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SOCIETE - Prostitution: discussion avec le sociologue Dani Sandu

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Écrit par Sarah Taher
Publié le 23 octobre 2017, mis à jour le 23 octobre 2017

La prostitution est un sujet qui divise et une problématique délicate à cause de la charge éthique et morale qui pèse dessus. Est-ce un métier ou une exploitation ? Faut-il la légaliser ou l’interdire ? Nous avons discuté avec le sociologue Dani Sandu, chercheur à l’IUE (Institut Universitaire Européen de Florence), qui a participé avec l’organisation non gouvernementale, Carusel, à l’élaboration d’un rapport sur la prostitution de rue en Roumanie.
 

 

Même si la prostitution reste un phénomène difficile à mesurer, en 2003, l’OMS estimait que la prostitution concernait entre 23.000 et 47.000 personnes en Roumanie.

 

Lepetitjournal de Bucarest: Dans le rapport publié par l’ONG Carusel, on constate que la majorité des femmes qui se prostituent sont mères. Comment l’expliquez-vous ?

Dani Sandu: La première chose qu’il faudrait aborder est que le travail dans la prostitution commence sur un fond aggravé par la pauvreté et la marginalisation sociale. A cela s’ajoute un choc qui est dans, beaucoup de cas, l’apparition d’un enfant ou la dépendance des drogues, et tous ces éléments se combinent. On a à faire à des femmes qui sont dans une situation de marginalisation très difficile, et si, à un moment donné, elles tombent enceinte, en général on leur retire tout support. Un exemple très parlant est celui d’une femme qui avait participé à notre enquête et qui avait vécu 15 ans dans un orphelinat. Elle suivait une formation de pâtissière mais elle est tombée enceinte quelques mois avant la fin de la formation, ce qui lui a valu d’être immédiatement mise à la porte, sans logement, sans aucun moyen de survie et avec cette pression supplémentaire liée à la venue d’un enfant. Elle a ainsi décidé de choisir la voie qui lui permettrait, dans son optique, de s’en sortir, c’est-à-dire la prostitution.

 

 

D’après ce rapport, existe-t-il un profil type de ces femmes qui ont recours à la prostitution ?

Non, il n’existe pas un profil type. Il y a plusieurs parcours à travers lesquels on arrive à la prostitution, mais malheureusement, en Roumanie, il y a beaucoup de femmes qui en sont arrivées là, surtout celles entre 15-30 ans, car elles on été marginalisées et ignorées par les autorités. Elles n’ont pas eu de soutien de la part d’un assistant social pour les aider à s’en sortir. Le début de cette activité dans la prostitution, a été leur modalité de survie dans une situation de crise. La métaphore que j’aime utiliser est celle de tous ces gens qui se sont retrouvés sans travail suite à la fermeture des usines ou à leur privatisation durant les années 90, les obligeant à revenir habiter chez leurs parents dans un milieu rural et à vivre grâce à une agriculture de subsistance. C’est ce que font ces femmes qui ont trouvé dans cette activité le moyen d’avoir des revenus leur permettant de subsister aux besoins de leurs enfants ou, dans les cas les plus graves, à leur dépendance des drogues, sauf qu’elles n’ont pas d’endroit où se retirer; certaines étant déjà dans le milieu rural d’ailleurs.
 

Dani Sandu
Dani Sandu


 

Depuis 2014, la prostitution n’est plus considérée en Roumanie comme une infraction, mais cette pratique est sanctionnée par une amende allant de 500 à 1500 lei. Croyez-vous que ces amendes soient une solution ?

