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Confinement, conseils d’une psychologue pour enfants et parents

Peggy Beyer est psychologue en IndePeggy Beyer est psychologue en Inde
Peggy Beyer, psychologue clinicienne
Écrit par Johana Burloux
Publié le 8 avril 2021, mis à jour le 19 décembre 2023

En 2020, nous avions demandé à Peggy Beyer, psychologue clinicienne, vivant depuis 5 ans à Mumbai, ses conseils pour accompagner au mieux nos enfants. Gestion du confinement, angoisse familiale, éloignement de la France, école à la maison… voici quelques réponses pour affronter la situation, pour les petits, les plus grands et les adultes qui les entourent. En 2021, alors que la France et le Maharashtra sont reconfinés, on vous propose de relire les conseils de Peggy Beyer, toujours d'actualité.

 

Quels peuvent être les effets d’un confinement sur les enfants ?

Cette crise inédite est génératrice d’angoisses autant chez les parents que chez les enfants. La peur est légitime et normale face à ce qui nous menace, mais elle dépend de la manière dont on se la représente. L’enfant n’a pas les mêmes ressources que l’adulte pour aborder la notion de danger et cette période de confinement. Le temps ne passe pas non plus de la même façon, 3 semaines de confinement peuvent lui apparaître une éternité.

Ses angoisses, face à ce qui lui échappe, peuvent se manifester de multiples manières :

Un sommeil perturbé, des difficultés d’endormissement, des manifestations de stress, une agitation accrue, de la colère voire des phobies, des affects dépressifs comme un repli sur soi ou de la tristesse, une diminution de l’appétit…

Le niveau de stress dépendra de la qualité de l’environnement que nous, parents, pouvons proposer à nos enfants pour les aider à se construire une représentation ajustée de ce qui arrive et qui affecte sa vie quotidienne et ses repères. Il me paraît important que le couple parental ou que l’un ou l’autre des parents prennent le temps de réfléchir sur ses propres angoisses liées à la situation afin de composer un filtre émotionnel.

Comme dans une partition musicale, l’harmonie de l’ensemble dépend de la juste place de chaque note, des temps de pause et du rythme que cela prend.

 

Faut-il redouter des angoisses supplémentaires ?

Certains enfants sont dans des situations où ils ne sortent pas du tout de leur appartement, cela peut-il générer plus d'angoisses ?

Tout dépend de la manière dont cette situation est vécue et expliquée en famille.

Il me semble que l’accent peut être mis sur la protection dans sa dimension positive plutôt que sur le danger et sur l’utilité pour soi et pour les autres. L’accent mis sur cet aspect peut permettre à l’enfant d’envisager autrement sa place et son rôle, de sortir de l’impuissance et de la passivité.

Bien sûr, l’espace se restreint, ce temps impose une distanciation physique mais on peut rester en lien autrement et prendre des nouvelles de sa famille, de ses copains via les moyens de communication modernes. Il est important d’ouvrir l’espace confiné vers l’extérieur en permettant à l’enfant de développer son souci de l’autre. L’empathie réduit l’anxiété et permet de  ressentir un sentiment de lien social. Il fait prendre conscience de l’importance de l’interdépendance positive et des vertus de la solidarité, même à distance.

Et si nous ne pouvons pas sortir, il s’agit pour chacun de créer, d’inventer… Chacun peut innover chaque jour en proposant une séance d’activité physique qui sera l’occasion de partage et souvent de fous rires. Ainsi, nous pourrons faire expérimenter à nos enfants que cette expérience nous offre des possibilités de nous adapter.

 

Comment accompagner au mieux les enfants ?

Peut-être en cultivant un autre regard sur la réalité.

Nous avons naturellement tendance à porter notre attention sur ce qui dysfonctionne, sur ce qui constitue une menace, sur ce qui nous apparaît négatif (les devoirs pas faits, la maison en désordre, les disputes dans la fratrie, nos propres querelles…), autant d’aspects qui ne permettent pas de cultiver une image positive de nous-mêmes.

Ce temps où l’on est en famille, confiné ne comporte pas de risque immédiat, n’est pas une menace mais, bien au contraire une occasion de cultiver des relations positives en orientant son attention vers ce qui est satisfaisant, vers ce qui a du sens.

On peut prendre conscience qu’on est capable de donner du temps à l’autre hors de l’agitation ordinaire, en étant pleinement présent à l’échange, réorienter son attention vers ce qui a bien été, se relier à ses enfants autrement, en conscience.

