Suite à un vote en ligne que l’éditeur « Langenscheidt » a récemment organisé, le mot de l’année élu par les jeunes Allemands est un mot anglais qui semble décrire leur malaise ressenti en période de crise sanitaire.
Une année trouble
Le mot « lost » (perdu) arrive ainsi en tête du classement avec 48 % des voix devant « cringe » (frémir d’horreur) ou « cringy » exprimant la gêne ressentie vis-à-vis d’une autre personne se couvrant de honte). Puis arrive en 3e position « wyld » ou « wild » qui vole la vedette au sempiternel « krass » allemand que les jeunes affectionnent particulièrement pour exprimer la stupeur ou l’enthousiasme.
En ce qui concerne le choix de l’anglais, Artemis Alexiadou, chercheuse en linguistique à Berlin, souligne « L’anglais est devenu une langue à la mode, très puissante, parlée dans le monde entier ». Elle ajoute « Les jeunes gens impriment souvent leurs propres codes à la langue pour se démarquer de la génération parentale. Il est donc tentant de recourir à l’anglais ». Et son confrère Nils Bahlo de renchérir « Elle se diffuse notamment sur les réseaux sociaux, les plateformes de streaming, les jeux vidéo en ligne ou les podcasts, très prisés par les jeunes. »
L’année 2020 où la Covid-19 a affecté le monde entier semble donc, à travers le mot élu « lost », avoir plongé les jeunes dans l’incertitude, la désorientation, la peur de l’avenir. Ils se disent « perdus ».
Les codes linguistiques des jeunes Allemands n’ont cependant pas toujours reflété le malaise lors du vote annuel qui a vu le jour en 2008 !
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Que disaient-ils alors ?
- En 2008, « Gammelfleischparty » (pour désigner une soirée pour les plus de 30 ans),
- en 2009, « hartzen » (Être au chômage, traîner en faisant référence au Hartz IV, l’équivalent du RMI français). Ce choix de mot a été vivement critiqué car il semblait, selon les détracteurs du vote, décrire les chercheurs d’emplois comme des fainéants vivant au crochet de l’Etat,
- en 2010 « Niveaulimbo » (De bas niveau, fêtes de bas étage avec des conversations inutiles),
- en 2011 « Swag » (désigne une personne qui a du charisme, qui est décontractée et a un rayonnement particulier),
- en 2012 « YOLO » (Abréviation de « you only live once » qui est une invitation à tenter sa chance,
- en 2013 « Babo » (le chef, le boss, le leader),
- en 2014 « Läuft bei dir » (Lorsque quelqu’un réussit, a de la chance),
- en 2015 « Smombie » (Une combinaison entre « Smartphone » et « Zombie » qui décrit une personne tellement happée par son smartphone qu’elle ne voit même plus ce qui l’entoure)
- en 2016 « fly sein » (désigne quelque chose ou quelqu’un de spécial),
- en 2017 « I bims » (Ich bin’s, c’est moi),
- en 2018 « Ehrenmann / Ehrenfrau » (pour décrire un chic type, un gentleman, une lady),
- en 2019 le vote n’a pas eu lieu,
- et en 2020 nous voilà au fond du trou, avec « lost » (perdu) ! De justesse, le mot « Hurensohn » dont nous vous laissons le soin de trouver la traduction dans vos dictionnaires ou sur les sites de traduction en ligne, a été disqualifié. Le « Langenscheidt » a déclaré ne pas vouloir soutenir les mots de cette catégorie mais s’engage à ajouter ce terme dans le « Lexique du langage des jeunes » à paraître en octobre.
Une initiative montrée du doigt
L’initiative du mot jeune de l’année du « Langenscheidt » lancée en 2008 n’a cependant pas toujours fait l’unanimité. Si celle-ci a été décriée comme stratégie à visée publicitaire, elle ne reflète ni le niveau ni la pensée des jeunes selon Wolfgang Gaiser, de l'Institut allemand de la jeunesse : « Cela a probablement plus à voir avec le marketing des maisons d'édition qu'avec la recherche sociale sur ce dont les jeunes parlent, sur ce qu'ils pensent. Utiliser de tels artifices pour attirer l'attention sur les produits de l'édition et lier le lectorat est un habile gag marketing. [...] Si des phrases amusantes sont mises en évidence comme si elles correspondaient au langage et au niveau de pensée de la jeunesse d'aujourd'hui, cela déforme l'image de la jeunesse d'aujourd'hui ! »
Quoi qu’il en soit, après une année 2020 trouble et inédite, propice à de nombreux questionnements existentiels des jeunes et des moins jeunes, nous faisons le pari à la rédaction que 2021 sera auréolé de lumière, et gageons que le nouveau mot élu sera « Coronafrei ! ».