Le Chettinad, petite région du sud du Tamil Nadu peu connue des touristes, dispose pourtant d’un patrimoine architectural riche et a maintenu ses traditions villageoises. Malheureusement, ce patrimoine est en voie d’extinction, les magnifiques maisons palatiales construites par les Chettiars au début du siècle dernier n’étant plus entretenues par leurs propriétaires partis dans les villes ou à l’étranger, nombre d’entre elles ont déjà été détruites.
Deux architectes français, Michel Adment et Bernard Dragon, sont tombés sous le charme de cette région il y a plus de dix ans et ont fondé, ArcHe-S, une association française pour la préservation du patrimoine culturel du Chettinad. Ils ont aussi restauré et transformé en hôtel de charme, une des magnifiques demeures traditionnelles de la région, Saratha Vilas, à Kothamangalam.
Selon Michel Adment et Bernard Dragon, le développement touristique de la région doit se faire sur la base d’un plan de préservation des structures historiques et d’une réglementation appropriée sous peine de la disparition complète de l’héritage culturel des Chettiars. Le document préparé par le bureau de l’UNESCO à New Delhi et l’ONG ArcHe-S propose des options de développement touristiques en ce sens.
Partons à la découverte du Chettinad, de ses villages et de ses traditions sous la houlette de Michel Adment et Bernard Dragon.
Le Chettinad et les Chettiars
A équidistance ou presque des temples de Thanjavur au nord, de la ville de Madurai à l’ouest et de la côte de Coromandel dans le golfe du Bengale à l'est, le Chettinad est une région semi-aride du sud du Tamil Nadu. Elle est habitée, entre autres communautés, par quelque 110 000 Chettiars (une communauté de marchants tamouls) qui sont répartis dans deux villes et soixante-treize villages.
Les Natukottais Chettiars appartiennent à une lignée de marchands prospères et de banquiers qui ont fait fortune en Asie du sud-est, et plus particulièrement de la deuxième moitié du 19e siècle au début du 20e siècle. Leur grande influence et leur vaste fortune leur permirent de construire un réseau dense de villages spécifiques à la région.
Au fil de leurs voyages, les Chettiars ont intégré à leurs traditions architecturales diverses influences qui ont contribué à la singularité de la région. Ils ont développé leurs villages selon des règles d'urbanisme précises et sophistiquées comprenant des rues orthogonales et des schémas spécifiques de gestion de l’eau.
Les Chettiars ont aussi fait preuve d’innovation technique et de créativité artistique tout en respectant les traditions tamoules pour la construction des maisons. Celles-ci sont bâties sur des parcelles rectangulaires et disposent toutes au minimum d’une cour intérieure pour assurer la circulation de l’air et séparer les espaces.
Les maisons palatiales du Chettinad
Dans leur étude sur le Chettinad pour l’UNESCO, les deux architectes français détaillent les caractéristiques des maisons des Chettiars, qui sont de véritables palais adaptés au climat aride de cette partie du Tamil Nadu.
Les influences architecturales que l’on peut voir dans les villages du Chettinad reflètent le mode de vie des Chettiars, qui ont su combiner leurs traditions vivantes avec les influences de l'économie mondiale.
Le style de planification a également évolué au fil des décennies. Des pavillons, des halls et des cours ont été ajoutés à des fins commerciales et comme espaces pour les réceptions et les mariages, faisant de ces maisons traditionnelles de véritables palais.
Pour construire ces palais, on a fait venir des matériaux et des experts du monde entier, ce qui n'a fait qu'ajouter à la gloire culturelle du Chettinad.
Les maisons sont construites autour d'une cour centrale Est/Ouest qui apporte des ombres, de la lumière, de la fraîcheur et de l'air. Les matériaux utilisés pour la construction tels que les briques pour les murs, les enduits à la chaux, les toitures en tuiles de terre cuite, les sols en marbre et en pierre sont des éléments essentiels. Tout est fait pour récupérer la moindre goutte d’eau : les pentes des toits sont importantes et permettent la collecte des eaux de pluie pendant la saison des pluies. Un système de drainage achemine l'eau des bassins de la cour vers des réservoirs de stockage.
La gestion de l’eau, une ressource précieuse dans le Chettinad
Dans leur brochure sur le patrimoine architectural du Chettinad, Michel Adment et Bernard Dragon expliquent que, comme les villages dépendaient entièrement de l’eau de pluie, les Chettiars ont imaginé plusieurs systèmes pour contrôler le flux d’eau et entrepris d'importants travaux de terrassement afin de gérer la collecte des eaux de pluie. Ils ont développé et amélioré à grande échelle sur le territoire, les techniques traditionnelles tamoules de gestion de l'eau façonnant ainsi un paysage unique, constitué d'une alternance de lacs bordés de digues plantées de différentes espèces d'arbres, de terres agricoles, de forêts et d'anciens bois sacrés.
Le paysage spécifique du Chettinad est aujourd'hui une zone verte et attractive qui accueille des espèces d'oiseaux migrateurs une partie de l'année après la mousson.
Le système hydraulique est composé de deux types de réseaux interconnectés. L'un se trouve à l'intérieur des villages et comprend des drainages et des bassins (ou ooranis). L'autre est constitué d'erys (ou Kanmois), réservoirs traditionnels de stockage des eaux de surface, répartis dans la campagne autour des villages.
Les pentes des toits sont importantes et permettent de recueillir l'eau de pluie pendant la mousson. L'eau collectée sert à l'usage domestique et au remplissage des puits ; l'eau surabondante se déverse dans le système de drainage du village qui alimente les bassins et les réservoirs communs.
