On estime que les paysans indiens cultivent le coton depuis plus de 5000 ans. Les Grecs dans le sillage d’Alexandre le Grand au IVème siècle avant JC se sont enthousiasmés pour cette plante dont ils disaient que le fruit « est plus doux que la laine de mouton ! ».
Le coton, une production ancestrale devenue un outil de résistance contre la domination britannique
Le pays tout entier a développé un grand savoir-faire dans le tissage de son fil. Ses productions ont voyagé au-delà des océans. Ainsi, les premières cotonnades indiennes sont arrivées en France par le port de Marseille au XVIIème siècle.
Au XIXème, la demande mondiale de coton explose. Les premières usines de textiles sont créées à Calcutta en 1838 et la communauté Parsi installe des ateliers de production à Bombay en 1853. L’empire TATA trouve là son origine.
Cependant, le pays devient de plus en plus dépendant de l’industrie britannique qui, dans la seconde moitié du XIXème siècle, importe par an, depuis l’Inde, 87 000 tonnes de coton brut pour lui retourner 88 000 tonnes de coton tissé, multipliant par quatre la valeur ajoutée de la matière première.
Cette situation sera dénoncée par Gandhi dans son programme de non coopération. Il incitera alors la population à se vêtir du fameux « khadi », tissé à la maison, pour rejeter les cotonnades anglaises.
L’Inde, aujourd’hui premier producteur mondial
L’Inde est devenue le premier producteur mondial de coton, suivie par la Chine, les Etats Unis et le Brésil.
La production est répartie entre une dizaine d’états : Pendjab, Haryana, Rajasthan, Gujarat, Maharashtra, Madhya Pradesh, Andhra Pradesh, Karnataka et Tamil Nadu. Le Gujarat en est le premier producteur.
Le coton, une culture intensive qui appauvrit les sols
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, sous la pression de l’industrie britannique qui exigeait des fibres longues, une nouvelle variété de coton a été introduite en Inde, le coton dit « américain » (Gossipium hirsutum). Cette variété s’est révélée moins résistante à certaines maladies et à la sécheresse que la variété endémique (Gossipium herbaceum).
Aujourd’hui, 95 % des plants de coton indiens sont des OGM, mis au point pour résister à un parasite dévastateur « le ver de la capsule ». Cependant, les variétés OGM sont beaucoup plus exigeantes en eau et en traitements fertilisants et produits phytosanitaires. Pour s’en convaincre, deux chiffres : le coton occupe 5 % des surfaces cultivées en Inde et consomme 54 % des pesticides utilisés dans le pays.
La culture du coton est une production intensive qui appauvrit les sols et les réserves hydriques. L’orientation vers un coton écologique moins pénalisant est encore très modeste.
La tradition textile du Gujarat
Le Gujarat est donc le premier état indien pour la production de coton, mais il produit aussi 30 % du tissu tissé du pays.
Autrefois, la ville d’Ahmedabad comptait une multitude d’ateliers de tissage, familiaux et artisanaux. Aujourd’hui, les entreprises textiles ont migré vers le sud de l’état et Ahmedabad s’est tournée vers d’autres secteurs, en particulier les industries chimiques et pharmaceutiques.
La ville a néanmoins conservé la mémoire de son passé textile, dans ses musées. Une mention spéciale pour le « Calico Museum of Textiles » dont la collection est extraordinaire. Le musée, qui se visite exclusivement sur réservation, est logé dans un bâtiment inspiré de l’architecture traditionnelle locale et construit avec des éléments de maisons anciennes.
Il permet de découvrir la richesse de la production textile du Gujarat sous toutes ses formes mais aussi celle d’autres régions indiennes.
La diversité des techniques de tissage et d’ornement propres au Gujarat est celle de sa population : chaque groupe religieux, ethnique a développé son art. On peut ainsi citer :
- Les cotonnades des tribus Kutch (région la plus à l’ouest de l’état), brodées à points comptés ou incrustés de petits miroirs dont certains sont minuscules (2 mm de diamètre)
- Les Bandhinis ou « tie-dyed technique » qui consiste à teindre le tissu en nouant les parties par couleur, à partir d’un dessin imprimé au préalable au pochoir. Il y a autant d‘étapes de nouage et de teinture que de couleurs. Pour distinguer un « vrai bandhini » d’un faux réalisé par impression, les artisans n’enlèvent les fils de nouage qu’au moment de la vente.
- Le Patola
Dans la ville de Patan, à une cinquantaine de kilomètres d’Ahmedabad, nous avons visité l’un des derniers ateliers de production de « patolas ». Depuis des générations, la famille Salvi y confectionne des saris qui réclament plusieurs mois de travail pour cinq à six personnes. Chaque pièce est unique. Très onéreuse, elle est en général offerte pour des mariages. Malgré le prix, le carnet de commande de l’atelier est plein pour plusieurs années.
La préparation avant tissage dure au moins deux mois car il s’agit de reproduire sur les fils de trame et de chaine le dessin et les couleurs. La technique est nommée « double Ikat ». Les fils sont teints en les trempant dans des bains de couleurs exclusivement naturelles, les parties qui non concernées par la couleur étant protégées par des ficelles nouées. Les couleurs et le tissage sont absolument identiques sur l’envers comme sur l’endroit.
- Les Chandarvos
Dans un faubourg d’Ahmedabad, nous avons eu le privilège d’être accueillis par une famille d’artisans, au grand complet : père, mère, enfants, cousins. Tous s’affairaient autour de la table de dessin installée à l’étage de leur très modeste maison.
Ce sont des Chitarai, descendants d’un groupe nomade de la caste des Vagri. Chiffonniers, saisonniers agricoles sans terre, colporteurs, ils étaient connus pour leurs talents musicaux et leurs productions textiles destinées aux dieux, les Chandarvos. Ils vénéraient en particulier une déesse aux multiples bras, tueuse de buffles et chevauchant un coq géant. Les Chandarvos, pièces de coton colorées, aux fins dessins détaillés, couvrent encore aujourd’hui les têtes des dieux dans certains temples du Gujarat.
Chandrakan Chitara, le chef de notre famille d’accueil, perpétue la tradition en transmettant à ses enfants la technique et l’imaginaire des dessins. Il a reçu plusieurs prix nationaux en reconnaissance de son talent.
Pour se convaincre de la richesse de la tradition textile du Gujarat, on peut aussi admirer les tenues de ceux qui dansent la GARBA pendant les fêtes de Navratri.
Pour se lancer dans la foule qui tous les soirs envahit chaque quartier d’Ahmedabad, il faut impérativement porter un de ces somptueux costumes, héritiers du savoir faire et de l’imagination des Gujarati.
Dans les semaines qui précèdent, les rues d’Ahmedabad accueillent des vendeurs de jupes, corsages, écharpes, pantalons de toutes les couleurs et de tous les styles.
La tradition veut que l’on change de tenue tous les soirs, ce qui suppose neuf costumes différents. Pour limiter la dépense, les femmes ont l’habitude de s’associer entre amies : neuf copines qui achètent chacune une tenue ; neuf costumes que l’on s’échange.