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“Le Bourreau des Forêts” : un criminel décime la forêt de bois de santal en Inde

Shahul Hameed le criminel environnemental qui décime la forêt de bois de santalShahul Hameed le criminel environnemental qui décime la forêt de bois de santal
© Premières Lignes
Écrit par lepetitjournal.com Bombay
Publié le 8 août 2023, mis à jour le 19 décembre 2023

Les grands reporters Hugo Van Offel et Martin Boudot partent à la traque de criminels environnementaux dans une série documentaire intitulée Planet Killers de France Télévisions. Le 3 avril à 21h00 et 21h50 seront diffusés sur France 5 les deux documentaires, Le Parrain des océans et Le Bourreau des forêts, ils seront ensuite disponibles en replay sur france.tv

 

Hugo Van Offel nous a accordé une interview pour évoquer le quatrième épisode de la série, Le Bourreau des Forêts, qui s’intéresse au trafic de bois de santal rouge dans l’État de l’Andhra Pradesh en Inde.

 

lepetitjournal.com : Comment vous est venue l’idée d’un telle série ? Et de ces sujets en particulier ?

Hugo Van Offel : C’est le producteur de la série documentaire, Martin Boudot, journaliste d’investigation spécialisé dans l’environnement, qui a eu l’idée de raconter les crimes environnementaux à travers la traque des grands parrains. Pendant deux ans, Martin Boudot a négocié avec l’Unité des crimes environnementaux d’Interpol pour obtenir leur coopération et bénéficier de leurs connaissances. Quand Interpol a finalement accepté, France Télévisions a tout de suite soutenu le projet, que j’ai moi-même rejoint.

 

Les bureaux d'Interpol à Lyon
© Premières Lignes

 

 

Pour nos documentaires, nous avons identifié un grand parrain par type de crime environnemental. Nous nous sommes intéressés aux personnes qui sont sur la liste rouge d’Interpol, c'est-à-dire qu’ils sont un objectif prioritaire pour l’agence internationale.

Dans le cas du bois de santal, nous voulions faire un épisode sur le trafic de bois, et Shahul Hameed s’est révélé être la personne la plus recherchée par Interpol dans ce domaine.

Le bois de santal rouge pousse dans un seul endroit du monde dans les forêts des collines de Seshachalam, Veligonda, Lankamala et Palakona dans l’État de l’Andhra Pradesh en Inde. Il est excessivement cher de par sa rareté et l’appétence des Asiatiques pour les meubles de luxe fabriqués avec ce bois.

 

Un arbre de santal rouge
Un arbre de santal rouge © Premières Lignes

 

 

Qu’avez-vous réussi à apprendre au sujet de Shahul Hameed et de sa famille ? A-t-il été facile d’obtenir des informations ?

Shahul Hameed a fui l’Inde pour Dubaï et y a monté un petit empire. Il a investi dans l’immobilier, il possède aussi des hôtels et des centres commerciaux. On le soupçonne, sans avoir pu le prouver, d’utiliser sa société d’import-export basée à Dubaï pour dispatcher le bois de santal partout dans le monde.

À Dubaï, nous avons passé beaucoup de temps à attendre au soleil devant la maison d’un des fils de Shahul Hameed. Un jour, nous avons réussi à parler au téléphone avec ce fils après être tombé par hasard sur son chauffeur. Il n’a pas semblé surpris au téléphone, il est très éduqué et semble éprouver une sorte de sentiment d’impunité qui lui fait penser qu’il n’a rien à craindre.
D’ailleurs, l’autre fils de Shahul Hameed, qui s’était fait arrêter lors d’un voyage en Inde, a réussi à être libéré sous caution et s’est enfui. Cela renforce évidemment leur sentiment d’impunité.  

 

Des buildings de Dubai
Dubai © Premières Lignes

 

 

Trouver des informations a été un véritable challenge. La vérité, c’est qu’il y a peu d’informations disponibles sur ces  grands parrains, ce sont eux qui contrôlent tout donc ils se protègent en restant dans l’anonymat. Il n’a pas été évident de préparer ce tournage, et beaucoup de contacts ont été noués sur place au gré des rencontres que nous avons faites et du climat de confiance que nous avons réussi à installer.

Pour réaliser ce documentaire, nous avons eu la chance de travailler avec Sudhakar Reddy Udumula, un journaliste d’investigation indien, qui travaille notamment pour le Times of India. Il venait tout juste d’écrire un livre sur le trafic de bois de santal rouge, et s’est révélé d’une aide précieuse. Dans Le bourreau des forêts, il est un peu le fil conducteur du récit.

On a également été en relation avec un ancien policier qui a continué d’enquêter sur Shahul Hameed même après avoir quitté la police. Lui aussi est présent dans le documentaire et son témoignage nous a beaucoup apporté.

