La Sangha Maha Nayaka est la plus haute autorité du clergé bouddhiste de Birmanie, créée et contrôlée par la junte qui était alors au pouvoir. Cette institution religieuse, composée de moines bouddhistes respectés, surveille et réglemente tout ce qui touche, de près ou de loin, au clergé bouddhiste birman. Eclairage sur cet organe qui supervise tous les bonzes du pays.
Composé de 47 membres, le comité est renouvelé par quart tous les trois ans. Il a été créé en 1980 par la junte militaire pour renforcer son autorité sur un clergé bouddhiste à l’influence grandissante. Lorsque la Birmanie a été annexée par l’empire britannique, les moines avaient déjà un rôle politique et étaient à l’avant-garde du mouvement contre l’impérialisme occidental. Après le coup d'état de 1962, ils se sont ouvertement positionnés contre le régime militaire en 1988 puis en 1990 et, plus récemment encore, en 2007 lors de la révolution Safran. A cette période, la situation économique de la Birmanie était catastrophique, une mauvaise gestion et des tensions couvant depuis plusieurs mois dans le pays. Le 15 août 2007 le gouvernement augmente brusquement le prix de plusieurs sources d'énergies : 66 % supplémentaires pour l'essence, 100 % pour le diesel et plus de 500 % pour le gaz. Des manifestations éclatent à Yangon à partir du 19 août 2007. Elles s’étendent dans le pays et prennent un nouveau tournant après le 5 septembre 2007 : des bonzes sont frappés par des miliciens de la junte lors d'une manifestation à Pakokku, ville du nord-est de la Région de Magway, provoquant une vague d'indignation dans tout le pays. Le 26 septembre 2007, les forces armées birmanes prennent le contrôle des monastères et interviennent contre les manifestants à Yangon, faisant un bilan d'au moins quatre morts dont trois bonzes. La répression a fait une victime non-birmane, le journaliste japonais Kenji Nagai, tué par balles. L'implication des moines vaut au mouvement le surnom de révolution Safran, en référence à la couleur de leurs tenues religieuses.
Selon un rapport de l’ONG Human Rights Watch de décembre 2007, le comité religieux avait choisi son camp en publiant la directive 93, ordonnant à tous les comités de la Sangha Maha Nayaka aux niveaux de l’Etat, des divisions et des quartiers, de superviser les moines bouddhistes afin qu’ils ne pratiquent que le Pariyatti, l’étude des enseignements bouddhiques, et le Patipatti, engagement dans les pratiques bouddhiques y compris la méditation, interdisant aux moines de participer aux affaires laïques. Quelques mois plus tard, après avoir puni les moines contestataires, la junte au pouvoir complimentait le comité de la Sangha Maha Nayaka : "ce dernier est basé sur l’unité des différentes sectes du clergé et il n’est pas impliqué en politique. Il ne s’occupe que d’affaires religieuses. C’est pour cela que le comité de la Sangha Maha Nayaka existe encore aujourd’hui et qu’il continuera à exister dans le futur" a déclaré un représentant de la junte au pouvoir.
Un comité religieux "sans réelles" prises de position
D’ordinaire, les silences du comité ne suscitent pas de débat public, les critiques se faisant rares voire inexistantes. En 2014, un groupe de bonzes, qui avait déjà manifesté sept ans plus tôt, a exprimé son mécontentement dans la rue vis-à-vis du comité de la Sangha Maha Nayaka : "Il ne soutient pas les moines. Il confisque des monastères, arrête des moines. C’est pour cela que nous demandons une réforme du comité qui ne fait que ce que les autorités lui disent de faire". D’après lui, le comité était devenu le bras religieux du pouvoir des militaires. L’armée l’utilisait pour montrer aux Birmans sa proximité avec la religion afin de redorer son image, ternie après des décennies de dictature militaire. Durant la montée du mouvement ultra nationaliste Ma Ba Tha, particulièrement influent sous l’ancien régime dirigé par U Thein Sein, la Sangha Maha Nayaka s’est illustrée par son silence et ses rares prises de position, souvent tardives. A l’époque, U Wirathu, désormais célèbre chef de file de ce mouvement bouddhiste nationaliste extrémiste, diffusait largement ses discours racistes sur les réseaux sociaux et lors de prêches. Il allait même jusqu’à insulter la communauté musulmane ainsi que les Nations-Unies en évoquant un complot international anti-birman, affirmant que le gouvernement était complice des musulmans pour opprimer les Birmans. En septembre 2013, la Sangha Maha Nayaka intervient en interdisant la création de nouvelles organisations liées à Ma Ba Tha mais n’interdit pas le mouvement lui-même. On peut considérer que cette action avait été prise parce que le mouvement ultranationaliste commençait à prendre une place de taille sur la scène politique, dans un pays où les bonzes sont supposés ne pas s’occuper de politique. A l’époque, U Wirathu s’était moqué de la décision du comité en ironisant : "Chaque règle et procédure de la Sangha Nayaka a été écrite avec un revolver sur la tempe". La portée politique du mouvement extrémiste a continué à se développer en 2015 quand il a réussi à faire passer quatre lois au Parlement au sujet de "la protection de la race et de la religion bouddhiste" qui encadrent les mariages interreligieux et les conversions à l’islam.
Un réveil tardif
En mars 2017, U Wirathu avait personnellement été sanctionné par la Sangha et interdit de prêches pour une période d'un an. Il avait alors riposté en se présentant à ses sermons sans dire un mot, la bouche recouverte de ruban adhésif symbolique tout en diffusant sur haut-parleurs un prêche enregistré. En mai 2017, un an et demi après la victoire aux élections législatives de la Ligue Nationale pour la Démocratie, le comité va plus loin en décidant d’interdire le puissant mouvement Ma Ba Tha, acronyme birman pour le "Comité pour la protection de la race et de la religion", dans toute la Birmanie. Aux termes de cette décision, il est interdit à toute personne ou association de personnes d'entreprendre quelque action que ce soit en se réclamant de Ma Ba Tha. Cette sanction a également impliqué que toutes les pancartes ou placards de Ma Ba Tha en Birmanie soient retirées au plus tard en juillet 2017, ce qui n’a jamais été réellement mis en application. Quelques jours plus tard, U Wirathu s’oppose à cette décision et crée un nouveau mouvement, la "Fondation Philanthropique Bouddha Dhamma", sorte de pied de nez à la hiérarchie bouddhiste. Depuis, la Sangha Maha Nayaka se fait discrète. Les critiques à son égard commencent à émerger de l’intérieur : ses membres sont vus comme trop âgés pour être en phase avec les problématiques de la société actuelle. Les moines semblent en outre vouloir une institution séparée du gouvernement, qui puisse notamment servir de défenseur des intérêts monastiques et bouddhiques.
Difficile de savoir dans quelle direction le comité va se diriger à présent. En effet, l'absence de prises de mesures concrètes ; comme face aux demandes publiques de moines réclamant des sanctions contre leurs confrères ayant des comportements contraires aux principes bouddhiques, suppliques qui restent toujours sans réponse ; laisse planer un doute sur la voie que le comité va emprunter alors que la Birmanie et sa population sont en pleine mutation.