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COUPLE FRANCO-ROUMAIN - Jean-Pierre et Radu

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Écrit par Grégory Rateau
Publié le 5 octobre 2018, mis à jour le 5 octobre 2018

Un jour avant le référendum sur la redéfinition de la famille dans la constitution, notre rédaction a décidé d'aller à la rencontre d'un nouveau couple franco-roumain, un Français, Jean-Pierre, qui a longtemps travaillé dans l'humanitaire et Radu, un Roumain travaillant dans le milieu médical. Pendant longtemps ils se sont cachés, aujourd'hui ils ont décidé de vivre leur amour au grand jour.

 

Grégory Rateau: Pouvez-vous nous présenter brièvement votre parcours?


Jean-Pierre : Brièvement ? Ça va être difficile. Je dirais que ce n'est pas le hasard qui nous a fait nous rencontrer et que c'est bien la Roumanie qui est à l'origine de notre rencontre. J'ai vécu trois ans en Roumanie à Sibiu, dans le cadre d'une activité humanitaire (je travaille dans le milieu médico-social). Ces trois années resteront pour moi les trois plus belles années de ma vie, celles qui m'ont fait aimer ce pays que je considère à présent comme ma seconde patrie.

Radu : J'ai vécu en Roumanie jusqu'à mes 21 ans. Ensuite, le hasard a fait que j'ai eu l'occasion de faire mes études en France. J'ai dû apprendre le français en 5 mois pour pouvoir passer le concours de langue à l’Ambassade de France à Bucarest. Sept mois après, j'étais sur les bancs d'une faculté de médecine en France avant d'enchaîner cinq années d'études de sage-femme. Actuellement, je suis donc sage-femme (maïeuticien) mais aussi sexologue et sophrologue.  

 

Parlez-nous de votre première rencontre?


JP : C'était à l'occasion d'une soirée franco-roumaine en 2002 à laquelle je ne devais pas aller. Je l'avais salué en roumain et il s'était immédiatement moqué de mon accent. Je lui ai tout de suite réservé une place à côté de moi et nous avons passé la soirée à discuter tous les deux sans tenir compte des autres convives. Depuis ce premier jour, on ne s'est plus quittés. Je crois qu'on peut parler là de véritable coup de foudre.

R : La rencontre a bien eu lieu à cet endroit, soirée à laquelle je ne voulais pas initialement aller moi non plus. A contre cœur, je faisais partie de ceux qui devaient servir les invités. Et entre deux passages, je l'ai aperçu dans la cuisine. Il était entouré d'une multitude de filles et il fanfaronnait - je devais découvrir par la suite que c'était sa marque de fabrique. Quand je l'ai vu, j'ai de suite su que c'était lui, avant même de lui adresser la parole. Les filles n'avaient aucune chance, il était pour moi … J'ai compris que le moment était venu pour moi de m'accepter comme j'étais.
 

Qu’est-ce qui vous a plu chez l’autre ?


JP : Disons qu'au tout début, il correspondait à mes critères physiques. Ensuite, son charme, son humour, assez provocateur, sa rigueur, sa droiture et cette exigence qu'il a avec lui-même, ont fait le reste. Au quotidien, il m'impressionne par son intelligence, par sa volonté de toujours chercher à se dépasser comme s'il avait une revanche à prendre sur la vie. Il se rappelle toujours d'où il est parti.


R : Je ne sais toujours pas… C'était lui, sa façon de fanfaronner, de parler de longues minutes en continu d'un sujet sans jamais le nommer, de tout promettre et de faire paraître les choses plus simples. Il est toujours ainsi, même 16 ans après.

 

Jean-Pierre, avais-tu des a priori sur la Roumanie avant de venir pour la première fois?

JP : Aucun car je suis de nature très curieuse. Je connaissais déjà un peu la Roumanie car je militais à l'époque à Amnesty International et j'avais eu l'occasion d'écrire, à plusieurs reprises, à Ceausescu pour demander la libération d'opposants à son régime. Alors, en décembre 1989, comme beaucoup, j'ai suivi de près les événements qui devaient conduire à la chute du régime communiste. Début 1990, je répondais à l'annonce d'un jeune Bucarestois qui souhaitait correspondre avec un Français et en juillet je foulais pour la première fois le sol de la Roumanie pour rencontrer Stefan, celui qui allait devenir mon plus vieil ami roumain. Aujourd'hui, je me bats pour faire connaître ce merveilleux pays et ce peuple si accueillant qui souffre d'injustes préjugés.

 

Comment vos familles respectives ont-elles réagi à votre union?


JP : Dans ma famille, on est du genre pudique. Au début, Radu fut présenté comme mon colocataire lorsque nous habitions Besançon. Quand nous avons déménagé sur la Côte d'Azur, à 600 kilomètres de là, je le présentais toujours ainsi. En fait, pendant les dix premières années, je n'en ai jamais parlé ouvertement à ma famille. Mais je pense qu'ils n'ont jamais été dupes. J'ai fait mon coming-out familial à l'occasion du décès de ma mère : j'ai voulu que son nom figure à côté du mien sur l'avis de décès. C'est ainsi que toute ma famille a alors compris quelle était réellement la nature de notre relation et que tout le village a découvert que Radu était un prénom masculin. En fait, il est celui qui m'aura permis de m'assumer.

R : Au début, pendant mes études, j'étais hébergé gracieusement chez lui au nom de notre grande amitié (rires). Mais ensuite, quand j'ai commencé à travailler, ce subterfuge ne pouvait plus tenir. Par chance, ma famille proche avait déjà rencontré Jean-Pierre à plusieurs reprises à l'occasion de mes vacances. Ils ont donc eu le temps de le connaître.  L'homosexualité en Roumanie est toujours un sujet tabou et le fait de nous avoir toujours vu ensemble a, quelque part, permis l'acceptation de notre relation. Ainsi, le jour « J », ils furent moins surpris. Et de toute façon, je ne leur ai pas laissé le choix : ou avec lui, ou sans moi. Ce fut avec lui …  

 

Le référendum sur la redéfinition de la famille dans la constitution aura lieu ce week-end. Qu'en pensez-vous?


JP : Ce référendum nous fait mal, non pas tant comme couple franco-roumain gay que comme citoyens européens. Même si cela nous blesse de voir que notre couple cesse d'exister dès que nous posons le pied en Roumanie, nous regrettons surtout de voir ce pays risquer de manquer un rendez-vous avec son histoire une fois de plus.

R : Et après, qu'en est-il des unions libres, des enfants nés de relations en dehors du mariage, du droit à l'avortement ? De la liberté d'aimer, de la liberté d'être et tout simplement, de la liberté ?


De manière un peu plus légère, y-a-t-il chez l'autre un trait de caractère proprement français, et proprement roumain que vous aimez ou que vous détestez ?

 

JP : Peut-être ce mélange de défaitisme et de manque de confiance en soi, en l'autre, en l'avenir, que j'ai souvent remarqué chez les Roumains.  Ça a le don de m'agacer moi qui suis plutôt un fonceur. Si impossible n'est pas français, impossible semble souvent être roumain.

R : L'impression de prendre parfois les choses à la légère, la tendance d'avoir toujours quelque chose à dire, de parfois privilégier la forme au fond.

 

Une expression, un dicton que vous avez appris dans les deux cultures ?

JP : Il y en a deux que j'aime bien : « Lasa ca merge si asa » et « Sa moara si capra vecinului » qui trahissent bien l'état d'esprit des Roumains.

R : Je pense à « ça va ? », quand en fait tout le monde s'en fout !

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