Afin de faire écho et donner suite à l’article sur le phénomène du U-curve, « L’expatriation, une transition ? », que nous avions publié samedi 4 mai, nous avons recueilli les témoignages de plusieurs Français expatriés en Allemagne qui se sont prêtés au jeu de la courbe de l’expatriation et nous ont fait part de leurs expériences et ressenti. Entre l’euphorie du départ vers un autre pays, la période de désillusion et de découragement face à des difficultés d’adaptation, d’intégration, d’apprentissage de la langue mais aussi des démarches administratives compliquées et parfois hermétiques, l’expatriation n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Antoine, Magali, Delphine, Sophie, Martine, Ludovic, Amélie, Patrice-Alain se dévoilent.
Mère au foyer, financier, ingénieure du son... comment vivent-ils leur expatriation ?
Antoine, auto-entrepreneur dans le domaine du design automobile vivant depuis 2012 à Mayence a très rapidement réagi à notre appel à témoignage. Le sujet l’a interpellé dès le début. Sa courbe ressemble de très près à un « U » souvent utilisé pour schématiser les différentes phases de l’expatriation (Lors de l’excitation du départ, on se retrouve ainsi tout en haut de la première jambe du U, puis c’est la chute vers le fond du U suivant que l’on est confronté ou pas à la désillusion ou au choc des cultures. Enfin, la deuxième jambe du U qui remonte vers le haut, s’apparente à la phase d’adaptation, d’intégration et de maîtrise de son nouvel environnement Tout le monde ne vit cependant pas de la même façon sa période d’expatriation et la courbe varie en fonction des expériences individuelles.
Arrivé à Mayence en plein été, Antoine a connu cette première phase d’euphorie et d’excitation à peine débarqué dans son nouveau pays d’adoption. « J'avais des étoiles dans les yeux, je me suis très vite senti bien en fait. Tout était nouveau, j’étais dans une phase de découverte positive même si j’ai été très surpris par les débordements des Allemands, hommes et femmes de tous âges, autour de l’alcool lors du carnaval. Je me situais tout en haut du « U » au début. Parmi les expériences qui m’ont fait me questionner un peu plus tard sur ma présence en Allemagne figurent au premier plan les déconvenues dans l’entreprise, les propositions de concepts innovants que j’ai pu faire à mon chef n’ont pas été accueillies favorablement. Je me suis rapidement ennuyé car les tâches demandées étaient devenues trop routinières. La courbe est assez vite redescendue mais à ce stade, cela n’a probablement pas grand-chose à voir avec le fait d’être dans un autre pays que le mien et il n’était pas question de rentrer en France dont la situation économique, politique me déçoit et qui est un pays beaucoup trop centralisé et où les gens ne sont pas aussi accessibles qu’en Allemagne à mon goût… Puis, j'ai eu l'occasion de faire un gros travail sur moi-même et de créer ma propre activité tout en étant accompagné par un coach mis à disposition par l’Agence pour l’emploi allemande, ce qui a fait remonter très fort la courbe » rapporte-t-il.
Les différences culturelles peuvent parfois être déstabilisantes voire créer le malaise. Antoine s’est vite rendu compte qu’au niveau professionnel, les Allemands ne prennent plutôt pas de risques et dit avoir aussi observé qu’au niveau personnel, lorsque deux personnes démarrent une relation, ils prennent du temps pour se connaitre avant de s’engager. « En France on va plus vite, ça n’a pas que des inconvénients ». « Par ailleurs, certains couples allemands n’hésitent pas à vivre chacun de leur côté, avoir des activités et cercles d’amis bien distincts, alors qu’on a du mal à imaginer des Français en couple ne pas passer les vacances ensemble ». Antoine avoue que même si le manque de prise de risque au travail l’a quelque peu déconcerté au début, il apprécie que les Allemands aient d’excellents outils pour préparer des projets. « J’ai appris cela d’eux. Je suis aujourd’hui très regardant sur le cadre du projet. Autour de cette notion de risque, j’ai appris à mieux planifier, surtout en ce qui concerne mon projet professionnel ».
« Sur le plan personnel, ça se passait plutôt bien car j’avais un réseau amical certes francophone au début mais solide. Je n’ai pas connu de rejet des Allemands mais eu plus de facilités relationnelles avec des expatriés de nationalités différentes qui vivaient des choses semblables… loin de leur pays, de leur famille, confrontés à une autre culture et langue… » indique le jeune entrepreneur. Un engagement de quelques années au théâtre francophone mais aussi dans le domaine des rencontres franco-allemandes à Mayence, une participation active à la vie locale sont autant d’expériences qui ont aidé Antoine à mieux vivre son expatriation et se sentir bien outre-Rhin. « L’intuition, la persévérance, le courage d’être soi-même sont les ressources personnelles qui m’ont permis de faire mon trou et de surmonter les obstacles ici » ajoutera-il fièrement.
