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CHAMAR, maison de design circulaire au service de la mode

CHAMAR est une maison de design circulaire qui donne une deuxième vie aux rebuts et déchets de caoutchouc en les transformant en accessoires intemporels. CHAMAR, c’est avant tout une vision, celle de redonner ses lettres de noblesse à l’artisanat de la communauté marginalisée des Dalits, tout en promouvant l’art sous toutes ses formes.

CHAMAR maison design IndeCHAMAR maison design Inde
Mandee Revolt Ladycow @CHAMAR
Écrit par lepetitjournal.com Bombay
Publié le 9 octobre 2023, mis à jour le 19 décembre 2023

Sur le côté de Clark House, un bâtiment typique mais un peu vieillot de Colaba, se trouve une jolie petite porte entourée de plantes qui, dès le premier coup d'œil, invite les visiteurs à pénétrer dans le studio de CHAMAR.

 

Studio CHAMAR Mumbai

 

Cette entrée discrète et pleine de promesses est à l’image du fondateur Sudheer Rajbhar qui a su embarquer la Rédaction du Petit Journal Bombay dans un voyage artistique, environnemental et humain le temps d’une interview.

 

CHAMAR, une marque éco-responsable et engagée à Mumbai

 

Le mot “chamar” est communément utilisé comme une insulte à l’égard de la communauté Dalit, dont les membres sont également appelés “Intouchables”, et désigne plus particulièrement la sous-caste des tanneurs. “Chamar” vient du mot sanskrit “charmakara” qui signifie “travailleur du cuir”. 

C’est donc tout naturellement que ce terme a été choisi par Sudheer Rajbhar pour nommer sa marque, dont l’un des principaux objectifs est de mettre en lumière le savoir-faire de cette communauté. 

 

Les produits CHAMAR sont fabriqués par des artisans issus des tanneries de Dharavi, dont les techniques sont revisitées et parfois même réinventées pour travailler sur un nouveau matériau : le caoutchouc upcyclé


C’est en observant la filière de recyclage de Dharavi que l’idée est venue à Sudheer de travailler avec les déchets de caoutchouc issus de pneus ou de tubes usagés pour leur donner une seconde vie. Avec sa vision artistique et le désir de travailler sur le concept de “peau” et de “texture”, il a collaboré avec un ami qui possède une usine de caoutchouc à Pune pour parfaire la recette de ce nouveau matériau et réussir à créer des produits upcyclés, de luxe, et ressemblant au cuir.

 

Ratta bag @CHAMAR design circulaire
Ratta bag @CHAMAR

 

Les déchets de caoutchouc sont collectés et transformés à l’usine de Pune, qui travaille habituellement sur des pièces en caoutchouc pour les camions. Lorsque l’usine travaille pour CHAMAR, la technique est tellement particulière qu’elle doit temporairement stopper les autres productions pour se concentrer sur la recette et les canevas de la marque. Ensuite, la production est envoyée à Dharavi où les produits finaux sont faits à la main par les artisans.

 

Allant des pochettes pour tablette ou téléphone aux sacs à main de toutes tailles et couleurs, en passant par les porte-monnaie assortis, ces produits sans cruauté sont imperméables et conçus pour durer dans le temps sans s’altérer.

 

Hang bag @CHAMAR design circulaire
Hang bag @CHAMAR 

 

CHAMAR, une dimension internationale et une participation aux fashion weeks

 

Bien qu’il s’agisse d’un produit de luxe, en particulier compte tenu du nombre d’heures de travail puisqu’il faut par exemple entre deux et trois jours pour qu’un artisan réalise un sac de taille moyenne, la clientèle indienne est pour l’instant réticente à payer un tel prix et a tendance à penser qu’il s’agit seulement d’un basique sac en caoutchouc. 

 

La plupart de la clientèle de CHAMAR vient donc pour l’instant de l’étranger (États-Unis, Australie, Europe, etc.) et passe par le site internet ou la page Instagram. Les commandes peuvent être expédiées partout dans le monde depuis Mumbai. Il reste aussi possible de visiter le studio et d’acheter directement sur place. 

 

Afin de se faire connaître et de promouvoir la marque et les produits, CHAMAR participe à un grand événement par an. La marque respecte la pratique de slow fashion et ne propose qu’une seule nouvelle collection par an pour réduire l'empreinte environnementale et de ne pas créer encore plus de déchets.

    

Cette année, CHAMAR était présent à la Lakme Fashion Week de Mumbai dans le cadre du Circular Design Challenge. CHAMAR a participé au défilé du 9 mars 2023 aux côtés des deux autres marques présélectionnées, “Doodlage-Made from Waste” et “Iro Iro”. Le Circular Design Challenge est une initiative indienne en partenariat avec les Nations Unies en Inde, dont le premier prix avait été remporté par I was a Sari en 2019. 

 


"La mode est une manière de dire qui l’on est sans parler, mais cela ne devrait pas être au détriment de la planète", comme l’a exprimé le représentant des Nations Unies dans son discours d’introduction du défilé le 9 mars.

 

 

Sudheer et l’équipe de CHAMAR espèrent qu’à l’avenir, les initiatives autour du design circulaire iront plus loin et deviendront de réelles plateformes où les marques pourront vraiment raconter leur histoire et rencontrer d'autres acteurs du milieu dans le but de créer un réel impact. 

 

Stefano Funari, l'Italien derrière la marque I was a Sari

 

Le travail du cuir dans les tanneries de Dharavi à Bombay

 

Dharavi est l’un des plus grands bidonvilles du monde, et abrite des millions de personnes. Situé au cœur de Mumbai, Dharavi est comme une ville dans la ville où les habitants ont développé toutes sortes d’activités commerciales et de savoir-faire. 

