L’écrivain français, lauréat du Goncourt en 2004, a publié cette année Salina, les trois exils, qui raconte la vie d’une femme privée du choix de sa vie. Après Eldorado et Le soleil des Scorta, il joue à nouveau avec les symboles et les émotions dans une histoire épique qui transporte le lecteur dans des mondes lointains.
Lepetitjournal.com Beyrouth : Dans cet ouvrage, vous avez choisi une époque et un lieu indéterminés. Etait-ce une volonté de rendre cette histoire universelle ?
Laurent Gaudé : Oui, il s’agissait d’être dans le plaisir de pouvoir tout imaginer, ne pas être contraint par un contexte historique avec lequel je n’aurai pas pu prendre de liberté ou une réalité géographique. Pour Salina, c’était pratique. Je pouvais tout mettre, sans limites. Ce sont les territoires de l’imagination. C’était extrêmement plaisant à écrire.
Vous abordez dans cet ouvrage les thèmes de la condition de la femme et de l’exil. Quels messages vouliez-vous faire passer sur ces sujets très présents dans l’actualité ?
Je ne crois pas beaucoup que le roman soit le lieu de messages. Je pense que le roman est plutôt l’endroit où l’on peut poser des questions, tourner autour de certains thèmes, les développer et les désarticuler pour les partager avec le lecteur. Je n’ai pas de vérité à assener. Mais oui, il y a des échos entre cet univers qui peut paraitre très lointain et le monde dans lequel on vit. Je pense effectivement que la violence faite aux femmes est une réalité dans le monde. Je ne parle pas du mouvement #MeToo mais des mariages forcés, du viol comme arme de guerre. Tout cela existe, et Salina est un écho de cela. Il lui a été fait violence. Sa vie lui a été arrachée. Il me paraissait important de construire le personnage sur cette brutalité, que les jeunes filles subissent partout dans le monde en termes de sexualité ou de la maternité.
Les cris et les pleurs sont présentés dans la vie de cette femme, depuis sa naissance jusqu’à sa mort. Qu’est ce qu’ils expriment ?
La caractéristique de la tragédie, ce sont les pleurs des héros tragiques qui, au théâtre ou dans la littérature, se transforme en mots. Chez Euripide, Homère ou Racine, le personnage pleure par les mots qu’il exprime. Même si c’est parfois extrêmement douloureux, cela peut être beau. En tant que spectateur, on est ému par la violence faite au personnage qui nous rappelle ce que l’on connait, mais on est aussi ému par le côté magnifique de cette douleur. C’est toute l’ambiguïté de la littérature vis-à-vis du malheur. Dans Salina, les pleurs l’accompagnent toute sa vie et, en tant qu’écrivain, c’est une manière d’en faire une matière d’écriture et d’émotion.
Salina était une pièce de théâtre. Pourquoi en avoir fait un roman ?
La pièce a plus de 12 ans mais Salina continuait de me trotter dans la tête. Je ne sais pas pourquoi ce personnage continuait à m’habiter. Peut-être parce qu’il n’était pas tout a faire terminé ou que le point final de cette histoire n’avais pas été mis. La pièce ne se termine pas comme le roman. Dans la pièce, Salina retourne à sa solitude. Le roman court jusqu’à sa mort et même au-delà au moment ou elle repose enfin en paix. Là, c’est le point final et je pense qu’elle ne m’habitera plus. Mais son fils ouvre peut-être d’autres horizons...
Cette femme a eu trois fils, celui de la violence, celui de la vengeance et celui de la paix…
On est dans un univers qui mélange les mythes. J’avais envie que les trois fils correspondent à trois âges de la vie de Salina, à trois moments de son existence où elle est habitée par des sentiments différents…
Vous connaissez bien la Méditerranée qui baigne le Liban. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à cette région ?
J’aime beaucoup venir à Beyrouth. C’est la 3ème fois que je viens mais, à chaque fois, c‘est trop court et je n’ai pas le temps d’arpenter la ville comme j’aimerai le faire. Je ne sais pas ce qui me pousse vers la Méditerranée car je ne suis pas méditerranéen. Je suis tristement parisien mais les paysages et les sensations méditerranéennes m’ont toujours attiré. Si vous me dites que pendant 5 ans, je ne verrai pas les rives de la Méditerranée, je sais que cela me manquera profondément. J’ai besoin d’y passer du temps. C’est un endroit qui provoque en moi le désir d’écrire. En Italie, je peux m’asseoir à la terrasse d’un café pendant cinq heures. Je pense qu’à Beyrouth, ce serait pareil. Il y a des scènes de vie de rue que l’on ne verrait jamais à Paris. J’aime ce rapport entre l’intime et le public. Cela me déstabilise car je ne viens pas de ce monde-là mais je le trouve beaucoup plus chaleureux.