Nous vous relations vendredi la décision du ministère de l'Environnement d'engager une série de contrôles au siège du leader roumain de l'exploitation forestière, Holzindustrie Schweighofer, à la suite d'une investigation en caméra cachée de l'ONG américaine Environmental Investigation Agency (EIA). Celle-ci montrait comment les dirigeants de la compagnie autrichienne encouragent les coupes illégales. L'interview de Alexander von Bismarck, le directeur de l'EIA.
Photo : Alexander von Bismarck
Le Petitjournal.com/Bucarest - Vue depuis les États-Unis, la Roumanie est un petit pays lointain et peu connu. Comment en êtes-vous arrivés à vous intéresser au problème des coupes de bois illégales et de l'implication de la société autrichienne Holzindustrie Schweighofer ?
Alexander von Bismarck - Les forêts de Roumanie sont parmi les plus importantes du monde. En tout cas, il s'agit sans aucun doute du fond forestier le plus important d'Europe. Et c'est une chance que l'on commence à le reconnaître en tant que tel. Malheureusement, la Roumanie a aussi un sérieux problème avec les coupes illégales et cela rend la gestion de cette précieuse ressource quasiment impossible. C'est pourquoi, au cours des deux dernières années, nous avons décidé d'entamer une investigation sur ce thème. Et nous nous sommes rapidement rendus compte que toutes les routes menaient à la compagnie autrichienne Schweighofer.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour approcher la direction de l'entreprise et la piéger grâce à une caméra cachée ?
Je ne vais pas rentrer dans les détails car notre investigation n'est pas encore terminée. Mais la vidéo qui a été présentée est le résultat de deux visites seulement dans les bureaux roumains de la compagnie autrichienne. C'est fou, et triste en même temps, qu'ils aient été si rapidement intéressés d'acheter le bois coupé illégalement que nous leur proposions. Et qu'ils nous aient même proposé des bonus !
Votre organisation dispose d'une grande expérience en matière d'exploitation forestière illégale. Le problème roumain ressemble-t-il a beaucoup d'autres ou est-il particulier ?
Tout d'abord, ce problème existe dans le monde entier. La Roumanie est toutefois spéciale car elle dispose des dernières forêts vierges d'Europe. C'est une ressource phénoménale pour le peuple roumain et une opportunité unique de choisir la manière dont celle-ci doit être gérée. C'est choquant de voir qu'à l'intérieur même de l'Union européenne, une compagnie puisse être autorisée à afficher un tel mépris pour les lois d'un autre pays européen que le sien, et dans lequel elle enregistre des profits de près de 100 millions d'euros par an.
Les premiers résultats de votre investigation ont poussé le ministère de l'Environnement à entreprendre des contrôles dans deux des principaux sièges de Holzindustrie Schweighofer en Roumanie (voir l'édition de vendredi 8 mai). Samedi, plusieurs milliers de personnes ont manifesté à Bucarest et à Cluj. Qu'est-ce que cela représente pour vous ?
Ce week-end, j'ai vu une partie de la manifestation par Skype. C'était fantastique ! Et c'est ce qui peut faire la différence : si une partie de la population se sent concernée et participe au débat sur la gestion du fond forestier national, c'est le début de la solution. Une solution qui peut résister aux pressions des plus grandes entreprises du monde. L'histoire nous a montré qu'une ressource peut être très bien gérée par ceux qui se sentent impliqués, ceux qui vivent à côté et qui transmettrons à leurs enfants ce goût pour le respect de la nature. La manifestation de samedi nous a montré que tous les ingrédients sont réunis en Roumanie pour qu'un tel scénario puisse avoir lieu. Et sincèrement, c'est un grand honneur de pouvoir être témoin de cela et de pouvoir apporter un peu d'aide.
Entretien réalisé par Jonas Mercier (www.lepetitjournal.com/Bucarest) Lundi 11 mai 2015