Les Erys sont les réservoirs traditionnels de stockage d'eau de surface que l'on trouve dans la campagne du Tamil Nadu. Organisés en un immense réseau au fil des âges, ils ont joué un rôle très important pour l'écosystème et pour l'irrigation dans les régions à faible pluviométrie, comme le Chettinad.
Les sanctuaires animistes et les bois sacrés du Tamil Nadu
Dans le Tamil Nadu, chaque village est doté d’un sanctuaire dédié aux divinités villageoises qui sont vénérées par certaines castes ou par des clans villageois et qui ne font pas partie du panthéon hindou, mais d’un tissu complexe de mythologies, rappellent Bernard Dragon et Michel Adment dans leur brochure sur les chevaux d’Ayyanar. On en trouve dans la plupart des villages du Chettinad.
Les sanctuaires se trouvent souvent à la périphérie des villages et leur cœur est un arbre sacré, parfois un banyan centenaire, devant lequel sont alignés des figures de belle taille représentant des chevaux, des vaches ou des éléphants. Ces figures, traditionnellement réalisées en terre cuite, sont en fait des offrandes au Dieu Ayyanar, un dieu spécifique au Tamil Nadu.
Le Dieu Ayyanar est le protecteur du village, il agit comme faiseur de pluie, amène la prospérité pour la culture des champs et patrouille la nuit à la périphérie des villages pour protéger les habitants des esprits du démon. Son nom et son rôle varient d’un village à l’autre.
En dehors des grandes figures, majoritairement des chevaux appelés Kuthirai, on trouve également des chevaux de petite taille, vaches, éléphants, serpents, vers de terre, scorpions, limaces, tortues, souris ainsi que des figures votives de taille différentes en forme de poupée. Ce sont des offrandes pour remercier le Dieu de sa protection ou pour un événement heureux comme un mariage ou une naissance.
Les sanctuaires dédiés à Ayyanar sont le théâtre de grandes fêtes annuelles sur plusieurs jours où chacun des membres du clan vient offrir une figure de terre cuite. Leur réalisation est un acte sacré perpétré de génération en génération par les prêtres de la communauté des potiers Vellars, les assistants d’Ayyanar, expliquent les deux architectes.
Les sites les plus spectaculaires se trouvent à l’extérieur des villages, généralement au milieu d’un bois dont la végétation ancienne a été préservée grâce au caractère sacré du site. Les figures de terre cuite accumulées au cours des années se détériorent au fil des saisons et se fondent dans la végétation. Et chaque année, de nouvelles figurines viennent les rejoindre, flambant neuves pour quelques mois puis se patinant elles aussi avec le temps.
Selon Bernard Dragon et Michel Adment qui ont effectué des recherches sur ces sanctuaires, il est clair que le culte d’Ayyanar émerge d’un tissu historique à l’inverse des divinités hindoues. Et il semble qu’Ayyanar a été perpétuellement réinventé, certains des éléments originels amplifiés, d’autres mis à l’écart.
Cependant, même si le Dieu Ayyanar est toujours très présent dans les campagnes du Tamil Nadu, les prêtres potiers ont raconté aux deux architectes qu’ils seront les derniers à perpétrer les rituels, car leurs enfants sont partis vers les grandes villes ou à l’étranger pour trouver de nouveaux débouchés économiques.
Se rendre et séjourner dans le Chettinad
Comment se rendre dans le Chettinad ?
Le Chettinad est à environ 7h de route de Chennai et un peu plus de 5h de Pondichéry.
La ligne de train reliant Chennai à Rameswaram s’arrête dans la capitale du Chettinad, Karaikkudi et aussi dans la gare historique de la région située près du village de Kanadukathan.
Les aéroports les plus proches de la région du Chettinad sont celui de Madurai dans le sud du Tamil Nadu et de Tiruchirapalli (Trichy) aussi dans le Tamil Nadu.
Depuis Madurai, il faut compter un peu plus de 2h de voiture pour se rendre dans le Chettinad. Depuis Tiruchirapalli (Trichy), le trajet en voiture vers le Chettinad est un peu plus court, environ 1h.
La rédaction recommande les services de Raja à Madurai (+91 9943484334) pour la location d’une voiture avec chauffeur.
Où séjourner dans le Chettinad ?
Il n’y a pas beaucoup d’options pour séjourner dans le Chettinad, cependant quelques unes des maisons chettiares ont été transformées en hôtel de charme, dont Saratha Vilas.
Pour un séjour reposant, dépaysant, confortable et riche culturellement, la rédaction recommande Saratha Vilas à Khotamangalam, rénovée par Bernard Dragon et Michel Adment. Les chambres sont grandes et superbement décorées, l’hôtel dispose d’une piscine très agréable et propose une cuisine locale appétissante. Des vélos sont mis à disposition des clients de l’hotel pour des balades dans les villages alentour et dans la campagne chettiare.
Combien de jours prévoir pour une visite du Chettinad ?
Pour découvrir la région et apprécier le patrimoine culturel et architectural, il faut prévoir au moins 2 jours complets sur place. Cela permet de visiter plusieurs villages dans lesquels on trouve des centres d'artisanat local (fabriques de carreaux, tissage...), les sanctuaires d’Ayyanar et peut-être la capitale Karaikkudi avec ses antiquaires brocanteurs.
La région est encore très calme contrairement à d’autres endroits en Inde et peu de voitures circulent sur les petites routes entre les villages, le vélo est un bon moyen d’y faire des découvertes et de se mêler à la vie villageoise.