L’affaire a agité la Birmanie toute la semaine, des médias aux réseaux sociaux : lundi 5 août, l’organisation des Nations-Unies (ONU) a rendu public un rapport de 111 pages détaillant la manière dont des organisations militaires pèsent sur l’économie birmane et l’utilisent à des fins de contrôles et de pouvoirs. Le rapport préconise des sanctions contre des entreprises dirigées par des militaires birmans, « un moyen d’éroder le pouvoir économique de ceux-ci et leur influence néfaste sur le processus démocratique dans lequel la Birmanie est engagée ».
L’ONU liste ainsi 59 sociétés étrangères ayant des activités économiques conjointes avec deux holdings détenues par la Tatmadaw, l’armée birmane, à savoir la Myanmar Economic Holdings Limited (MEHL) et la Myanmar Economic Corporation (MEC). Ces entreprises étrangères sont principalement asiatiques – venant de Corée, Chine, Inde, Japon, Singapour – mais les liens avec des sociétés de Belgique, de France, d’Israël, de Russie ou de Suisse sont également dénoncés par l’instance internationale. Le chef de la mission d’enquête estime que « ces entreprises et les responsables de ces entreprises pourront être poursuivi s'il s'avère qu'ils ont continué leurs relations commerciales avec l'armée birmane tout en sachant que cette dernière était responsable de violations des droits de l'homme dans le passé et qu'elle pourrait en commettre d'autres à l'avenir ». Les Française Oberthur et LafargeHolcim sont par exemple citées. Le rapport signale aussi que depuis 2016, la Chine, Israël, la Russie et l’Ukraine vendent des armes et du matériel militaire à la Birmanie et qu’il est essentiel qu’un embargo sur ce commerce soit mis en place si la volonté est réelle de mettre fin aux exactions dans les états d’Arakan, de Kachin et de Shan.
Les enquêteurs révèlent aussi qu’au moins 45 compagnies locales ont fait des dons à l’armée pour un montant total d’environ 10 millions de dollars en 2017, juste au début de la crise dans l’état d’Arakan, dons qui auraient contribué à financer les violences et les exactions alors survenues. Parmi ces compagnies, deux sont nommément mises en exergue : KBZ et Max Myanmar.
Quant aux deux holdings détenues par l’armée birmane, MEHL et MEC, l’ONU note qu’elles recouvrent au moins 120 sociétés différentes à travers une structure extrêmement opaque qui facilite les trafics en tout genre. Les deux sont notamment très impliquées dans l’exploitation du jade et des pierres précieuses, un secteur économique qui est estimé à 27 milliards d’euros en Birmanie, soit près de la moitié du PIB du pays, environ 62 milliards d’euros. Entre 2013 et 2014, MEHL a ainsi enregistré des ventes autour de 200 millions d’euros dans ce secteur. Mais les deux conglomérats couvrent aussi des secteurs aussi disparates que l’industrie, la pharmacie, l’assurance, le tourisme, la banque…
La réponse des autorités birmanes ne s’est pas faite attendre. Dès le lendemain, le ministère des Affaires Etrangères, dont la ministre est Aung San Su Kyi, annonçait qu’il rejetait les conclusions de la commission d’enquête indépendante de l’ONU « parce qu’elles ne reposent que sur des allégations infondées », ajoutant que la position du gouvernement était claire : les questions birmanes doivent être réglées entre Birmans, avec éventuellement une aide étrangère, mais en aucun cas par les seules instances internationales. Le porte-parole a ajouté que « les questions internationales, y compris celles des droits humains, ne peuvent trouver de réponses que dans la négociation. Des sanctions économiques ne résoudraient rien ». Du côté des militaires, un porte-parole, le général Zaw Min Tun, a stigmatisé « la partialité et le manque de précision du rapport de l’ONU ». Il a expliqué que l’argent gagné par MEHL comme par MEC « ne sert qu’à aider les soldats et leurs familles, et que les deux holdings payent leurs impôts ce qui bénéficie au gouvernement ».