Non, c’est une bêtise totale. Le code pénal a été modifié en Roumanie pour que la prostitution ne soit plus une infraction mais une contravention, suite à des pressions venant de l’occident. Cela a eu lieu partout dans d’autres pays occidentaux mais après que ces pays soient passés par une processus qui les a convaincus qu’il n’y avait aucun sens à considérer la prostitution comme une infraction. Or en Roumanie on a adopté ce changement dans le code pénal sans passer par ce processus de prise de conscience et de compréhension. Les autorités, depuis la police jusqu’aux employés des mairies ou des services d’assistance sociale, considèrent encore, quelque part, que les femmes qui pratiquent la prostitution doivent être punies, sanctionnées et que lorsque cette sanction sera suffisamment importante, ces femmes vont arrêter et trouver un travail honnête ou éventuellement vont faire des études. La police a cet instrument de l’amende dans les conditions où dans les mentalités de la plupart des policiers, ces femmes font quelque chose vu comme étant illégal et qu’il ne dépend que d’elles pour arrêter, il n’y a aucune forme de compréhension ou d’empathie, et aucune forme de corrélation avec les services sociaux. D’ailleurs il y a eu beaucoup de cas d’abus de la part des policiers.


 

 

Dans certains pays, comme en France, une loi qui pénalise les clients des prostituées a été adoptée. En Suède, par exemple, cette loi, adoptée depuis 1999, a conduit à une réduction de moitié de la prostitution de rue en deux ans. Croyez-vous que cela soit une solution à explorer en Roumanie?

Personnellement non. Je ne dis pas que c’est une politique publique mauvaise, mais elle peut fonctionner dans un certain contexte et quand elle représente l’aboutissement d’un certain parcours. En France comme en Suède, il y a eu tout un écosystème de mesures adoptées pour soutenir les femmes dans cette situation, pour que ce ne soit plus elles qui reçoivent une amende mais le client, et d’autre part il y a eu des mesures d’assistance sociale, de soutien à l’éducation et d’aides matérielles pour que ces femmes aient accès à d’autres opportunités, car la majorité d’entre elles aimeraient faire autre chose, ou seraient d’accord pour faire autre chose tant qu’elles peuvent subvenir à leurs besoins. En Roumanie, cette discussion liée à la pénalisation du client apparaît dans un contexte où il n’y a aucun soutien ou bénéfice proposés aux femmes en cause. La conséquence de cette mesure sera qu'elle@s devront aller dans des endroits encore plus marginaux, où les policiers ne vont pas forcément et où elles auront à faire à des clients encore plus violents et dangereux. Car, n’ayant pas d’autre alternative, ces femmes devront continuer à se prostituer, alors que les clients, disons de classe moyenne, ne prendront plus le risque de venir, par peur des amendes. Donc un changement de législation qui pénaliserait plutôt le client ne ferait que mettre encore plus de pression sur les travailleuses du sexe.

 

 

Quelles mesures existent aujourd’hui pour accompagner les femmes qui veulent arrêter la prostitution dans leur réinsertion sociale et professionnelle ?

Aujourd’hui il n’existe aucune mesure d’état qui les humanise, qui les protège en tant que citoyens, elles sont considérées comme étant non-citoyens. D'ailleurs lorsqu’elles sont confrontées à un abus de la part d’un employé de marie, par exemple quand elles demandent une allocation pour enfant ou une assistance sociale, ou de la part d’un policier, elles ne contestent pas car elles ne se considèrent pas comme des citoyens à cause de cette stigmatisation. Quant aux rares fois où des mouvements apparaissent au sein de la société civile pour leur venir en aide et leur offrir une reconversion professionnelle, c’est soit sur un fond religieux qui leur dit d’abandonner la prostitution et de rentrer dans les ordres, soit sur un fond transactionnel qui ne leur offre aucun avantage et leur propose de prendre un emploi où elles gagnent beaucoup moins, dans les conditions où elles ont des dépenses pour leurs enfants ou leur famille par exemple.

 

 

As-tu constaté un changement dans le regard porté par la société roumaine sur les personnes pratiquant la prostitution ?

