En 1972, à seulement 25 ans, Jean-Pierre Isal est le premier titulaire du poste de médecin coopérant du consulat de France à Bombay, chargé de s’occuper des jeunes hippies français partis pour un grand voyage en Inde et tombés dans la drogue. Retour sur le parcours de ce grand monsieur qui, parti sans formation préalable à la prise en charge des drogués et avec des moyens très limités, a su se faire accepter par les hippies et les aider à sortir de leur tourment.
C’est à l’occasion de notre rencontre avec Shireen Isal, sa femme, que nous avons découvert l’histoire fascinante de Jean-Pierre Isal, ainsi que son lien si particulier avec la ville de Bombay.
Jean-Pierre Isal, d’interne des hôpitaux de Paris à coopérant affecté aux Affaires étrangères
C’est une envie d’ailleurs, doublée d’une bonne dose de hasard, qui mène Jean-Pierre Isal à Bombay.
Ayant tout juste terminé son Internat de médecine aux hôpitaux de Paris à 24 ans, il n’a d’autre choix que de faire son service militaire. La perspective d'atterrir dans une caserne en France comme la plupart des autres conscrits de sa génération ne l’enchante pas, et il décide de demander un poste en Afrique, tout en précisant dans son dossier qu’il parle couramment l’allemand.
Un mois plus tard, il est convié au ministère des Affaires étrangères où on lui propose un poste de coopérant en Tchécoslovaquie. En 1972, le mur de Berlin n’est pas encore tombé et il n’est pas très emballé par la destination. Par chance, une autre demande de renfort immédiat vient d’être envoyée par le consul de France à Bombay qui requiert de toute urgence un médecin pour s’occuper des Français en détresse. La mission nécessite de parler anglais et de savoir taper à la machine.
Sans réfléchir, Jean-Pierre Isal accepte l’offre alors même qu’il tape plutôt mal et ne parle pas l’anglais. Il s’inscrit à des cours intensifs d’anglais, et après quelques difficultés pour obtenir le visa, il finit par s’envoler pour Bombay le 24 juillet 1972.
L’arrivée de Jean-Pierre Isal à Bombay en juillet 1972
L’atterrissage à Bombay à 3 heures du matin en pleine mousson est un peu perturbant, et l’arrivée au consulat le lendemain donne le ton de son expérience : rien n’a été préparé pour son arrivée, personne ne sait vraiment ce qu’il devra concrètement faire, et surtout, il n’y a pas de hippies à Bombay pendant la mousson donc il réalise qu’il n’aura presque rien à faire pendant deux mois.
Les premières semaines sont donc un peu difficiles, il passe beaucoup de temps à marcher dans les rues de Bombay pour découvrir la ville et trouve refuge au café Leopold pour un café et des tartines.
Il rencontre le petit groupe d’expatriés francophones de l’époque, qui se constitue d’à peine 30 personnes qui travaillent au consulat, à l’Alliance française, dans les compagnies aériennes ou les banques, et commence à découvrir la vie culturelle indienne au travers des événements auxquels il participe. C’est d’ailleurs dans ce cercle amical qu’il rencontre Shireen Isal, qui deviendra sa femme en 1974.
Il quitte finalement l’hôtel et s’installe dans un appartement près de la poste de Colaba, où il habite en collocation avec un autre coopérant.
Durant toute cette période, le consulat se consacre majoritairement à la délivrance de visas aux Indiens.
À partir de fin septembre, début octobre, les premiers Français arrivent au consulat parce qu’ils ont perdu leurs passeports ou ont besoin d’une aide administrative spécifique. Jean-Pierre Isal se charge de les accueillir et de les accompagner dans les démarches administratives.
Peu après, les premiers cas psychiatriques commencent à affluer vers le consulat, et le vrai travail débute.
Une année passée auprès des hippies en Inde
Lorsqu’on lit son livre ou qu’on l’écoute raconter son histoire, on comprend qu’une grande partie du travail de Jean-Pierre Isal consiste à aller à la rencontre des hippies pour se faire connaître et tenter de mieux les comprendre.
