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AMOUREUX DE LA ROUMANIE - Rencontre avec Serge Gonvers

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Écrit par Franco-Roumanie
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 12 février 2018

LePetitJournal.com de Bucarest a rencontré Serge Gonvers, un Suisse qui est venu s’installer à Bucarest dans les années 90 à un moment où personne ne misait sur ce pays en pleine (re)construction. Associé chez Mazars, société d’audit et de services comptables et fiscaux, Serge revient sur ces années passées en Roumanie.

 

 


Grégory Rateau: Quels sont les changements notables que vous avez pu constater depuis votre arrivée en Roumanie en 1994?

 

Serge Gonvers: Le niveau de vie des gens, le confort qui, au sens large du terme, s’est beaucoup amélioré même s’il reste de nombreuses choses à faire. A l’époque où je suis arrivé, on manquait de beaucoup de choses, tout me semblait gris, misérable, vieillot. Les gens n’étaient pas très joyeux et cela pouvait se comprendre. Il n’y avait presque pas d’éclairage dans les rues, très peu de voitures, on se faisait d’ailleurs arrêter par la police car on avait une voiture étrangère. On était à cette époque l’un des tous premiers investisseurs occidentaux, il fallait donc y croire quand personne n’y croyait.

 

Comment votre démarche a-elle été perçue de venir vivre ici?


Et bien tout le monde me prenait pour un fou (rires). On me disait : «Tu viens ici alors que tu as tout chez toi en Suisse.» Et bien oui, ce qui m’a plu justement c’est que tout était à faire ici, je ne cherchais pas le calme et la tranquillité et il fallait aimer les défis pour tenter quelque chose ici. Mais je suis toujours là et je n'ai pas l'intention d'en repartir.

 

Dans ce contexte, comment avez-vous réussi à recruter du personnel à cette période?


C’est une bonne question car, pour dire vrai, on ne pouvait pas recruter les gens sur leurs compétences qui n’étaient pas celles requises de notre point de vue occidental. On devait donc le faire en se fiant à leurs attitudes et volonté d'apprendre. Ceux qui avaient une attitude positive on leur donnait leur chance. Ce fut l’une de mes plus grandes satisfactions les gens que j'ai rencontré et spécialement ceux avec qui j'ai travaillé. Ils ont d'ailleurs tous brillamment réussi aujourd’hui. Certains en Roumanie d'autres à l’étranger. Pour répondre à votre première question, il y a de l’espoir aujourd’hui et cela n’est pas venu d’un seul coup, cela a pris du  temps. J’entends de plus en plus de jeunes qui désirent rester en Roumanie ce qui n’était pas du tout le cas quand je suis arrivé. Certains Roumains de l’étranger ont également envie de revenir. Espérons que les choses continuent dans ce sens.

 

Expliquez-nous un peu votre amour pour la Roumanie ?


Ce sont les gens, leur générosité, leur curiosité, leur sens de l’accueil. Ce qui en apparence peut sembler être une certaine froideur peut se révéler par la suite comme de la méfiance ou de la timidité, mais très vite elle est remplacée par un sens de l’amitié exceptionnel. Les Roumains ont un cote oriental qui n'est pas perceptible tout de suite à côté de leur culture et de leur comportement occidental. Les codes sont différents de chez nous, les comparer toujours aux Français c’est, selon moi, négliger une grande partie de la richesse culturelle des Roumains.

 

Vous êtes donc un bon ambassadeur de ce pays.


Modestement, je crois que les étrangers qui restent sont plus optimistes qu’une majorité des Roumains. J’avais participé à un livre dont le titre éclaire parfaitement ce propos «Plus Roumain que les Roumains» où une trentaine d’étrangers vivant ici, devaient parler de leur amour du pays. Personnellement il m’arrive de me sentir plus Roumain que Suisse, je pourrai repartir quand je veux, rien ne me retient ici mais je décide de rester car je m’y sens bien. Que ce soit des touristes ou ceux qui décident d’y rester, ils deviennent tous malgré eux, vous avez raison, des ambassadeurs de ce pays à l’étranger, mais également ici, en s’impliquant dans leurs vies professionnelles et sociales.

 

Justement, comment se traduirait votre implication sur le plan social?


