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La place des femmes dans le milieu de la musique électronique à Berlin

La place des femmes dans le milieu de la musique électronique à BerlinLa place des femmes dans le milieu de la musique électronique à Berlin
© Ryoji Hayasaka - Unsplash
Écrit par Héloïse Leclercq
Publié le 8 mai 2022, mis à jour le 16 mai 2022

Harcèlement, sous-représentations, sexualisation... la scène berlinoise est loin d'être exempte de structures sexistes et de comportements intolérants envers les artistes et visiteurs des événements.

 

Un problème de fond

Le secteur de l'industrie musicale reste encore aujourd'hui un milieu particulièrement masculin. Les inégalités se font ressentir à tous les niveaux et pour tous types de postes, des artistes aux productrices en passant par les techniciennes et les programmatrices. Ces inégalités se manifestent notamment par des disparités salariales, des inégalités de parité des postes, des blocages et préjugés qui empêchent les développements de carrières professionnelles et une quasi-absence des femmes aux postes à responsabilité. De plus, 80% des femmes faisant partie de l’industrie musicale affirment avoir déjà été victimes de sexisme au travail selon une étude menée par le College of Music of Berklee et Women in Music en 2019. Un chiffre alarmant, qui ne se cantonne pas au secteur musical. Il est très important pour Berlin, ville nourrie par une forte diversité culturelle et engagée notamment dans le secteur de la musique électronique sur les questions d’égalité et de représentation des minorités, de prendre conscience des comportements discriminatoires dans le domaine des arts. Aujourd’hui, même si les clubs berlinois tentent d’adopter des démarches inclusives et de parité en sensibilisant la population de ces lieux à l’engagement contre le sexisme, les inégalités de genre et la discrimination perdurent dans la vie nocturne.

 

Discriminations à tous les niveaux

61% des femmes de l'industrie de la musique électronique s'identifiant comme une minorité ont été victimes d'intimidation ou de harcèlement : 20% de la part de clients et le double (42%) sur le lieu de travail. Aucun homme s'identifiant comme une minorité n'a déclaré avoir été victime d'intimidation ou de harcèlement - AFEM, 2019

Le harcèlement est monnaie courante dans le milieu de la musique électronique. Que ce soit dans le public ou sur la scène, les femmes subissent diverses formes de harcèlement au sein du milieu de la nuit et les comportements déplacés peuvent passer plus inaperçu qu’au grand jour. Le harcèlement, qui peut être moral, physique, sexuel et les agissements malveillants répétés sont susceptibles d’altérer les conditions de sortie ou de travail des femmes dans le milieu nocturne.  Nombreuses sont celles qui, derrière ou devant la scène, subissent encore des attouchements, des remarques déplacées ou des comportements intrusifs sans consentement. La place des femmes est toujours dictée par des règles fictives ancrées dans une société patriarcale où la masculinité toxique vient empiéter sur les libertés fondamentales d’un genre. Cette réalité s’étend malheureusement bien au-delà du monde musical. À Berlin, même si la plupart des clubs affichent des codes de comportements inclusifs à leurs portes, le harcèlement reste présent au sein des structures pour les clients comme pour les DJs, les productrices etc.

 

En Allemagne, il y a quatre fois plus de femmes pompiers que de femmes productrices dans l'industrie musical - Tara Meyer pour Factory Berlin, 2019

Cette statistique est malheureusement révélatrice de la forte sous-représentation féminine dans le milieu musical allemand. Aujourd’hui, même si les femmes DJ sont très nombreuses dans la capitale allemande, elles restent sous-représentées dans les clubs, les festivals ou en tant que productrices de musique électronique. Elles sont bien souvent reléguées en bas de l’affiche et malgré une dynamique féminine très positive dans le milieu de la nuit, les grands noms se font rares en comparaison aux hommes. Pour Ellen Allien, figure symbolique de la scène techno et électro berlinoise, "il y a vraiment une entraide entre les hommes". Cette entraide leur donne des opportunités et ils bénéficient d’une confiance de l’industrie musicale supérieure aux femmes. Ce phénomène n’est pas seulement vrai à Berlin, les femmes sont souvent rendues invisibles dans l'industrie musicale ; cette sous-représentation est notamment dénoncée dans le documentaire canadien « Underplayed », qui suit des femmes dans le milieu de la musique électro.

