L’Inde est une des économies à la croissance la plus rapide au monde (7,2 % l’an passé) et en passe de devenir la troisième économie mondiale. Lors de son discours célébrant l'indépendance de l’Inde, le Premier ministre Modi a déclaré vouloir atteindre le statut de pays développé (aussi appelé pays à revenu élevé, High income status) d’ici le centenaire de l'Indépendance en 2047. Et si ce programme ambitieux semble atteignable, il reste néanmoins de nombreux challenges : la malnutrition, le changement climatique et la transition vers une économie durable, les inégalités, et la question de l’emploi.
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Si depuis 2020 et la crise du COVID, les indicateurs globaux de l’emploi se sont améliorés, il existe des inquiétudes que le dernier rapport de l'Université Azim Premji sur l'état de l’emploi en Inde 2023 (State of working India) semble confirmer.
Selon ce rapport, même si le taux de chômage est passé de 8,7 % en 2017-2018 à 6,6 % en 2021-2022, 42,3 % des diplômés indiens de moins de 25 ans étaient au chômage en 2021-2022. Ce chiffre baisse rapidement pour les personnes plus âgées : 22,8 % pour les 25/29 ans, 9,8 % pour les 30/34 ans et 2 % pour les plus de 40 ans. Ces données montrent que les personnes diplômées finissent par trouver un travail, mais elles restent inquiétantes, quand on sait que 66 % de la population indienne (808 millions de personnes) a moins de 35 ans.
Plus étonnant, le taux de chômage diminue en fonction de la baisse des qualifications scolaires. Le taux de chômage chez les jeunes de moins de 25 ans ayant terminé des études secondaires supérieures est de 21,4 %, de 18,1 % pour ceux qui ont fini des études secondaire (Classe 10), de 15 % pour ceux ayant fini leur éducation primaire ou jusqu’au collège, de 10,6 % pour ceux qui savent lire mais n’ont pas fini le primaire, et de 13,5 % pour ceux qui sont illettrés.
Plusieurs théories peuvent expliquer ces chiffres : le taux d’emploi est faible car les jeunes diplômés veulent un salaire en adéquation avec leur qualification et refusent le compromis même si cela signifie être au chômage.
Une autre explication avancée par Rosa Abraham, co-autrice du rapport, est que ceux qui obtiennent un diplôme d’études supérieures proviennent de ménages à revenu élevé ou de ménages où au moins un parent a un bon emploi. « Ces jeunes peuvent se permettre de rester au chômage. Ils n’ont pas nécessairement besoin de gagner un salaire pour vivre, c’est pourquoi on voit des taux de chômage plus élevés pour cette catégorie ».
Certains avancent aussi l'idée que si le taux de chômage est si important, c'est que l’obtention d’un diplôme ne signifie pas l’obtention de compétences. Ces jeunes auraient donc fini leurs études sans réelles qualifications ou savoir-faire, les rendant inemployables.
Enfin, il se pourrait que les jeunes diplômés aient obtenu un diplôme en lien avec un marché déjà saturé. On pourrait alors se demander si le taux de chômage baisse avec l'âge car le demandeur d’emploi trouve ce qu'il cherche, ou accepte un salaire moins important, ou change de secteur et obtient un emploi en inadéquation avec son diplôme.
Dans les journaux, on parle beaucoup de ces jeunes ultra-diplômés qui finissent par accepter un emploi dans les cantines, comme balayeur dans des écoles ou encore comme coursier. Certains parlent même d’une génération perdue et le Congrès accuse le Premier Modi d’avoir “détruit les rêves et l’espoir d’une génération”, entrainant une augmentation du taux de suicide chez les jeunes (l’Inde enregistre chaque jour plus de 35 suicides chez les jeunes).
Le secrétaire général du Congrès, Jairam Ramesh, a déclaré que l’échec massif du gouvernement Modi à fournir suffisamment d’emplois dans le secteur formel a conduit à cette situation. Il a cité des données de l’Organisation de prévoyance des employés (EPFO) pour 2021-22 qui montrent que l’emploi dans le secteur formel demeure inférieur de 5,3 % à ce qu’il était en 2019-2020. De plus, le nombre d’employeurs officiels aurait diminué de 10,5 % entre la période 2019-2020 et celle de 2021-2022. Le nombre d’emplois offerts dans le secteur public aurait quant à lui diminué de 20 % entre 2015-16 et 2022-23 ; l’Inde a maintenant un nombre de fonctionnaires pour 1000 habitants parmi les plus bas dans le monde, plus faible que celui des Etats-Unis, de la Chine ou du Brésil.
En Inde, le lien entre le PIB et l’emploi semble de plus en plus ténu et si le Premier ministre souhaite atteindre le statut de pays à haut revenu ou pays développé, il lui faudra résoudre la question du chômage et du sous-emploi pour la majorité de sa population.