Magali présente aussi une courbe en forme de U. Arrivée en 2004 à Stuttgart directement après ses études pour y avoir un « vrai job » plutôt stable comme elle dit, la jeune Française ingénieure du son, d’abord dans un théâtre puis dans une société de médias, a vite organisé sa vie à Heidelberg où elle demeure et travaille. « La descente a été relativement rapide, je dirais au bout de 3-4 mois quand tout n'était plus complètement nouveau (mais pas encore vraiment familier) et que mon nouvel entourage
s'était « habitué à ma présence » et donc m'offrait peut-être un peu moins d'intérêt et/ou de soutien… La remontée s'est faite très progressivement, presque sans s'en rendre compte, et je pense qu'au bout d'environ 2 ans en Allemagne j'étais vraiment complètement « arrivée » ». Magali a en effet connu une période de remise en question au début. C’est surtout le monde de l’entreprise, le style de communication « radicalement différent » et très direct des supérieurs hiérarchiques qui vont la faire réfléchir… Seulement quelques mois après son arrivée en Allemagne, elle envisage même de rentrer en France pensant que la malédiction s’abattait sur elle comme la misère sur le monde après une série d’accidents – un accident de voiture qui lui est revenu très cher suivi par une chute d’une échelle. « J'ai été à deux doigts de craquer, la chute d’une échelle sur mon lieu de travail était assez impressionnante, heureusement pas trop grave, j'ai eu beaucoup de chance ! ». Cependant, face à la conjoncture économique en France et les plus faibles perspectives d’emploi, Magali a préféré s’accrocher et rester en Allemagne. « Certaines conversations avec une collègue assez proche m'ont beaucoup aidée. Elle m'a encouragée à faire preuve de plus d'ouverture d'esprit envers mon nouvel environnement et à enfin m'inscrire à un cours d'allemand pour moins galérer dans la vie quotidienne. Jusque-là, je m'étais efforcée de dépoussiérer mes vieux souvenirs des cours de LV2 au lycée, mais ça ne suffisait pas encore ! Elle avait également exprimé beaucoup d'admiration pour le métier et le travail que je faisais. Je n'en avais pas été consciente auparavant et cela m’a aussi beaucoup aidée à persévérer » se souvient Magali. Elle s’est ainsi surtout concentrée sur la passion pour son métier pour remonter la pente, elle a aussi multiplié les rencontres avec des gens en dehors de son travail, les liens tissés au cours d’allemand lui ont notamment montré qu’elle n'était « pas la seule à galérer avec toutes ces différences socio-culturelles ». « Les difficultés de certaines autres personnes étaient probablement plus grandes encore que les miennes. » relativise-t-elle.
Quant à Sophie, enseignante en Arts plastiques au Lycée français de Francfort, qui a connu des hauts et des bas, elle indique une courbe en zig-zag au début qui s’avère être plutôt constante depuis quelques années. Elle précise « Chaque nouveau thème abordé qui s’est présenté ou qui se présente encore (toujours pour comprendre, se positionner et... avancer) mais aussi les domaines administratifs me font réfléchir à ma présence en Allemagne ». Faut-il rester ? Faut-il rentrer ? Ce sont des questions qui taraudent parfois l’enseignante lorsqu’elle fait le bilan de sa vie privée : « Un divorce puis un chéri en France… » soupire-t-elle.
Cependant, Sophie, curieuse de nature, avoue aimer toujours retirer la substantifique moelle de nombreuses situations liées à l’interculturalité. Les différences culturelles entre la France et l’Allemagne existent en effet bel et bien et elle se réjouit toujours de pouvoir analyser celles-ci, les comparer avec sa culture française : « J’aime quand l’expérience est bonne ou réserve de bonnes surprises sur le plan de l’échange humain... » s’exclame-t-elle. Et d’ajouter « Mes ressources, c’est mon caractère bien-sûr, ma connaissance des Allemands et de leur culture mais aussi les expériences acquises au cours de nombreux voyages, bref l’expérience personnelle est un atout pour réussir son expatriation. ».
En ce qui concerne Ludovic, Français travaillant dans la finance à Francfort, président de l’UFE locale, sa courbe parfois en zig-zag est plutôt ascendante.