 

 

 

76 % des femmes travaillant dans l'industrie de la musique électronique se sont senties obligées de supprimer leurs caractéristiques féminines afin de s'intégrer, et ont déclaré qu'elles devaient agir comme "un des hommes" - AFEM, 2019

La pression envers les femmes au sein de ce milieu est très forte. Les attentes envers les DJ notamment sont multiples : niveau très haut, comportement communicatif face au public (danser, sourire, interagir), concentration à juste dose etc. Ce système qui sollicite très peu les femmes ou lorsque c’est le cas, de façon trop coercitive ; est le résultat d’années alimentées par un système sexiste donnant des facilités aux hommes et mettant des barrières aux femmes. Parallèlement à la pression et à l’exclusion des femmes sur la scène électronique, certaines sont aussi stigmatisées, fétichisées et sexualisées selon leurs origines, leur ethnie, leur couleur de peau etc. tant de critères qui ne devraient plus entrer en compte dans un milieu qui prône l’ouverture et l’inclusivité. Les femmes cis ne sont pas les seules à subir des discriminations multiples au sein de la vie nocturne berlinoise et le manque de représentation de la communauté LGBTQIA+ notamment au niveau des DJs est flagrante. Trouver sa place en tant que femme ou minorité au sein d’une scène globalement blanche, hétérosexuelle et surtout très masculine est un effort sans précédent. Directeurs de clubs comme de labels et de collectifs devraient être formés à large échelle dans le milieu de la nuit et le travail de sensibilisation sera de longue haleine mais la scène berlinoise ouvre tout de même de plus en plus de portes aux artistes féminines. Le combat pour la parité et contre les discriminations passe aussi par la communication et l’information autour de ce problème.

 

Rencontre avec Charlotte, DJ à Berlin

Charlotte, DJ à Berlin dans des clubs comme Hoppetosse ou le Club der Visionäre nous a expliqué son parcours et les difficultés d’évolution en tant que femme dans le milieu de la musique électronique. Originaire de Paris, elle trouve ses influences dans la scène rock, les concerts punks et le style new wave plus jeune. Elle collectionne les disques depuis longtemps et son entourage baigne alors dans ce milieu mais ce n’est qu’en arrivant à Berlin qu’elle se met à mixer, prise dans un cercle vertueux et côtoyant d’autres femmes DJ.

 

Elle explique : « J’ai mis beaucoup de temps à m’y mettre, je ne me sentais pas forcément légitime dans cet environnement à majorité masculine. Je n’avais pas assez confiance en moi, je me disais que je n’étais pas faite pour ça [...] mais une copine s’y est mise, puis d’autres et c’est ensuite un cercle vertueux, l’une inspire l’autre. » Le manque de représentation féminine n’est pas anodin et la scène qu’elle côtoie reste essentiellement masculine. On constate d’ailleurs ensemble que la scène techno peut sembler plus Queer et ouverte que ne peut l’être la scène Tech House, ou du moins que la scène qu’elle côtoie dans les clubs et bars berlinois où elle mixe. Une fois lancé dans ce milieu, le syndrome de l’imposteur a d’ailleurs vite fait de rattraper du terrain face aux confrontations incessantes et aux remarques déplacées, que des hommes ne subiraient pas de la même manière. « Tu mixes avec tes disques ou ceux de ton copain ? », « Est-ce que tu sais allumer le système son ? » en parlant de son matériel personnel, voilà à quelles remarques peut être confrontée Charlotte dans ce milieu. Il lui est aussi arrivé de faire l’objet de remarques sur sa façon de performer devant un public, étant jugée trop sérieuse et concentrée, ce qui est représentatif du fait qu’on attendra d’une femme un certain comportement, même en plein set, de « danser plus, sourire plus et créer un contact avec le public alors que ces remarques ne viseraient pas forcément un homme durant un gig ». Les gens auraient plutôt tendance à « trouver ça stylé, parce qu’il est à fond dans son set ». La sous-estimation du travail des DJs féminines de la scène Tech House berlinoise est problématique, Charlotte a déjà été confrontée à l’éternelle « Tu es donc la copine de... », ce qui est profondément dénigrant face au travail qu’elle fournit. Le problème des quotas est également révélateur des difficultés de ce milieu sur l’égalité des genres. Certaines opportunités peuvent se présenter de façon biaisée et le manque de femmes peut être comblé par les organisateurs de façon maladroite et sexiste, il lui est arrivé d’entendre « on essaye d’inviter au moins une fille ce soir-là » pour le respect de la parité.