Je crois que dans notre société elles sont pas mal déconsidérées et en général ça va avec la vision de l’état. Il est rare qu’un état adopte une mesure pour protéger un citoyen si cette mesure n’est pas vue par la société comme étant positive. Cela est dû au fait que nous avons souvent cette morale orthodoxe, très conservatrice, il est très difficile pour la société de considérer ces femmes autre que des « éléments parasites ». J’entends toujours cela dans les interviews : la plupart du temps leurs familles les rejettent au moment où elles apprennent qu’elles pratiquent la prostitution, en les déshumanisant avec des phrases du type " tu n’es plus ma fille ". Seulement avec le temps et si la famille elle-même est exposée à une forme de pauvreté, il arrive qu’un membre de la famille, en général la mère, devienne plus compréhensif et qu’il essaye de lui venir en aide. Nous, en tant que société, avons un problème car nous ne comprenons pas que, dans la plupart des cas, les femmes qui se prostituent le font car elles n’ont pas bénéficié d’un soutien pour qu’elles sortent de leur condition sociale et qu’elles puissent avoir accès à l’éducation et à des opportunités.

 

 

Nous avons d’un côté ceux qui sont pour l’abolition de la prostitution et ceux qui sont pour sa réglementation, en excluant tous les réseaux de traite humaine et de proxénétisme. Ceux qui considèrent que la prostitution pourrait être un métier comme un autre, avec un statut, des droits et des obligations et ceux qui considèrent qu’elle ne peut être qu’exploitation. De quel côté penchez-vous ?

Mon avis est que, dans une grande mesure, la prostitution est un métier comme un autre et la majorité des femmes qui continuent à faire cela, le font strictement comme un travail. Je précise que la forme de prostitution qu’on a étudié n’a rien à voir avec le trafic d’êtres humains ou le proxénétisme. En général aujourd’hui il y a beaucoup de femmes qui s’y adonnent de façon « entrepreneuriale ». J’ai eu un interview avec une femme qui avait deux diplômes et qui faisait cela dans un appartement pour réunir de l’argent et monter son propre business. Ce n’est pas une majorité mais il y a pas mal de cas où la prostitution est combinée à un travail dans le marché officiel. Quant à l’abolition, cette position me semble assez hypocrite, car il est impossible d’abolir la prostitution tant qu’il y aura une clientèle. C’est une industrie alimentée par la demande et non pas par l’offre et tant qu’il y aura de la demande, il y aura de la prostitution. Comme on dit dans le folklore, c’est le deuxième plus vieux métier du monde.

 

 

Les partisans de l’abolition avancent plutôt les arguments de la lutte contre la domination masculine et l'exploitation de la femme par l'homme et pour la dignité humaine.

Oui, l’image de la prostitution a été construite dans la mentalité collective comme une forme de domination patriarcale mais quand des activistes féministes, en Roumanie, ont eu l’occasion de parler avec ces femmes, elles ont compris que dans la plupart des cas, le recours à la prostitution représente une forme d’émancipation pour elles. Dans beaucoup de cas, il serait plus facile pour ces femmes de vivre selon le modèle archaïque et paternaliste, qui est celui de se marier et de dépendre entièrement de son époux, de la famille de son époux ou d’un partenaire et en opposition, il y a ce modèle où ces femmes, souvent très fortes, prennent leurs vies en main, et vivent à leur propre compte, prennent leurs propres décisions car c’est elles qui amènent l’argent à la maison. Je crois que cette activité est mal comprise si elle est vue strictement à travers le prisme des relations classiques de rapport sexuel entre hommes et femmes. La prostitution ne s’agit pas forcément de soumission de la femme par les hommes, dans plusieurs cas c’est plutôt une émancipation de la femme du milieu duquel elle provient, à travers une commercialisation du sexe dans lequel elle ne se dédie pas, c’est un métier, pas un sacrifice. La plupart des femmes que j’ai rencontrées sont dans ce cas.

 

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Publié le 23 octobre 2017, mis à jour le 23 octobre 2017

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