Le 14 décembre 2021, le journaliste italien Riccardo Ehrman est décédé à Madrid. Il est notamment connu pour avoir posé une question, le 9 novembre 1989, qui a entrainé la chute du mur de Berlin.
Octobre 1989 : la foule gronde dans les rues d’Allemagne de l’Est.
En octobre 1989, le pouvoir en place en Allemagne de l’Est s’apprête à célébrer en grande pompe les 40 ans de la République démocratique allemande. Les festivités sont pourtant rapidement étouffées par la rumeur qui monte des rues d’Allemagne de l’Est. La grande fête d’anniversaire est accueillie par des manifestations dans l’ensemble du pays et par des tentatives de fuite vers l’Allemagne de l’Ouest.
Les habitants de RDA se rassemblent pour porter des réformes contre le gouvernement en place, réclamant ainsi davantage de libertés. Ces manifestations pacifiques sont reçues comme une injure par certains membres du gouvernement qui n’hésitent pas à faire arrêter plus de 3 500 personnes.
Au sein du Politbüro, des réformistes s’émeuvent cependant de ces démonstrations de force et sous leur pression Erich Honecker cède sa place de Secrétaire général du Parti socialiste le 18 octobre. Egon Krenz le remplace et évoque lui-même sa nomination comme un tournant. Il ordonne à la police d’arrêter de mener des actions contre les manifestants. C’est dans ce climat légèrement plus apaisé que s’organise la manifestation du 4 novembre 1989.
Après les répressions du 40ème anniversaire, des acteurs et des employés de théâtre se rassemblent et décident de déposer une demande de manifestation. Le 26 octobre et pour la première fois dans l’histoire de la RDA, une manifestation organisée par des individus, et non pas par les autorités, est acceptée. Le 4 novembre 1989, des centaines de milliers de personnes se regroupent sur l’Alexanderplatz. Des slogans, comme « Wir sind das Volk », scandés d’une seule voix par la foule s’élèvent sur le parvis. La chute du mur est encore loin des préoccupations tant un tel évènement semble impossible à provoquer. Acteurs ou représentants officiels, de nombreux orateurs se succèdent aux tribunes. Parmi eux, Günter Schabowski, Secrétaire du comité central du SED pour l’Information, prend note des revendications populaires.
Une question pour l’histoire
Le 9 novembre 1989, une conférence de presse est organisée à la suite de ces évènements par le SED, le parti au pouvoir. Günter Schabowski fait face à toutes les caméras, prêt à prendre la parole. Riccardo Ehrman prend place dans les rangs réservés aux journalistes. Il s’apprête à changer le cours de l’histoire.
Riccardo Ehrman naît le 4 novembre 1929 à Florence en Italie. D’origine juive, il subit la guerre de plein fouet à seulement 13 ans lorsqu’il est enfermé au camp de Ferramonti di Tarsia. Il en sort en septembre 1943, délivré par les forces britanniques. Les années s’écoulent et Riccardo Ehrman embrasse la profession de journaliste pour le compte de l’Agenzia Nazionale Stampa Associata (ANSA). Il est au Canada quand pour la première fois il est envoyé à Berlin, en 1976. Il y retourne brièvement en 1982 comme correspondant en Allemagne de l’Est puis en 1985 pour une plus longue durée, jusqu’à la conférence de presse du 9 novembre 1989.
Il est un peu plus de 18h lorsque Riccardo Ehrman prend la parole au sujet des modalités de voyage entre les deux Allemagnes : « Ich heiße Riccardo Ehrman, ich vertrete die italienische Nachrichtenagentur Ansa. Herr Schabowski, Sie haben von Fehlern gesprochen. Glauben Sie nicht, dass es war eine große Fehler, diese Reisegesetzentwurf, das sie haben vorgestellt vor wenigen Tagen?” (Je m'appelle Riccardo Ehrman, je représente l'agence de presse italienne Ansa. Monsieur Schabowski, vous avez parlé d'erreurs. Ne pensez-vous pas qu'il s'agissait d'une grosse erreur, ce projet de loi sur les voyages présenté il y a quelques jours ?)
Günter Schabowski, dont le poste est équivalent à celui de porte-parole, semble chercher ses mots. Désarçonné par la question, il fouille dans ses notes et se lance : « Les voyages à titre personnel vers l'étranger peuvent être entrepris sans conditions. Les autorisations seront données dans de brefs délais ». Sa déclaration laisse les journalistes cois. Le principe même du mur de Berlin est d’empêcher ces voyages. Dans la salle règne un silence de stupéfaction. Peter Brinkmann, journaliste d’Allemagne de l’Ouest, interroge alors Günter Schabowski sur la date de la mise en application de ces nouvelles mesures. « Pour autant que je sache … en vigueur immédiatement, sans délai. » ("Das tritt nach meiner Kenntnis... ist das sofort... unverzüglich." ). Ces quelques mots, balbutiés par un Günter Schabowski mal préparé à l’exercice, font l’effet d’une bombe. Riccardo Ehrman court attraper le premier téléphone pour passer le mot au siège de l’ANSA : « Le mur de Berlin est tombé ». En effet, quelques minutes plus tard, la foule prend d’assaut le mur déserté par les gardes-frontières dépassés. Le 9 novembre 1989, l’Allemagne est réunifiée.
En 2008, Riccardo Ehrman est fait Chevalier de l’ordre du Mérite de la République fédérale d’Allemagne. Il s’éteint le 14 décembre 2021, laissant pour héritage une question devenue un morceau d’histoire.
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