 

Cependant, de plus en plus de collectifs féminins émergent à Berlin et Charlotte lancera d’ailleurs bientôt son propre collectif. La scène berlinoise semble tout de même « beaucoup plus safe, c’est ce qui m’a fait aimer les clubs à Berlin » par rapport à la scène parisienne ou le harcèlement est encore largement systématique que ce soit dans le public ou de façon ciblée vers les artistes féminines ; les clubs berlinois sont plus stricts sur le respect même s’il reste encore beaucoup à faire.

 

Vers plus de visibilité pour les artistes féminines

Les figures inspirantes de la scène berlinoise sont nombreuses et comme l’expliquait Charlotte, l’augmentation des femmes DJ peut ouvrir plus de portes à celles qui n’auraient pas forcément osé avant. De nombreux collectifs exclusivement féminins sont montés dans le domaine de la musique électronique afin de promouvoir des artistes n’ayant pas forcément de visibilité au départ, face à un système étriqué. 

 

Il est important que la représentation des artistes féminines ne soit pas faite uniquement par souci de parité mais qu'elle devienne automatique et facile grâce à l’augmentation de la représentation des femmes sur la scène des clubs à Berlin. Des événements aux line-up uniquement féminines sont d’ailleurs organisés par certains collectifs et clubs : récemment c’est l’Alte Münze qui a ouvert ses portes à la discussion autour des dynamiques passées, actuelles et (potentiellement) futures d’une scène majoritairement façonnées par des représentants blancs et/ou masculins. La structure s'est ensuite consacrée à une nuit Tech House performée par des DJ berlinoises. 

Au même titre, des mouvements comme le #MeTooMovement Of The Music Industry notamment mise en avant par Most Wanted : Music​,  la principale source de conférences sur l'industrie musicale berlinoise, font évoluer les mentalités en informant sur les difficultés auxquelles font face les femmes.

Aussi, l’émergence d’artistes féminines sur la scène techno comme Kikelomo, Panasiagirl, Juba, Ceekayin2u, OCDGMarie et bien d’autres peuvent constituer des modèles et des sources d’inspirations pour celles à qui il manquerait un déclic pour se lancer. Pour les amateurs de la vie nocturne berlinoise, il s’agit de donner de la visibilité à ces artistes en participant à des soirées aux line-up majoritairement féminines, en s’informant et en prenant en considération à juste titre les DJs émergentes.  Enfin des organismes comme HÖR Berlin peuvent aussi jouer en faveur des artistes féminines émergentes en leur donnant de la visibilité grâce à des invitations à mixer dans la célèbre salle de bain berlinoise. 


La place des femmes dans l’industrie musicale est encore largement instable face aux injonctions d’un milieu majoritairement masculin. Même s’il est difficile de se détacher de ces diktats banalisés depuis des années, c’est en prenant petit à petit conscience des inégalités et en communiquant autour de ces problèmes que l’on pourra avancer vers un changement des mentalités dans l’industrie musicale.

 

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