On peut, par exemple, proposer des moments, surtout en soirée pour relire ensemble les moments positifs qui ont émaillé la journée, un tour de table au moment du repas, un temps avant de se coucher. On permet ainsi à notre cerveau de réactiver d’autres circuits que ceux habituels en se concentrant sur ce qu’il y a de beau, de bon, de riche chez chacun. On peut reconnaître ainsi l’importance de l’autre dans ce qu’on vit, dans l’aide spontanément apportée, dans l’attention manifestée.

Mais, il faut rester attentif à l’impact du confinement sur son enfant. S’il est très inquiet, s’il ne dort plus ou se replie inhabituellement, il est important de l’aider en demandant de l’aide extérieure. L’enfant peut manifester l’envie de parler à une personne de confiance hors de la famille. Il existe également des possibilités de téléconsultation avec des personnels de la santé et de la psychologie.
 

 

Comment leur parler du virus ?

Faut-il tout leur dire ? Selon les âges, comment aborder ces questions ?

J’ai envie de vous dire comme on peut, en le faisant du mieux possible. Il n’y a pas de recettes toutes faites, mais il nous appartient d’être au plus près de ce que nous comprenons de la réalité que nous traversons. Les enfants sont de vrais petits radars d’authenticité ! Il nous faut être honnête même, et surtout, dans ce que nous ne savons pas.

Il est important d’expliquer le plus clairement pourquoi ils doivent rester à la maison, en mettant des mots simples et concrets adaptés à leur âge. Il ne s’agit pas de rentrer dans les détails, les enfants n’en ont souvent pas besoin, mais de répondre à leurs questions.

On peut leur proposer de commencer à parler du virus en les laissant exprimer leurs interrogations, librement, à leur rythme.

Il est important de les écouter, de ne pas minimiser leurs inquiétudes et de ne pas devancer leurs questions. S’ils n’éprouvent pas le besoin de parler, il est important de respecter leur choix. On peut toujours leur rappeler les règles d’hygiène et de sécurité et comment se protéger et protéger les autres.

Vous pouvez leur dire qu’ils peuvent à tout moment venir vous voir, vous parler de ce qui les préoccupe, de ce qu’ils ne comprennent pas, que vous n’aurez peut-être pas toutes les réponses, mais que vous chercherez ensemble à résoudre leurs questions.

Ainsi, vous vous positionnez comme pouvant accueillir les angoisses qui peuvent surgir sans que cela constitue une menace pour vous. Et c’est drôlement sécurisant !

Pour les plus jeunes, on peut se servir du support du dessin, du jeu ou de l’histoire pour rendre les choses plus accessibles.

Pour les adolescents, ce chamboulement extérieur viendra réactiver des angoisses plus profondes liées au chamboulement pubertaire qu’ils traversent. Il me paraît important d’être particulièrement attentif et vigilant aux signes de mal être à cet âge de la vie. On peut ouvrir un espace pour accueillir et évoquer avec eux les émotions qui les traversent tout en respectant leur rythme et leur besoin parfois d’aller chercher ailleurs leur réassurance.

 

Le contexte particulier de l’expatriation ajoute-t-il à l’angoisse ?

Comment aborder ces questions-là avec les enfants ?

J’ai envie de vous répondre que tout dépend de comment est vécue l’expatriation en amont de cette crise, si elle est déjà génératrice d’angoisses ou si elle est vécue de manière positive.

Elle peut bien sûr renforcer le sentiment d’éloignement notamment avec la famille restée au pays et de laquelle on se soucie. Mais les moyens de communication habituellement utilisés le sont encore et peut être plus souvent que d’ordinaire pour consolider des liens déjà existants. Ces appels via Facetime par exemple peuvent aussi constituer des fenêtres, des respirations qui permettent d’ouvrir le confinement et le sentiment d’être enfermé en soi-même.

La fermeture des frontières peut être présentée avant tout comme une mesure de protection et non comme un danger de ne pouvoir revenir. Il s’agit là encore de protéger ceux qui sont là-bas et de se protéger soi-même. L’accent peut être mis sur la responsabilité active pour préserver le vivant.

Il s’agira aussi d’accueillir, ensemble, tout ce que le mot "fermeture" porte en lui et provoque en chacun afin de verbaliser et de rendre conscient ce qui sinon risque d’alimenter des scenarii mentaux inquiétants.

