

Cette semaine, notre rédaction est allée à la rencontre de Christelle et Goran. Elle est française et lui est roumain, ensemble ils ont eu deux enfants et vivent en France.
Parlez-nous de votre première rencontre.
Goran : J'ai rencontré Christelle à Segré, le 14 juillet 1994 à l'occasion des festivités de la Fête Nationale. En effet, je faisais partie de l'ensemble folklorique "DOINA TIMISULUI" de la Maison de Culture des Étudiants de la ville de Timişoara, et nous sommes venus en France pour une tournée des festivals.
Ce jour-là, nous essayions de joindre nos familles, mais aucune cabine téléphonique ne fonctionnait… Ma feu belle-mère, Betty, qui faisait partie d’une association qui aidait la Roumanie, nous a gentiment proposé de venir chez elle pour pouvoir téléphoner. Arrivés chez Betty, nous avons pu passer rapidement un coup de fil à nos familles. Mes amis parlaient bien le français et discutaient avec Betty et les autres membres de la famille, mais à l’époque, moi je ne parlais pas du tout le français. Je parlais l’anglais. Betty a demandé à un de mes collègues pourquoi je ne parlais pas, à laquelle mon collègue a répondu que je n’étais pas timide mais que je ne parlais que l’anglais. S’en est suivi une scène digne de Rabbi Jacob, et Betty, en joignant ses mains a dit « Mais c’est formidable, ma fille parle aussi l’anglais ». C’était le moment déclencheur, et nous avons commencé à parler et à parler avec Christelle. Nous étions dans notre bulle ! Quand il a fallu repartir, Christelle est venue avec nous. Nous nous sommes assis à l’arrière, nous avons discuté et nous nous sommes mis à chanter « Yesterday » que nous aimions tous les deux et qui est devenue notre chanson.
Le lendemain, avant de partir pour l’étape suivante de notre tournée, Christelle était là. J’étais très content de la voir, et je sentais des papillons dans le ventre. Nous avons continué à discuter pendant un bon moment, alors que tout le groupe était monté dans le car. Ils ont commencé à taper dans les vitres et dire qu’il fallait partir. Juste avant de monter dans le car, je l’ai embrassée furtivement. Nous avions 17 ans et nous avions eu le coup de foudre.
Christelle : Tout est dit dans la description de Goran, effectivement ça été un coup de foudre réciproque mais à 17 ans on n' y croit pas toujours. Une fois Goran reparti, je ne pensais pas que cela allait durer mais ses lettres ont commencé à arriver et nous avons commencé notre relation à distance (sans internet à l’époque…) en nous envoyant des lettres toutes les semaines. Goran est parti un an aux Etats-Unis en septembre 94 et je pensais que notre relation allait s’arrêter mais au contraire la distance a amplifié nos sentiments et ses appels téléphoniques du samedi soir ont rythmé cette année jusqu’à nos retrouvailles en Roumanie l’été suivant en 95 quand je suis allée chez lui passer 3 semaines. Nous nous étions vus seulement quelques heures, attendus une année et lorsque je suis arrivée devant lui à l’aéroport de Timisoara, j’ai su au fond de moi que cela allait être le début d’une magnifique histoire qui durera toujours.
En 1998, après mes études, je devais rester seulement 3 mois à Timisoara et finalement je suis restée 2 ans, j’ai pu travailler au centre culturel français ce qui m’a permis de parler couramment le roumain et de vivre avec Goran.
Nous nous sommes mariés en Roumanie et nous sommes partis par la suite en France à l’été 2000.
Qu’est-ce qui vous a plu chez l’autre ?
Goran : Ce qui m’a plu d’abord chez elle, ça été sa sensibilité, sa beauté, son humour et le fait qu’elle parlait anglais.
Christelle : Je pense que c’est un tout. Sa douceur et son originalité m’ont tout de suite plu. Ses cheveux longs aussi.
Goran, comment s'est passée votre intégration en France ? La Roumanie vous manque-t-elle ?