Ludovic pourtant bardé de diplômes n’a pas trouvé de travail en France. Il n’a pas trop réfléchi et s’est retrouvé assez vite à Francfort dans les années 2000 où il s’est tout de suite senti bien. Sa courbe n’a cessé de grimper malgré quelques moments difficiles liés à la crise de 2008, des changements de postes ponctués cependant par des promotions rassurantes. Ludovic explique : « Ma femme étant allemande (et psychologue) et moi travaillant dans la finance c’était Francfort ou rien (Londres ou Paris, trop cher, le reste trop loin). En France, je serais devenu chômeur surqualifié et inemployable (trois masters, un doctorat, 31 ans sur le marché du travail sans expérience professionnelle) ». La difficulté sera de reconstituer au cours des années son réseau d’amis outre-Rhin. Quant à un éventuel retour en France, pour Ludovic, ce ne sera pas avant la retraite pour se rapprocher de façon définitive ou temporaire de ses parents lorsque ceux-ci seront trop vieux, malades ou seuls. « C’est désormais envisageable car je suis devenu employable en France… mais pas si simple ! Ma femme devra elle s’occuper de ses vieux parents en Allemagne. Il y a des moments de déprime et d’inquiétude à prévoir… ».
Ce qui a aidé Ludovic à rester en Allemagne, c’est en premier lieu le cocon qu’il y a construit avec sa femme et ses enfants, la présence de sa chienne qui lui fait la fête depuis 2017 à son retour du bureau le soir mais aussi une prédisposition culturelle pour découvrir le monde, qui est selon lui innée chez les Bretons. « Mon éducation a été tournée vers l’extérieur depuis l’enfance. Apprentissage de l’allemand au collège en première langue, puis l’anglais, puis le russe. Le fait d’avoir fait des études aux USA (un an) puis en Angleterre, d’avoir vécu le vrai dépaysement et le vrai choc culturel au fond de l’Iowa ou du Pays de Galles, m’ont donné l’impression d’être rentré chez moi à Francfort, ville vraiment européenne et ouverte sur le monde » se réjouira-t-il. Parmi les ressources personnelles utilisées pour toujours garder le cap en Allemagne, Ludovic citera le lien qu’il a conservé avec la France par la littérature et son engagement associatif via l’Union de Français de l’Etranger. Mais c’est surtout sa femme psychologue qui lui a apporté un immense soutien lors des moments de découragement. « C’est pour elle et grâce à elle que je suis venu et que je suis resté » conclura-t-il tendrement.
Direction la Bavière où Delphine, responsable d’une association d’entraide aux personnes dans le besoin, aurait tendance à dessiner une courbe plutôt plate à son départ pour Munich avec son mari et ses enfants. C’était il y a déjà plus de 19 ans ! Elle n’aurait jamais imaginé rester aussi longtemps dans la capitale bavaroise où elle se sent aujourd’hui comme un poisson dans l’eau. « Nous ne partions que pour un an, il n’y a pas vraiment eu de moments d'euphorie et pas trop de questions au départ, nous n’étions pas non plus tristes de partir. Finalement cela fait 19 ans au total que nous somme installés avec la famille en Allemagne. » nous explique-t-elle. Et de poursuivre : « J'ai suivi mon mari avec les enfants jeunes de 18 mois, 3 ans et 6 ans. À l'arrivée deux enfants sur trois sont devenus allemands. L'idée étant de permettre aux enfants d'acquérir une langue et une culture différente ». La question de rentrer en France ne s’est jamais posée pour Delphine qui au début rentrait régulièrement en France mais « au bout de trois mois, Munich c’était chez moi » renchérit-elle.
Que de chemin parcouru par Delphine qui ne parlait pas un seul mot d’allemand en arrivant à Munich et n’avait jamais conduit auparavant ! Partie avec une licence FLE (Français Langue Etrangère) et un diplôme d’anglais en poche, Delphine n’a pas trouvé de système de garde pour son plus jeune fils, elle a dû renoncer à un travail et sacrifier sa carrière, le système de garde en Allemagne n’étant pas développé comme en France, même si la tendance change peu à peu. Elle a aussi dû relever le défi de la conduite en Allemagne pour pouvoir transporter les enfants. « La deuxième difficulté c’était la langue. J’ai pris des cours d’allemand à l’Institut Goethe. Heureusement, au début toutes les démarches administratives étaient gérées par mon mari ! C’était beaucoup d’efforts, je n’avais pas appris l’allemand à l’école en France et j’ai commencé de 0. J’éprouve aujourd’hui une certaine fierté à avoir réussi à m’intégrer » nous confie-t-elle. Et d’ajouter « Ce qui m’a aidée, c’est mon engagement associatif, les rencontres avec des francophones et francophiles et les amitiés que j’ai nouées avec les autres étudiants étrangers à l’Institut Goethe mais aussi d'avoir toujours un projet d'avance ».