La langue, la parole peuvent, elles, circuler et on peut y vivre une certaine liberté si l’on s’autorise à sortir de ce qui aurait tendance à rester enfermé. Le danger est le plus souvent dans ce que l’on imagine et non, dans ce qui est. Mettre l’accent sur la sécurité dans laquelle on se trouve dans l’instant est important pour asseoir un sentiment interne sur lequel se reposer.

Aborder ces sujets avec ses enfants est là aussi l’occasion de laisser place à leurs questions, à leurs craintes et aux possibles aussi qu’ils pourront exprimer et auxquels on n’aurait pas pensé.

C’est leur laisser une place dans la réflexion.

Il peut être important aussi d’inclure cette expérience dans les séparations que nous sommes tous amenés à vivre.

Vivre la perte, accompagné, ensemble peut être une épreuve structurante. Elle ouvre ensuite sur la joie des retrouvailles et sur le caractère précieux de ce qui nous unit.

Comme l’écrivait Françoise Dolto, notre vie est émaillée de castrations symboligènes (entendez par là, de séparations, de petites morts successives), qui nous aident à grandir et à passer les étapes.

Le manque est aussi vecteur de désir et de vie.

Il s’agit peut-être en ces temps troublés de nous en rappeler.
 

 

Qu’en est-il de l’école à la maison, des tensions qu’elle peut potentiellement générer ?

Quels sont vos conseils ?

Il me semble important de maintenir une vie structurée et rythmée pour ne pas se déconnecter de la vie sociale et ainsi s’inscrire dans une forme de continuité.

Sur le plan scolaire, les parents ne peuvent se substituer aux enseignants, mais ils sont garants de l’organisation du déroulé de la journée, en laissant la place aux enseignements, aux activités, aux temps de pause. Cette structuration du temps permet d’établir des limites qui sont elles-mêmes génératrices de sécurité pour l’enfant.

Les tensions rencontrées peuvent être aussi une opportunité de transformer le regard que l’on pose sur son enfant. Dans ce temps un peu particulier, on peut choisir de se décaler de nos schémas répétitifs. En neurologie, on appelle ça la neuroplasticité.

Plutôt que de mettre l’accent sur ce que notre enfant ne sait pas faire, on peut valoriser ce qu’il nous montre de lui et ce qu’il fait. Un enfant peut décider de ne pas faire ses devoirs avec beaucoup d’humour, ce qui est une autre forme d’intelligence et une volonté d’asseoir sa liberté !

La situation est suffisamment difficile pour chacun, parents et enfants pour que l’on soit plus bienveillant avec soi-même.

On pourra le remercier aussi d’avoir pris le temps de travailler, de s’être adapté, d’avoir montré ce qu’il pouvait changer dans ses repères.

On peut aussi réaménager l’espace intérieur de la maison en proposant des lieux pour différentes activités, même s’ils ne sont pas grands, et les délimiter. Chacun peut ainsi s’isoler en fonction de ce qu’il choisit de faire.

Si la colère prend le pas, il s’agira de l’accueillir comme faisant partie du tout. On peut isoler l’enfant le temps qui lui est nécessaire pour se calmer. Puis revenir sur ce qu’il a ressenti, l’aider à mettre des mots sur ce qui l’a envahi. Il s’agit de laisser place même aux émotions négatives.

Pour les plus grands, mieux vaut proposer des alternatives et des compromis plutôt que d’interdire ce qui peut renforcer leur sentiment d’enfermement.

Peut-être que "la réussite" réside plus dans la capacité que nous aurons tous à recréer les liens qui nous unissent, en offrant à ceux qui nous entourent plus de présence et d’attention.

La réussite viendra de surcroît !                      


Beyer Peggy

Psychologue Clinicienne

 


Psychologue clinicienne de formation et de profession, après des études de droit et de criminologie, j’ai exercé plus de 15 ans en Centre Médico Psychologique pour Enfants, en Centre d’Accueil et de Soins pour Adolescents et en cabinet libéral pour adultes. D’orientation psychanalytique, j’ai participé et animé des psychodrames analytiques au sein de l’hôpital Sainte Anne à Paris. J'ai vécu pendant plus de 5 ans à Mumbai avec ma famille où j'ai continué autrement à exercer mon écoute et à me mettre à l’école du vivant.  



 

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