres, de journaux intimes. La critique, c’est encore autre chose. Il m’arrive d’avoir des coups de cœur. En fait, je me perçois d’abord comme étant un lecteur. Je n’ai pas d’efforts à fournir à ce niveau-là. La littérature correspond à un besoin. De surcroît, j’estime que toutes ces activités (lecture, édition…) nourrissent l’écriture, la modifient, l’enrichissent. On ne perd jamais son temps.

 

Parlez-nous du roman que vous avez publié récemment de Pierre Cormary, Aurora Cornu, sur l'actrice et romancière roumaine qui a été l'interprète culte dans le film Le Genou de Claire d'Eric Rohmer.

J’ai d’abord croisé Pierre Cormary, agent d’accueil muséal lui aussi, sur Facebook. Nous avions des amis communs. Nous avons rapidement sympathisé. Comme je connaissais déjà ses articles, qui me paraissaient à la fois fins et bien rédigés, je lui ai demandé s’il avait un manuscrit « complet » en réserve, tout en l’avertissant du fait que nous étions une toute petite maison. Aurora Cornu évoque la relation amicale extrêmement profonde qu’a vécue Pierre avec une des actrices du film de Rohmer. Relation platonique, comme il s’en explique dans le livre. C’est aussi la naissance d’un écrivain. Femme de Lettres, comédienne, cinéaste et accoucheuse octogénaire, ayant vécu plusieurs vies, Aurora a permis à Pierre de se réaliser. Elle l’a en quelque sorte formé, préparé à devenir auteur. C’est donc également une sorte de roman de formation autobiographique, en partie autofictionnel : celui d’un quadragénaire un peu désabusé, et qui fait une rencontre décisive. Pierre et moi avons beaucoup retravaillé le manuscrit. Nous publions la suite cet automne ; Les Trolls. Pierre y évoque cette fois le phénomène du harcèlement en ligne.

 

Aurora Cornu dans le film le Genou de Claire d'Eric Rohmer

Aurora Cornu dans le film le Genou de Claire d'Eric Rohmer

 

Etes-vous un éditeur qui intervient aussi dans le travail de réécriture ?

Oui, en partie. J’essaie de comprendre ce que veut dire l’auteur sans imposer à l’excès ma propre patte. Par exemple, Pierre aime la digression, les phrases longues. Je suis plus classique dans mes choix. Donc, j’ai tenté de concilier sa propre approche du réel, très différente de la mienne, avec ce que j’attendais. Je pense que cela a fonctionné. Il faut, naturellement, une bonne entente dès le départ. J’essaie par ailleurs de ne pas me montrer trop directif, car cela peut casser l’écrivain, auquel j’accorde par ailleurs une totale liberté d’expression (contenue malgré tout dans les bornes de la loi).

 

Votre "engagement" passe-t-il essentiellement par l'écriture ?

Je me méfie un peu de la notion d’engagement, au sens sartrien du terme. L’auteur n’a pas forcément pour vocation de changer le monde (le peut-il, d’ailleurs ?). Mais disons que j’aimerais surtout poursuivre mon œuvre. J’ai écrit un roman, publié il y a dix ans, Disparaître. L’exercice du récit est très compliqué : il faut créer des figures de papier, alterner descriptions et dialogues, construire une trame narrative efficace… Bref. Je vais retenter la chose.

 

Comment définiriez-vous votre œuvre en cours ?

Je tiens un journal intime depuis 2014 mais ce n’est pas littéraire, et tiens le blog « Page paysage ». Je prépare également, actuellement, un essai sur les tombes de surréalistes au Père-Lachaise et ailleurs. Essai pour lequel je bénéficie de la bourse Sarane Alexandrian, remise par la Société des Gens de Lettres. C’est compliqué mais passionnant. Il faut mener l’enquête : retrouver des sépultures en fouillant les journaux, les actes d’inhumation, consulter les proches, les sites de généalogie… Parfois dénicher quelques indices biographiques à partir d’articles, de lettres, de citations… Certains créateurs, comme le surréaliste américain John Clarence Laughlin, demeurent parfaitement méconnus. Je compte terminer dans les mois qui viennent. J’écris également des articles critiques, passe des interviews. Je souhaite compiler l’ensemble et l’éditer sous forme de livre. Et j’ai encore bien d’autres projets… Toutefois je dois me discipliner, et ne courir qu’un (ou deux) lièvres à la fois.

