Derrière les murs lézardés de barbelés, l’ancien aéroport de Tempelhof offre ses pistes désaffectées à la déambulation et à la découverte d’un lieu, symbole de deux histoires antagonistes.
Un monument de l’histoire nazie
Les hangars alignés de l’aéroport de Tempelhof s’étirent en arc de cercle sur 1,2 kilomètre. Les structures métalliques tiennent encore les murs des bâtiments construits entre 1936 et 1941. Chef d’œuvre d’ingénierie pour l’époque, l’aéroport, par son architecture dévoile une histoire qui prend racine dans l’Allemagne nazie.
C’est en 1923 que l’aéroport de Tempelhof ouvre ses portes et que ses premiers avions traversent le ciel de Berlin. Le plus ancien aéroport commercial au monde subit pourtant rapidement la loi du Troisième Reich puisqu’en 1934, est prise la décision de remplacer l’aérogare. L’architecte Ernst Sagebiel est chargé du projet qui doit occuper une place centrale dans Germania, la capitale de l’Europe nazie. Après six ans de travaux de 1936 à 1941, l’aéroport se dévoile tel un gigantesque emblème de l’architecture nazie. La courbe dessinée par les hangars que je longe de l’extérieur, représente les ailes de l’aigle, symbole du Reich.
Je chemine le long de ce morceau d’histoire entouré d’un mur d’enceinte que lézardent des rouleaux de barbelés. Les pointes d’acier acéré scintillent furtivement au contact d’un rayon de soleil. Les colonnes infinies de fenêtres défilent sous mes yeux. Il y a près de 80 ans s’activaient derrière ses hublots poussiéreux les ombres de l’administration du Reich chargées de faire travailler des prisonniers à la construction d’avions militaires.
L'aéroport du Pont aérien de 1949
J’avance encore quand un couloir s’ouvre sur la gauche entre deux grilles. Au bout, la ville semble s’être retirée, comme la mer sous l’effet de la marée, laissant un large carré d’herbe découvert. Des balafres d’asphalte découpent la tâche verte en parcelles régulières. Les pistes résistent aux assauts du temps et demeurent ici tels des fragments d’histoire.
Après la Seconde Guerre mondiale, la Guerre Froide s’installe et cet aéroport alors symbole du nazisme devient un symbole de la résistance contre le communisme. Le 24 juin 1948, l’URSS décide de bloquer l’accès terrestre à Berlin et plonge 2 millions d’Allemands dans l’incertitude quant aux ravitaillements. Dans le camp des alliés, Américains et Britanniques décident de mettre en place un pont aérien vers Berlin-Ouest afin d’aider civils et militaires. Le 26 juin 1948, le premier avion de l’US Air Force se pose à Tempelhof et lance ainsi officiellement le pont aérien. Les « Rosinenbomber » (bombardiers de friandises) comme les appellent les Berlinois atterrissent toutes les 2 minutes parfois moins sur les pistes de Tempelhof jusqu’à la fin du blocus, 11 mois plus tard, le 12 mai 1949.
Les trainées de caoutchouc, que laissent les roues des avions américains sur le tarmac, sont les premières lignes d’une nouvelle page d’histoire pour cet aéroport. Le lieu devient alors un symbole de l’Europe libre et de résistance face au communisme.
Des vélos fusent devant moi sur la bande de bitume qui fait le tour des pistes. Je me trouve dans la dernière page de l’histoire de cet aéroport qui donne désormais aux bicyclettes la priorité absolue sur les avions.
Un référendum sans issue
Après le pont aérien, l’aéroport glorifié est pourtant peu à peu délaissé. En 1975, les compagnies British Airways et la Pan Am arrêtent de desservir Tempelhof au profit du nouvel aéroport de Tegel. S’il reprend brièvement de l’activité dans les années 1980 pour soulager Tegel, Tempelhof reste à l’état de quasi-abandon. En 2007, l’aéroport a perdu 115 millions d’euros en 10 ans et la ville de Berlin décide alors de s’emparer du sujet.
Le maire de Berlin, Klaus Wowereit du SPD, souhaite fermer l’aéroport mais un référendum soutenu par Angela Merkel et la CDU est demandé. Ce vote ne change rien aux volontés du maire, malgré 60 % des votes exprimés contre la fermeture. En effet, les 25 % de participation requis pour un référendum n’ont pas été atteints puisque ce sont 19 % des Berlinois seulement qui se sont déplacés.
Un espace de verdure chargé d’histoire
Aujourd’hui, le ballet des cerfs-volants a remplacé celui des avions. Et pour cause, les vents retenus dans la ville par les immeubles qui bordent les grandes artères, déferlent ici dans un fracas silencieux.
Un homme traverse les étendues herbeuses sur une planche à grosses roues tirée par une voile arrondie. Un autre est aux prises avec une voile de parapente qu’il apprend à manier. Immobile, il s’échine à maitriser les bourrasques du bout des doigts. Tel un marionnettiste, un jeune garçon tire sur les fils de son modèle plus réduit. La toile danse au gré des courants invisibles et découpe le ciel dans un sifflement aigu.
J’avance vers le centre. Chaque pas déloge un oiseau qui s’envole du dessous des semelles. Au sud, une ancienne usine dresse fièrement sa cheminée de briques rouges. Elle est un témoin de tous ces bâtiments égrainés par les révolutions industrielles passées. Au nord, l’antenne de télévision pointe le bout de son globe au-dessus des bâtiments chargés d’histoires de Tempelhof. Le soleil décline doucement, étirant les ombres et fraichissant l’air.
Je quitte l’aéroport lorsque les vents, chargés de la froidure de l’ombre, fouettent les visages et rougissent les mains. Autrefois symbole du nazisme puis de la liberté, aujourd’hui centre d’accueil de réfugiés, quelles sont les prochaines vies de ce lieu que j’abandonne aux nuits gelées de décembre ?
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