 

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L’une des activités les plus anciennes de Dharavi concerne le travail du cuir. Les techniques sont transmises de génération en génération. Alors que dans d’autres pays du monde on traite le cuir comme un art dont les produits finis auraient presque une âme, le travail du cuir a mauvaise presse en Inde puisqu’il est considéré comme impur. Seuls les intouchables touchent et travaillent le cuir, et la plupart des Indiens fortunés ne souhaitent souvent pas acheter de produits provenant de Dharavi. 

Petit à petit, les artisans perdent leur passion pour le travail du cuir et l’on estime que la moitié des tanneries de Dharavi a fermé au profit de nouveaux domaines d’activités. 

D’ailleurs, la concurrence chinoise a déjà atteint les dernières tanneries de Dharavi pour lesquelles il est désormais financièrement plus intéressant d’acheter de la production chinoise et de la revendre directement, plutôt que de tout produire sur place. 

 

Tannerie Mumbai @CHAMAR design circulaire
Tannerie à Mumbai @CHAMAR 


Il n’existe qu’une seule école du cuir dans tout le Maharashtra qui est située à Bandra Est, près de BKC. N’ayant pas été bien entretenue au fur et à mesure du temps, et étant localisée dans un quartier très dynamique, cette école risque d’être fermée. Le gouvernement du Maharashtra a en effet pour projet de la démolir pour la remplacer par quelque chose de plus lucratif. 

Tenter de maintenir cette école et d’attirer plus d’étudiants en la transformant en véritable incubateur pour les artisans du cuir de Dharavi est d'ailleurs l'un des challenges que s’est fixés CHAMAR. En organisant des workshops, en proposant des bourses, et en mettant en place d’autres initiatives, notamment pour attirer les femmes artisans, CHAMAR souhaite changer la vision que les gens ont du travail du cuir. 

 

“Nous voulons montrer aux étudiants que c’est plus que ce qu’ils imaginent, qu’ils peuvent vraiment concevoir des produits et faire beaucoup d’autres choses.”, dit Sudheer. 

 

Ecole du cuir Bandra Est Mumbai @CHAMAR
École du cuir à Bandra Est @CHAMAR

 

Tous ces facteurs renforcent l’engagement de CHAMAR qui lutte pour la promotion du savoir-faire, du design, et de l’art sous toutes leurs formes.

 

Sudheer Rajbhar, un artiste indien visionnaire derrière la marque CHAMAR

 

Rien de tout cela ne serait possible sans l’homme discret caché derrière CHAMAR : le talentueux Sudheer Rajbhar. 

 

 

Originaire d’un petit village de l’Uttar Pradesh, Sudheer grandit à Bombay et fait ses études supérieures dans une école d’art. Il réalise très vite que le milieu de l’art en Inde est trop traditionnel à son goût, et son premier poste d’assistant d’artistes renforce cette conviction. 

Avec la volonté d’essayer de nouvelles choses, de tester de nouveaux supports et matériaux, et de faire tomber les barrières existantes du milieu, il se rapproche d’autres assistants d’artistes et se donne pour objectif d’exposer leur travail pour leur donner de la visibilité. 

 

Au fur et à mesure de ses recherches et de ses projets artistiques, il en vient à rencontrer des artisans et découvre Dharavi et toutes ses richesses. C’est à ce moment que naît le projet CHAMAR. 

 


“CHAMAR était un projet artistique”, dit Sudheer Rajbhar.

 

Sudheer Rajbhar @CHAMAR
Sudheer Rajbhar @CHAMAR

 

Depuis quelques années, Sudheer Rajbhar est accompagné dans ses projets par Camille, une designer française diplômée de l’École Boulle de Paris et de l'ENSCI - Les Ateliers, initialement arrivée en Inde pour étudier la broderie réalisée par les femmes indiennes.

 

“Nous travaillons bien ensemble : Camille pour la partie design et objets, et Sudheer pour la partie artistique et les messages à faire passer”, disent-ils.

 

Peu de temps avant le début de la crise de la COVID-19, ils ont lancé la fondation CHAMAR dans le but de promouvoir les collaborations entre les artisans et les designers dans le domaine du cuir, et de documenter toutes les créations pour établir des archives de cet artisanat en perdition.  

 

Ils sont aussi en train de rénover une havelî dans le Rajasthan à environ trois heures de Jaipur, sur l’ancienne Route de la Soie. Cette magnifique demeure a pour vocation de devenir une résidence d’artistes qui accueillera les artistes et les designers et leur permettra de travailler sur leurs projets. Fiers de leur identité, cette havelî portera le nom de “Villa CHAMAR” afin de revendiquer leurs valeurs dans cette zone historiquement très fréquentée par les brahmanes. 

 

Villa CHAMAR Rajasthan
Villa CHAMAR au Rajasthan @CHAMAR


Quand on parle d’avenir, Camille et Sudheer ont les yeux qui brillent et des idées plein la tête. Ils veulent aller toujours plus loin avec CHAMAR, développer de nouveaux produits, collaborer avec plus d’artistes et de designers, accroître leur présence à l’international, et promouvoir la ville de Bombay au travers de leur art.

 

La Rédaction du Petit Journal Bombay remercie sincèrement Camille et Sudheer pour leur temps, leur positivité et la passion qui les anime et qu’ils ont si bien réussi à transmettre. Nous leur souhaitons beaucoup de réussite ! 

lepetitjournal.com bombay
Publié le 9 octobre 2023, mis à jour le 19 décembre 2023

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