Nous voilà du côté de Berlin avec Amélie en poste dans le domaine pharmaceutique dans la capitale depuis plusieurs années, qui, entre deux rendez-vous apportera son rapide témoignage. « Ma courbe a connu une fonction exponentielle et lorsque mon fils s’est fait appeler « le Français » ou lorsque le racisme de certains collègues dans la précédente entreprise où je travaillais s’est fait sentir, alors oui je
me suis posé des questions sur mon expatriation. ». Malgré ces difficultés, Amélie insistera sur le fait qu’elle n’a pourtant jamais envisagé de retour en France. « Ce qui m’a aidée et continue à m’aider, ce sont mes amis sur place mais aussi de voir mon fils épanoui dans le système scolaire allemand. Je me sens mieux à Berlin qu'en France » conclue-t-elle.
A Bensheim en Hesse, Martine, formatrice en français décrit une courbe presque linéaire qui représente 32 ans de bonheur en Allemagne. Le décès de son mari alors que les enfants étaient encore petits a été sans conteste l’épreuve la plus difficile à vivre mais n’a pour autant jamais remis en question sa vie en Allemagne même si sa famille en France s’attendait à un retour précipité à ce moment-là. « Nous venions de faire construire une maison lorsque Jürgen s’en est allé brusquement, par ailleurs mes enfants sont en premier lieu allemands, ma vie est ici dans le pays de mon mari et de leur père » s’exclame-t-elle.
Et d’ajouter « Je n’ai jamais regretté de vivre en Allemagne en tant que Française ». « J’aime particulièrement l’ordre des Allemands, me sentir toujours un peu « exotique » sur mon lieu de résidence apporte aussi beaucoup de charme à mon quotidien mais j’apprécie aussi lorsque je suis en
vacances dans mon pays ». Ce qui a aidé Martine, c’est sans nul doute ses enfants et sa grande force de caractère mais aussi tous ses souvenirs de ses débuts comme fille au-pair à ses nombreux voyages qu’elle aime à raconter… Son arrivée toute jeune en janvier 1987 à 3 h du matin par le train de Montélimar-Lyon-Munich avec moins 17 degrés et de la neige jusqu’à mi-avril semble ne pas avoir entaché son attirance et son amour sans faille pour l’Allemagne.
Enfin pour Patrice-Alain, ayant occupé des postes de manager à Düsseldorf et Kiel entre autres pendant 19 ans, rentré en France en 2013, la courbe ressemblerait à une petite cuillère vue de côté. Arrivé en Allemagne en 1994, Patrice a été surpris de se voir confier très rapidement un poste à responsabilités. Il est alors sur une courbe ascendante. « L’Allemagne m’a permis de faire une belle carrière. J’ai exercé des emplois inaccessibles en France pour un simple Bac+3, avec les responsabilités et le salaire qui vont avec. Je ne me suis jamais questionné. Je n’ai jamais regretté. Je n’ai pratiquement pas eu de difficultés liées à la culture, la nourriture ou à l’administratif (au contraire) ! » s’enthousiasme-t-il. Patrice-Alain, malgré son vif intérêt pour l’Allemagne, la langue et la culture, connaitra cependant quelques difficultés d’intégration au début qui créeront quelques désillusions passagères. « Originaire d’une petite ville de province française, Düsseldorf me semblait au début sans doute un peu trop grande et anonyme. Je maitrisais la langue mais ne comprenais pas les sujets de conversations par exemple concernant la Bundesliga, les émissions de télé ou les blagues sur les célébrités locales ». Les choses ont commencé à se corser au sein de l’entreprise où les méthodes managériales du jeune Français semblaient ne pas recevoir un écho positif outre-Rhin. « J’ai appliqué le management à la française, directif et autoritaire, pendant plusieurs mois avant de comprendre mon erreur et passer au management à l’allemande, collaboratif et inclusif. » se souvient Patrice-Alain qui aujourd’hui semble regretter d’être rentré en France pendant une période de chômage où des recruteurs français lui ont fait miroiter de belles opportunités professionnelles.
« Alors que j’étais en Allemagne, ce qui m’a aidé, c’est le fait d’avoir effectué de nombreux séjours dans le pays avant d’y emménager en 1994, notamment mes études à Mayence et Bochum et de nombreux échanges dans le cadre du jumelage Fondettes-Wiesbaden. Je connaissais déjà l’Allemagne, son histoire. J’avais déjà des amis et un lien personnel fort avec le pays. » se souvent-il. Quant aux ressources utilisées pour bien vivre son expatriation, Patrice-Alain évoquera sa soif d’apprendre et sa capacité à s’adapter à un nouvel environnement. Et comme le phénomène de l’« U-curve » est un éternel recommencement et peut aussi bien s’appliquer au départ à l’étranger qu’au retour dans son propre pays, Patrice-Alain n’est pas au bout de ses peines et semble vivre un choc culturel inversé, se sentant toujours en décalage avec la société française. Celui-ci nous confiera n’avoir qu’un souhait « retourner en Allemagne » !