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Inondations : après qui le déluge ?

La route entre Yangon et Mandalay en juillet 2018, en BirmanieLa route entre Yangon et Mandalay en juillet 2018, en Birmanie
La route entre Yangon et Mandalay en juillet 2018
Écrit par Juliette Verlin
Publié le 26 février 2020, mis à jour le 27 février 2020

Un nouveau quartier de Yangon, présenté comme à la pointe de la modernité, plus vert, plus performant que les autres quartiers de la ville, de deux fois la taille de Singapour, devrait voir le jour à l’ouest de l’agglomération dans les années à venir. Un projet colossal porté par la mairie mais que plusieurs urbanistes remettent en cause car la zone choisie pour ces développements pharaonesques culmine à 5 mètres au-dessus du niveau de la mer et elle est donc sujette aux inondations. Des urbanistes que l’on ne peut taxer de tropisme écologique puisqu’ils ont émis leurs premières réserves dans une étude de 2016 de la Banque asiatique de développement portant sur la gestion des inondations. Le rapport avertit que les zones le long de la rive ouest du fleuve Yangon (y compris le site prévu pour « New Yangon City ») sont vulnérables aux ondes de tempêtes de 2 à 5 mètres - une hauteur similaire au raz de marée provoqué par le cyclone Nargis en 2008. Jusqu’à ce projet gigantesque, ce terrain avait ignoré des précédents plans d'urbanisation de Yangon à cause justement de sa topographie…


Les inondations sont un événement climatique majeur et annuel en Birmanie, pendant la saison des pluies entre mai et septembre, et ce sont essentiellement ses zones côtières qui en font les frais. Un phénomène dont le gouvernement a conscience mais qui ne semble pas faire pour autant partie de ses priorités politiques. En 2019, les vents et les pluies de la mousson ont touché plus de 231 000 personnes dans la plupart des États et régions, du Chin au Mon, de Yangon à l’Arakan. Les inondations ont provoqué la fermeture de plus de 500 écoles, la destruction d'au moins 375 maisons, d’infrastructures, de terres agricoles et de bétail… et malheureusement des dizaines de morts, notamment à cause des glissements de terrain que suscite ces rapides afflux d’eau (Voir notre article demain : « Les glissements de terrain : fréquents, mortels et méconnus »). En août dernier à Mottawa, dans l’Etat de Mon, la partie de la Birmanie la plus touchée par les inondations en 2019, le plus important glissement de terrain de mémoire d’homme a tué 75 personnes.



A l’époque, consciente des catastrophes potentielles, la Direction de la météorologie et de l’hydrologie (DMH) avait joué son rôle d'alerte en émettant un avis de risque d'inondation dès le le 10 juillet auprès des populations en danger alors que les pluies torrentielles de la mousson s'abattaient sur ces régions depuis la fin du mois de juin. Ensuite, cette même DMH a réparti de l’aide humanitaire et alimentaire aux victimes des eaux, pour un montant d’un peu plus de 400 millions de kyats (environ 260 000 euros) et des centres de secours d’urgence ont accueilli les déplacés. Ces centres peuvent être ouverts par le gouvernement en prévention des inondations et héberger les familles situées près d'une zone à risque, comme ce fut le cas pour les habitants près de la rivière de Belin, dans l'état de Mon, qui ont été évacués avant que le niveau de la rivière ne dépasse le seuil critique. Mais tout cela n’a pas suffi et le bilan humain et économique des inondations de 2019 rivalise avec celui de 2015, la référence locale en matière d’inondations catastrophiques.

 

D’ailleurs, Phyu Lei Lei Htun, à la tête de la Direction de la gestion des catastrophes, a déclaré dans une interview à Time que le pays connaissait des inondations de plus en plus fréquentes depuis 2015, lorsque l’atypique cyclone Komen est passé en juillet sur le Chin et l’Arakan, bouleversant des moyennes pluviométriques déjà hautes, avec 840 mm de pluviométrie à Paletwa par exemple. Bilan des inondations de juillet à septembre cette année-là : 181 morts, dont au moins 39 dûs au cyclone, plus de 1,6 million de déplacés, des dommages et pertes estimés à plus de 1,5 milliard de dollars étasuniens, soit plus de 2,5% du PIB du pays en 2014-2015. Les inondations ont touché 12 des 14 états ou régions du pays. Terres agricoles, routes, voies ferrées, ponts et maisons ont été partiellement ou entièrement détruits, ce qui a conduit le gouvernement à déclarer l'état d'urgence le 30 juillet dans les quatre zones les plus touchées —Magwé, Sagaing, Chin et Arakan. Dans un pays qui dépend fortement de l'agriculture, de nombreux habitants ont perdu leur source de revenus au vu des 270 000 hectares de champs endommagés.



Dans le cas de ces inondations de 2015, la mauvaise gestion des projets d'irrigation et la déforestation causée par l'exploitation forestière ont été citées par U Win Myo Thu, responsable de l'organisation environnementale EcoDev, comme des facteurs aggravant et déterminant des conséquences de la montée des eaux, en plus des précipitations supérieures à la moyenne. Le cyclone Komen a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, si l’on puit dire... Les pluies supplémentaires couplées aux inondations déjà existantes ont fait de 2015 la pire année en termes d’inondation depuis un siècle.

