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Le bras de fer entre Twitter et le gouvernement indien

Un téléphone portable connecté à TwitterUn téléphone portable connecté à Twitter
Écrit par lepetitjournal.com Bombay
Publié le 22 juin 2021, mis à jour le 19 décembre 2023

Depuis plusieurs mois, Twitter et le gouvernement indien sont engagés dans un bras de fer qui n’a fait que s’intensifier après l'entrée en application des nouvelles règles informatiques définies par la loi du 27 mai 2021. L’Inde est un marché prometteur pour Twitter, mais la plateforme de microblogging refuse de se plier aux règles locales et d'accéder à la demande du gouvernement indien de suspendre des comptes ou des posts. 

 

Twitter et le gouvernement indien arguent tous deux de leur intention de protéger les utilisateurs dans cette bataille entre l'intérêt national et la liberté d'expression. "La protection de la liberté d'expression en Inde n'est pas l'apanage d'une entité privée, à but lucratif et étrangère comme Twitter, mais c'est l'engagement de la plus grande démocratie du monde et de ses institutions robustes", a déclaré le ministère indien de l'électronique et des technologies de l'information (MeitY) dans un communiqué. 

 

 

 

Twitter, encore peu implanté en Inde 

Twitter a 17,5 millions d’utilisateurs dans le pays selon le ministère indien de l'Électronique et des Technologies de l’Information (données de février 2021).

Le compte du Premier Ministre Narendra Modi est un des plus importants de la plateforme avec 68,7 millions de followers en 2021. C'est le douzième compte mondial par nombre de followers et il se place entre Kim Kardashian et Selena Gomez.

La plupart des membres du gouvernement et des politiciens tweetent régulièrement.

Mais, Twitter est encore loin d’avoir une forte présence sur le marché indien. En comparaison, WhatsApp a 530 millions d’utilisateurs en Inde (son plus grand réseau), YouTube 448 millions, Facebook 410 millions et Instagram 21 millions (données du ministère indien de l'Électronique et des Technologies de l’Information).

 

Début 2021, lorsque Twitter s’est opposé à la demande du gouvernement indien de supprimer des posts concernant les manifestations d’agriculteurs, certains ministres et services gouvernementaux ont adopté Koo, la plateforme de microblogging développée localement en 2020 et ont incité les utilisateurs à faire de même via Twitter (!). Le nombre d'utilisateurs de Koo a alors considérablement augmenté et celui de Twitter un peu diminué.
 

Les nouvelles règles de la loi informatique 2021

Le 27 mai 2021, la nouvelle loi sur l’informatique est entrée en vigueur en Inde.

Les nouvelles règles liées à internet s'appliquent à une grande variété de médias, plus particuliérement aux sites d'information, aux services de streaming comme Netflix et Amazon et aux plateformes de médias sociaux. Elles donnent au gouvernement des pouvoirs étendus pour demander le retrait rapide d'articles, de messages ou de tout autre type de publication. Les règles stipulent aussi que les entreprises de médias sociaux désignent des cadres basés en Inde, qui pourraient être tenus pénalement responsables de toute violation et qu'elles créent des systèmes permettant de retracer et d'identifier le "premier auteur" des posts ou des messages que le gouvernement juge "offensants".

 

Twitter ne s'est pas encore conformé à ces dispositions. Le gouvernement lui a envoyé de multiples avis et a menacé de révoquer la protection offerte par la loi indienne contre des poursuites pour les actes de leurs utilisateurs.

 

Twitter n'est pas la seule plateforme à ne pas s'être conformée aux nouvelles règles, mais est la seule à n'avoir pas porté plainte devant la justice. WhatsApp a intenté un procès en mai 2021 contre le gouvernement indien, arguant que les nouvelles règles permettent une "surveillance de masse". En vertu des nouvelles règles, WhatsApp doit être capable d’identifier l'expéditeur du premier message dans une chaîne de messages que le gouvernement considère contraire à la loi. Selon les responsables de WhatsApp, cela nécessite de supprimer le cryptage des messages et de les stocker dans une base de données "traçable". 