J’ai essayé de créer des structures, aider des associations pour faire ce que l’état ne faisait pas . Ils ne s’occupent pas suffisamment des gens en créant des œuvres sociales. Il y a donc un besoin très grand d’entre-aide et de solidarité. Je ne suis pas un expatrié de passage au sens où je ne suis pas venu ici pour une durée limitée et pour repartir ensuite sans m’impliquer. J’ai choisi de vivre ici. Ma fille a grandi à Bucarest, je me sens impliqué à tous les niveaux. On ne peut pas fermer les yeux sur une certaine réalité et vivre aussi longtemps dans un pays. Les nouvelles ici me touchent plus que celles de mon propre pays. Quand j’ai vu toutes ces personnes à la rue, vivant avec des retraites ridicules, et qui n’étaient que trop peu aidées par l’état, cela m’a bouleversé. Les plus touchés sont souvent les personnes âgées et ça c’est difficilement admissible, trop de disparités. Le gens n’ont pas assez d’argent pour manger alors qu’ils ont travaillé toute leur vie. J’ai essayé modestement d’aider, de proposer des choses car il m’était impossible de rester passif. Il s’agit d’un devoir moral. Nous sommes des privilégiés, nous avons donc certaines obligations envers ceux qui n’ont pas eu cette chance.

 

En tant qu’acteur économique, vous êtes associé chez Mazars et vous étiez administrateur de la CCIFER, comment jugez-vous les perspectives économiques du pays ?


J’ai cru à la Roumanie aussi et surtout pour ses perspectives économiques. Je fais un petit parallèle avec ma vie personnelle. Je voulais dans ma jeunesse travailler en Asie du Sud-Ouest car c’est là-bas que ça se passait, en Thaïlande. Il n’y avait rien, pas d’infrastructure, pas de tourisme, le pays était très pauvre, et en quelques années c’est devenu un pays avec un niveau de développement d’Europe occidentale voire même plus. La Roumanie était dans un état proche de développement. En Thaïlande j’ai été un simple spectateur, j’ai donc décidé de faire en Roumanie ce que je n’avais pas pu faire avant, devenir un acteur, me rendre utile. Ça a beaucoup bougé depuis les années 90 mais pas aussi vite que l’on aurait souhaité. La crise de 2008 n’a pas été simple pour les Roumains, ce qui a freiné quelque peu les choses, mais aujourd’hui ce qu’il faut en priorité c’est installer des bases solides de développement sur le long terme, pas seulement un joli feu de paille, et cela ne peut avoir lieu sans l’aide des autorités. On parle déjà d’un atterrissage de la croissance pour l’année prochaine car elle repose trop sur la consommation et pas assez sur l'investissement, ce qui n’est pas sain. Il faut prendre les bonnes décisions maintenant.

 

Vous êtes consultant et vous supportez les investisseurs étrangers, comment voyez-vous l’avenir de la Roumanie pour ses nouveaux investisseurs, suite aux nouvelles modifications fiscales et juridiques?


Ce n’est pas bon pour les investisseurs tous ces changements et plus largement, toutes ces mesures ne sont pas forcement bonnes pour l’image du pays. Je me souviens avoir accueilli des investisseurs italiens qui ont été pris dans les manifestations pour rejoindre le restaurant où nous avions rendez-vous. Il est évident que cette situation n’est pas rassurante pour eux. J’ai essayé de leur expliquer que ce qui se passait était plutôt positif, le réveil de la société civile, mais mettez-vous à leur place, je ne suis pas sûr qu’ils sont repartis convaincus. Il ne faut pas penser à court terme et se poser les bonnes questions :  Quelles sont les répercussions pour le pays sur la durée? Prenez l’exemple de l’impôt sur le chiffre d’affaire, sur les actifs des banques, l’état a annoncé cela, puis il n’a plus donné suite car ce n’était pas financièrement possible, alors autant ne pas les annoncer, y réfléchir à deux fois avant de se précipiter et d’aller droit dans le mur.  Ou le transfert des charges sociales qui pose des problèmes aux entreprises mais surtout fragilise la confiance des salariés et de leurs employeurs. Vous imaginez, le manque de main d’œuvre est la chose la plus sérieuse ici et en faisant cela, cela ne contribue pas du tout a améliorer les choses.

 

 
 
 
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Propos recueillis par Grégory Rateau

 

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