 

Votre collection chez Unicité, Elephant blanc, fait la part belle à une écriture expérimentale héritée du courant surréaliste. Pourquoi ce choix ?

J’ai toujours apprécié le surréalisme. Mes premières émotions picturales demeurent liées à Salvador Dali ou à René Magritte, ainsi qu’à Jérôme Bosch (qui n’était pas surréaliste, mais qui fut célébré par Breton). J’ai par la suite découvert Robert Desnos grâce aux Chantefables, et mon mémoire de maîtrise portait sur la poésie d’Apollinaire, créateur du terme même de « surréalisme » dans Les Mamelles de Tirésias. Actuellement, comme je l’ai dit, j’écris cet essai et mon inspiration poétique demeure liée au surréalisme (qu’il s’agisse du recueil Petites fables, sorti chez Rafaël de Surtis en 2009, Paul Sanda étant lui-même surréaliste, ou d’Animaux). Au départ, je pensais me cantonner à ce mouvement, qui s’est malgré tout essoufflé depuis la disparition de Jean Schuster (entre autres). Puis j’ai rencontré Paul Vecchiali, et j’ai décidé de m’ouvrir à autre chose. Je continuerai par ailleurs, malgré tout, à éditer des textes en rapport avec ce mouvement Début 2024, nous sortons donc Adieu, Margot, de la Roumaine Diana Adamek (traduite par Alina Pellea et Rodica Baconski), et par la suite nous devrions éditer un essai de Bruno Geneste, autour d’André Breton.

 

Etienne Ruhaud

Pensez-vous que la poésie offre une liberté d'expression différente de la littérature dans le contexte éditorial actuel ?

C’est une vraie question. On retrouve les mêmes réflexes conformistes et les mêmes tabous dans le champ poétique que dans le champ romanesque, je pense, ainsi que les mêmes réflexes moutonniers. De plus, je ne sais pas si l’édition était plus libre par le passé. D’autres formes de morale apparaissent au fil du temps. Avant, c’était le catholicisme. Sous la guerre d’Algérie, les livres de Pierre Guyotat ou de Bernard Noël furent interdits au nom des bonnes mœurs. Désormais, c’est plutôt le wokisme, avec le phénomène inquiétant des sensitive readers et d’une sorte de nouvelle inquisition, qui se prétend pourtant libertaire. Je pense que l’éditeur doit être courageux et passer outre certains diktats, sans quoi il ne risque plus de que produire de la soupe. La littérature est là pour tout dire, y compris ce qui choque, ou blesse. On sent rapidement ce qui est faux.

 

Pensez-vous que ces deux arts peuvent encore avoir un impact sur nos sociétés hyper connectées où les écrans prennent une grande place ?

Quand on emprunte les transports, on est en effet frappé par le nombre de gens rivés à leurs smartphones. Toutefois, beaucoup lisent encore, et j’ai cru savoir que la vente des recueils poétiques augmentait. Il y aura toujours des livres, et des gens qui les aiment. Ainsi, pareillement, nombre de nouvelles librairies ont ouvert après la crise du COVID. Maintenant, et pour rester lucide, il est évident que l’hyperconnexion demeure chronophage, et donc prend sûrement sur le temps de lecture, altère la concentration. La littérature, comme le cinéma, gardent évidemment un impact. Il suffit de voir quel scandale peut provoquer tel ou tel livre-choc sur l’opinion !

 

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