 

Le journaliste d'investigation indien
© Premières Lignes

 

 

Dans le documentaire, on comprend que des brigades protègent activement la forêt de bois de santal rouge, ont-elles un réel impact ? Constate-t-on une amélioration de la situation ? 

Honnêtement, il semble difficile de limiter le trafic…

Nous sommes allés dans la forêt pour voir l’arbre de santal rouge et nous rendre compte des challenges pour les protéger. Ce sont des collines escarpées où il fait très chaud et couvertes de nombreuses plantes coupantes.

La plupart des rangers qui patrouillent les forêts de bois de santal rouge sont convaincus du bienfondé de leur mission et font un superbe travail. Mais, ils le font dans des conditions vraiment difficiles et avec les moyens du bord alors qu’ils ont en général des gens armés face à eux. La hiérarchie de la police locale ne semble pas montrer la même motivation que les rangers.

Il ne faut pas oublier que la corruption est un fléau important en Inde, donc c’est un peu David contre Goliath… Selon nos informations, une partie de l’argent issu du trafic financerait les campagnes électorales locales… Là encore, nous ne pouvons pas le prouver.

 

Un ranger indien devant un arbre de bois de santal rouge
© Premières Lignes

 

 

Pourquoi Shahul Hameed s’est-il enfui à Dubaï ? À quoi ressemble sa vie là-bas ?

Beaucoup d’Indiens vivent à Dubaï : la plupart font des travaux manuels (comme les ouvriers du bâtiment par exemple), mais une petite portion est composée d’Indiens très fortunés qui ont été attirés par le paradis fiscal qu’est Dubaï. C’est le cas de Shahul Hameed. Dès lors où la situation s’est compliquée en Inde, il a “trouvé refuge” à Dubaï et y a été accueilli à bras ouverts…

Dans Le bourreau des forêts, on fait témoigner un ancien voisin de Shahul Hameed qui explique que ce dernier ne se cache pas, bien au contraire. Ses fils n’hésitent à pas s’afficher et roulent dans des voitures de luxe.

Beaucoup d’Indiens qui résident aussi à Dubai n’apprécient pas Shahul Hameed et veulent protéger le patrimoine de leur pays comme les forêts de bois de santal rouge si uniques. C’est la raison pour laquelle certains sont prêts à donner des tuyaux à la police ou à parler aux journalistes. C’est ce qui avait mené à l’arrestation de son fils en 2015.

Shahul Hameed a une notice rouge auprès des services d’Interpol, mais cette notice s’applique seulement à un nom et un numéro de passeport. On peut imaginer qu’il est assez facile pour quelqu’un d’aussi fortuné de contourner cette restriction en voyageant avec un faux passeport. Dubaï n’est donc pas vraiment une prison dorée pour lui.

 

Un garde du corps à Dubai
© Premières Lignes

 

 

Sur une note plus “positive”, comment agir pour participer à la protection de la forêt de bois de santal ?

Je pense que l’engagement citoyen est la meilleure piste. Il faut essayer d’intéresser une ONG locale ou internationale pour organiser des veilles, faire acte de présence et empêcher les contrebandiers d’accèder aux arbres.

Ceux qui vont dans la forêt pour couper le bois pour le compte de Shahul Hameed sont très pauvres et le font pour gagner de l’argent pour survivre. S’ils sont arrêtés par la police, la situation devient très compliquée pour eux.

 

Et enfin, la série Planet Killers a-t-elle reçu un bon accueil ?

La série a reçu un très bon accueil dans la presse. L’épisode qui concerne le trafic d’ivoire diffusé en janvier a eu des retombées inattendues, car les 2 protagonistes qui étaient en fuite depuis 2015 sont en train de négocier avec le gouvernement du Kenya pour se rendre à la justice.

Sur une note moins positive, Martin Boudot a récemment été menacé de mort par Cyril Astruc suite à la diffusion de l’épisode Le prince du carbone… Cyril Astruc fait l’objet d’une notice rouge d’Interpol pour une énorme arnaque à la taxe carbone. Il se cache à Tel Aviv et craint d’être extradé.

 

C’est quand il y a des retombées positives à la suite de reportages, quand le journalisme a un impact, quand on fait changer des lois, quand on met en lumière des scandales, quand les choses bougent, que nous sommes confortés dans l’importance de notre travail. Il faut garder l’espoir et l’optimisme. Malheureusement, l’argent et le profit sont rois dans le monde. Mais il faut lutter au maximum sans être naïf. À la suite de grandes enquêtes, les choses peuvent changer, c’est à ça qu’il faut s’accrocher.

 

 

 

La Rédaction remercie Hugo Van Offel pour ces échanges passionnants et pour sa disponibilité et Valérie Blanchet pour la mise en contact.

 

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