 

Google et Facebook ont jusqu'à présent réussi à éviter la controverse en nommant les responsables requis par la loi. 


 

Les tensions entre Twitter et le gouvernement indien durent depuis plusieurs mois

En février 2021, Twitter a bloqué plus de 500 comptes et en a supprimé un nombre indéterminé, après que le gouvernement a accusé ces comptes de tenir des propos incendiaires à l'égard de Narendra Modi en rapport avec les manifestations d'agriculteurs en colère. Quelques heures plus tard, Twitter a débloqué les comptes. Parmi les comptes bloqués, on comptait ceux de médias locaux tels que le magazine Caravan alors que Twitter avait toujours affirmé qu'il ne bloquerait pas les comptes de médias.

 

 

En avril 2021, le gouvernement a ordonné à Facebook, Instagram et Twitter de retirer des dizaines de messages qui critiquaient sa gestion de la pandémie. L'ordre visait une centaine de messages émanant de politiciens de l'opposition, dont des appels à la démission de Narendra Modi.

 

En mai 2021, la police de Delhi s'est rendue dans les locaux de Twitter à Delhi pour obtenir les preuves qui ont permis à la société d'apposer la mention "document manipulé" sur plusieurs tweets de membres du parti au pouvoir.

 

 

En juin 2021, Twitter a accédé à la demande du gouvernement de bloquer le compte Twitter du rappeur Jaswinder Singh Bains, originaire du Pendjab, alias JazzyB. Alors que Twitter l'a informé qu'il avait été bloqué pour avoir violé la loi indienne sur les technologies de l'information, Jaswinder Singh Bains a déclaré qu'il pensait avoir été bloqué pour avoir soutenu les agriculteurs dans leurs protestations, selon les médias.

 

Le compte Twitter du rappeur Jazzy B

 

Le 21 juin, Twitter a bloqué une cinquantaine de posts liés à un incident dans l’Uttar-Pradesh à la demande du gouvernement, mais les comptes concernés n'ont que peu de followers.

 


Ndlr : lorsque Twitter bloque un post ou un compte, la suspension ne concerne que le pays dans lequel le post ou le compte est bloqué. Ils sont visibles partout ailleurs dans le monde.


 

Quels risques Twitter court-il ?

Depuis l'entrée en vigueur de la loi sur l’informatique, le hashtag #TwitterBanInIndia circule sur les plateformes de médias sociaux, mais la Fondation pour la liberté de l'Internet (Internet Freedom Foundation) a expliqué : “Rien de concret sur le sujet n’a été annoncé par le gouvernement.” 

 

Selon des juristes, Twitter ne peut pas perdre son statut d'intermédiaire pour cause de non-conformité aux règles de la nouvelle loi, mais peut seulement perdre sa protection contre la responsabilité pour les actions des utilisateurs sur sa plateforme.



Ce bras de fer entre le gouvernement indien et Twitter s'inscrit également dans le cadre d'une confrontation mondiale entre les gouvernements et les grandes entreprises du secteur des technologies de l'information, qui avaient jusqu'à présent plus ou moins le champ libre dans leur mode de fonctionnement. Les gouvernements qui les avaient ignorées ou qui les avaient utilisées à leur avantage cherchent maintenant à les réglementer, car leur poids financier et leur influence sur les populations locales augmentent. L'Inde étant l'un des plus grands marchés dans le monde pour les applications internet, les entreprises telles que Twitter ou Facebook ne peuvent plus se comporter comme si elles étaient au dessus des lois si elles souhaitent profiter du potentiel local.

 

 


Ndlr : Le 11 juin, trois rapporteurs spéciaux du Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies spécifiaient dans leur rapport que les nouvelles règles informatiques entrées en application en Inde laissaient craindre une restriction de la liberté d'expression et qu'elles étaient en violation d'un large éventail de droits de l'homme. Le gouvernement indien a répondu qu'elles ont été élaborées après une vaste consultation des parties prenantes et visent à protéger les droits des utilisateurs en ligne.


 

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