Nous sommes arrivés en France en août 2000. Mon intégration s’est très bien passée, mais comme tous les débuts, c’était dur. Il y a eu aussi les clichés sur les Roumains, mais une fois que les gens commençaient à me connaître, les clichés disparaissaient. J’ai été bien entouré par les amis et la famille de Christelle. J’ai appris le français, et petit à petit j’ai commencé à faire mon réseau et cercle d’amis, d’abord dans le monde de la musique en intégrant un trio de jazz manouche et de musique des Balkans, le Trio Dobrin et un orchestre de variété dans lequel je joue toujours, « Orchestre Les Nuits Blanches ». Depuis 2005 avec deux amis, dont le parrain de notre fille aînée, nous avons monté le « Trio Bele Noci » un trio de jazz manouche et de musique des Balkans. Pendant 5 ans, j’ai travaillé au collège « Val d’Oudon » au Lion d’Angers comme emploi jeune où j’ai monté un atelier de musique actuelle avec les élèves, dont certains ont fait des carrières dans la musique. A la fin de mon contrat, j’ai travaillé comme traducteur interprète pour France terre d’Asile et d’autres associations qui suivent les primo-arrivants et les demandeurs d’asile. J’ai ensuite travaillé comme assistant d’éducation au collège « Chevreul » où j’ai monté un autre atelier de musique actuelle, puis je suis devenu intermittent du spectacle pendant 5 ans et depuis 2019 je travaille pour le Ministère de la Justice, comme traducteur-interprète.
Bien sûr, la Roumanie me manque, surtout la famille, qui est restée à Timişoara. Nous essayons d’y aller une fois tous les deux ans.
Christelle, aviez-vous des a priori avant de découvrir la Roumanie ?
Bizarrement aucun, j’ai connu la Roumanie grâce à des voyages humanitaires avant de connaitre Goran. On voyait la Roumanie, à l’époque, comme un pays dans le besoin et loin de tout et je n’ai jamais ressenti ça avant d’y aller et même pendant ces voyages. En revanche, je ne pensais pas que la Roumanie avait des paysages dignes de cartes postales.
Comment vos deux familles respectives ont-elles vécu votre union ?
Goran : Nos familles ont été heureuses et nous ont soutenu, même si c’était un peu difficile au début.
Christelle : Bien voire même très bien. Le pari n’était pas gagné, vivre à distance et aussi jeunes une relation, tout le monde aurait pu être sceptique mais je pense qu’ils savaient que l’on s’aimait profondément et que c’était une évidence.
Vous avez eu deux enfants ensemble. Comment intègrent-ils vos deux cultures ?
Nos deux filles sont très fières de leur origines multiculturelles (française, roumaine et serbe). Grâce a cette triple culture, je trouve que cela leur permet d’avoir une grande ouverture d’esprit. Elles ne se posent pas la question de savoir si elles sont françaises, roumaines ou serbes, cela fait partie d’elles. Elles connaissent les traditions, les plats, les fêtes roumaines ; un peu moins le folklore et les danses, vivant en France, elles sont plus sur le rythme français mais elles s’informent de ce qui se passe en Roumanie.
Un cliché lié à vos deux cultures respectives que vous avez su dépasser chez l'autre?
Goran : Un cliché en lien avec la culture ou l’art de vivre à la française serait la bise. Au début, cela m’a interloqué, que des personnes qui ne se connaissent pas (des amis d’amis par exemple) se fassent la bise quand ils se rencontrent pour la première fois. En Roumanie et dans les pays de l’Est, en général, on se serre la main, surtout quand c’est un garçon ou une fille que nous ne connaissons pas, même si la bise est quand même plus agréable que la poignée de main.

Goran : Une des expressions que je trouve magnifique, tirée de la chanson « La Javanaise » du grand Serge Gainsbourg est « La vie ne vaut d'être vécue Sans amour »….
Christelle : J’adore l’expression « Vai și-amar de capul meu », déjà comment elle sonne et elle est souvent accompagnée de gestes. Cela a comme un côté théâtral.