Une fois la mousson terminée, Jean-Pierre Isal se promène dans Bombay et se rend dans les lieux où les hippies se trouvent, comme par exemple une petite rue près de l'hôtel Taj Mahal Palace. Il est plutôt facile de s’intégrer aux hippies, et petit à petit, il se fait une place, leur explique pourquoi il est là et comment il peut les aider.
Les hippies n’ont pas de préjugés.
Allant de la gestion de problèmes administratifs avec les autorités indiennes, aux problèmes médicaux, en passant par les pertes de passeports et bien d’autres choses, Jean-Pierre Isal apporte un soutien à ces laissés-pour-compte qui ne sont bien souvent plus capables de s’occuper d’eux-mêmes.
En parallèle, Jean-Pierre Isal se rend plusieurs fois à Goa où de nombreux hippies passent l’hiver. C’est notamment là-bas qu’il trouve plusieurs cas graves de jeunes nécessitant un rapatriement en France.
L’histoire est toujours la même, lorsqu’un rapatriement est nécessaire, Jean-Pierre Isal contacte la famille pour qu’elle achète un billet d’avion, il s’assure que le passeport et les formalités administratives sont en règle, et il recommence à respirer seulement quand l’avion atterrit à Paris et qu’il sait que le jeune va bénéficier de l’aide dont il a besoin.
Une fois, Jean-Pierre Isal prend en charge une jeune femme qui est dans un tel état psychotique qu’elle est admise à l’hôpital psychiatrique de Bombay. Il faut signer une décharge pour la faire sortir et la stabiliser pour qu’elle soit en capacité de prendre l’avion. Son état est tellement préoccupant et incertain que Jean-Pierre Isal l’accompagne dans l’avion jusqu’à Paris, et la met dans les mains des ambulanciers de l’hôpital Sainte Anne, qui les attendent à la sortie de l’aéroport.
Malgré ces situations de détresse, et ne sachant bien souvent pas ce qu’il adviendra des hippies qu’il aide à rapatrier, Jean-Pierre Isal reconnaît qu’il crée des relations extraordinaires avec eux.
Cette période m’a appris à ne juger personne.
Les hippies viennent de partout et de tous les niveaux sociaux, allant des riches bourgeois aux personnes issues de milieux défavorisés.
Chez les hippies, il n’y a pas de stéréotype.
Après le départ de Jean-Pierre Isal, d’autres médecins ont poursuivi le travail qu’il avait commencé pour continuer d’apporter un soutien aux hippies français “perdus” en Inde.
La transformation de Bombay entre 1972 et aujourd’hui
Quand on écoute Jean-Pierre Isal parler de “son Bombay” des années 70, on ne peut s’empêcher de soupçonner une pointe de nostalgie. Pourtant, quand on lui pose la question, il nous répond qu’il ne s’agit pas de nostalgie. Étant revenu à Bombay pour rendre visite à sa belle-famille tous les ans depuis près de 50 ans, il a pu apprécier de manière positive le développement rapide et imprévisible de l’Inde, et en particulier celui de la ville de Mumbai.
J’apprécie les énormes progrès de l’Inde, la baisse des inégalités et l’émergence de la classe moyenne qui était difficile à prévoir.
Selon lui, le principal choc qui a provoqué une révolution en Inde est l’arrivée de la télévision par câble, grâce à laquelle les Indiens ont découvert le monde qui les entoure.
Jusqu’aux années 80, il n’était pas possible d’imaginer que les choses prendraient ce tournant : une circulation organisée, plus d’ordre en général, des sans-abris avec des téléphones portables, des centres commerciaux et des concessionnaires de voitures de luxe.
Bien qu’il voie ce développement d’un œil bienveillant, Jean-Pierre Isal reste attaché à ce qui pour lui reste le cœur de la ville : Bombay sud et son patrimoine intemporel.
J’étais médecin chez les hippies est disponible en version eBook sur différents sites en ligne, dont amazon.fr.
La Rédaction remercie Jean-Pierre Isal pour cet agréable moment de convivialité lors de l’interview.