 

Et là encore le gouvernement a été accusé de répondre trop lentement à la crise. Pourtant, contrairement à 2008 lors du cyclone Nargis où les frontières sont restées fermées à l’aide internationale dans un premier temps, en 2015 les autorités ont rapidement sollicité une assistance extérieure, comme celle des Nations Unies, mais sans résultats suffisants du point de vu des populations. En 2019, les accusations se sont répétées. « Dans l'État de Mon, les résidents sont confrontés à des problèmes supplémentaires en raison de la faiblesse du gouvernement national à se préparer aux catastrophes naturelles et à y répondre », a affirmé U Aung Naing Oo, vice-président de l'Assemblée de l'état de Mon. « Le manque de préparation et le manque d'annonces ont causé des souffrances inutiles. »

 

Ce député du Parti démocratique de tous les Mons (AMDP) considère que davantage d'annonces publiques et de supervision auraient été nécessaires, ajoutant que jusqu'à plusieurs jours après les inondations catastrophiques dans l'État, il n'y avait eu aucune réaction du gouvernement régional : « Seul l'administrateur du canton s'est joint à moi pour effectuer les tâches nécessaires. Le Cabinet ne lui a donné aucune instruction. Il n'a pas été question de mesures préventives. Le gouvernement aurait dû avoir déjà mené des études sur la façon de gérer les eaux de crue mais il n’a rien fait. Pendant les inondations, il aurait dû fournir des informations aux gens. A chaque montée des eaux, les responsables locaux gèrent le problème avec les moyens du bord, rien de plus. Il serait préférable que le gouvernement régional supervise les efforts ». Si U Aung Naing Oo s’exprime aussi dans un cadre politique – son parti s’opposera à la Ligue nationale pour la démocratie (qui dirige tous les gouvernements du pays, national comme locaux) aux élections générales de 2020 -, ses critiques s’appuient sur des faits, par exemple la défaillance du réseau de télécommunications, un autre revers majeur dans les circonstances.



La gestion des populations déplacées par les conflits armés et affectées par les inondations est également compliquée comme la situation dans l’état de l’Arakan durant l’été 2019 l’a montré. Plus de 9 000 personnes ont dû quitter leurs villages à cause des eaux au cours de la deuxième semaine de juillet, selon la Direction de la gestion des catastrophes (DGC). « Nous leur distribuons des aides de secours », a déclaré au magazine l'Irrawaddy un responsable de la DGC, U Ye Min Oo. À Mrauk-U, les inondations ont porté un nouveau coup aux locaux, qui se sont réfugiés dans des camps après avoir déjà été obligé de fuir leurs maisons à cause du conflit entre l’armée régulière birmane (Tatmadaw) et l’Armée de l’Arakan. U Wai Hla Aung, un responsable du camp de Tein Nyo, qui abrite environ 3 000 personnes déplacées à l'intérieur du pays, a déploré qu'aucune organisation de secours n'était venue offrir son aide, plusieurs jours après l’événement. « Les eaux de crue se sont apaisées mais nous avons perdu du riz et des rations dans les inondations », a-t-il expliqué quelques jours après le début des inondations. Et compte tenu des restrictions sur l’information dans la zone (Internet coupé, journalistes interdit), il est encore aujourd’hui difficile de savoir si le gouvernement a fini par fournir des secours. La suspension de la connexion à Internet dans plusieurs zones de l’Arakan et du Chin a de toute façon considérablement compliqué les contacts entre les victimes et les autorités.



Alors même que les inondations sont un phénomène désormais annuel qui touche la quasi-totalité du pays, les faits témoignent tous d’un manque de coordination entre les gouvernements régionaux et le gouvernement central, entre ces instances et les organisations de secours, dont celles des Nations Unies. Plusieurs démarches ont été lancées pour essayer de combler cette lacune et réduire les dégâts des prochaines montées des eaux : une formation à l'utilisation du « Dispositif de guidage des crues éclair », initiative de l'Organisation Météorologique Mondiale et de plusieurs partenaires, a par exemple eu lieu en octobre 2018 dans les locaux du DMH. Mais il n’a pas été possible d’en voir les résultats lors des événements de 2019 et cette utilisation n'est pas citée dans les rapports sur les conséquences des inondations de 2019.



Une prise de conscience d’abord et de vraies mesures en conséquence sont pourtant indispensables pour éviter la submersion de terres agricoles et les pertes de récoltes qui vont avec. Pour le ministère de l'Agriculture, de l'Élevage et de l'Irrigation, plus de 9 milliards de kyats (environ 5,8 millions d’euros) sont nécessaires pour réparer les ruisseaux et les fossés qui se sont envasés. Il faut également améliorer 25 systèmes de drainage dans les régions de Sagaing, Bago, Magwé, Yangon et Ayeyarwady, afin d’aider à l’écoulement des eaux de crue. Ces deux projets devraient être lancés en 2020.

 

Quant au projet de nouveau quartier de Yangon, il est toujours d’actualité. Le maire de Yangon, U Maung Maung Soe, et Song Hailiang, président de la société d'État China Communications Construction Co (CCCC), ont signé une lettre d'intention pour le développement urbain de « New Yangon City » le 18 janvier 2020, lors de la visite du dirigeant chinois. Sans qu’aucune réponse concrète n’a été apportée au rapport de 2016 sur la vulnérabilité du site aux inondations.



Lundi  : Catastrophes naturelles : la Birmanie est-elle prête ?

Mardi : Le risque sismique, un danger bien réel et longtemps sous-estimé

Mercredi : Les cyclones, de plus en plus nombreux…

Demain : Les glissements de terrain : fréquents, mortels et méconnus

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