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RIAD SATTOUF - « Les gens ont tendance à oublier l'Histoire même de leurs pays »

Écrit par Lepetitjournal Berlin
Publié le 12 octobre 2023

Invité, lors festival de littérature de Berlin, le dessinateur Riad Sattouf est venu présenter son deuxième tome de sa bande-dessinée «L'Arabe du futur », sorti en français en juin 2015 ainsi que le premier, récemment traduit en allemand. Cette série raconte l'histoire de sa famille mixte, franco-syrienne, qui décide de partir vivre en Libye puis en Syrie alors que Riad Sattouf n'est encore qu'un tout jeune garçon. Dans les deux premiers tomes de l'Arabe du futur, le dessinateur entraîne le lecteur dans ses souvenirs d'enfant qui permettent de décrire naïvement mais précisément tout ce qu'il a pu observer durant ces années passées au moyen-orient. Avec une figure du père, docteur en histoire, omniprésente et contrebalancée entre son nationalisme naturel et sa volonté d'éducation pour son fils et son pays, l'Arabe du futur décrit une culture relativement peu connue donnant ainsi au livre un intérêt particulier et qui rencontre d'ailleurs un certain succès. Juste avant son départ de Berlin, Riad Sattouf a accepté d'accorder une interview au www.lepetitjournal.com/Berlin.

www.lepetitjournal.com/Berlin – Vous avez été sélectionné pour présenter votre bande-dessinée, L'Arabe du Futur, au Festival de Littérature de Berlin et avez participé à différents événements, quelles ont été vos impressions lors de ces rencontres ?
Riad Sattouf – La discussion organisée à l'Institut Français de Berlin et par son directeur, Fabrice Gabriel, a été très intéressante et le public est venu nombreux donc je suis assez content. Concernant le Festival de Littérature de Berlin, j'ai passé un moment sympathique car j'aime beaucoup les rencontres avec le public et lorsque l'on a le temps de discuter, ce qui a été le cas durant ces derniers jours.

LPJ-Berlin – Pourriez-vous revenir sur le début de l'aventure avec cette série « L'arabe du futur » ?
R.S. - Je souhaitais raconter cette histoire depuis de nombreuses années mais j'avais des difficultés à trouver l'angle. J'ai toujours écrit des histoires de bande-dessinée ayant un rapport avec la réalité et j'avais la sensation, que ces années passées au moyen-orient, pouvaient donner une histoire intéressante mais sans réellement savoir comment la mettre en forme. Puis j'ai vieilli et j'ai trouvé la solution…

LPJ-Berlin – Quelle était cette solution ?
R.S.- J'ai centré l'histoire sur le personnage du père plutôt que celui du petit garçon m'incarnant.

LPJ-Berlin – L'actualité, avec la guerre civile en Syrie, n'a-t-elle pas été également un élément déclencheur ?
R.S. - Si c'est vrai, mais je raconte très souvent cette histoire, j'ai donc essayé de l'éviter cette fois-ci...(rires). Mais quand la guerre civile a éclaté en Syrie, une partie de ma famille syrienne habitait encore à Homes et j'ai tenté de les faire venir en France, avec de grandes difficultés. J'ai donc souhaité raconter ces barrières auxquelles j'ai été confrontées. Mais avant d'en arriver à ce moment de l'histoire, il me fallait la relater depuis le début. C'est l'élément qui m'a concrètement poussé à réaliser cette bande-dessinée.

LPJ-Berlin – Devons-nous attendre le 3e tome pour connaître cette partie de l'histoire ?
R.S. - Je ne sais pas encore. Je pense peut-être que l'histoire sera divisée en quatre tomes.

LPJ-Berlin – Pouvons-nous savoir comment va votre famille actuellement et ce qu'ils ont pensé de vos deux premiers tomes ?
R.S. - En fait, je vais raconter tout cela dans les prochains numéros, je vais y inclure également les réactions de ma famille donc non je ne peux pas vraiment vous le dire...

LPJ-Berlin – Vous avez expliqué écrire ce livre pour que tout le monde puisse le lire dont votre famille, a-t-il été depuis traduit en arabe ?
R.S. - Pour le moment, pas encore. Il y a eu des propositions. Les éditeurs veulent d'abord traduire le volume 1 et voir comment il est reçu avant de faire la suite alors que je souhaiterais plutôt que toute l'histoire soit traduite. J'attends donc que la fin de la série pour donner les droits.

LPJ-Berlin – Les détails de votre histoire sont extrêmement précis. Y-a-t-il une part d'imagination ou est-ce que vous avez réussi à vous remémorer l'ensemble de cette partie de votre vie ?
R.S. - J'ai jamais eu l'impression de quitter cet univers et ce sont des souvenirs que j'ai toujours conservés. J'ai la chance ou la malchance d'avoir de très bons souvenirs de mon enfance donc cela n'a vraiment pas été compliqué de relater cette histoire. Évidemment, en tant que dessinateur, j'ai modifié certaines choses et en ai rajouté d'autres. Je mets une distance entre mon histoire réelle et celle que je raconte afin d'en créer une nouvelle, car j'ai délibérément choisi de ne pas raconter certains passages ou de changer certains noms mais tous les événements sont basés sur de vrais souvenirs. Mon but était aussi de les confronter avec les réactions de ma famille et de les inclure dans la suite de l'histoire.

LPJ-Berlin – Vous n'avez donc utilisé aucune photo ou autre matériel afin de dessiner cette histoire ?
R.D. - Non. Bien sûr, j'ai reconstitué les dialogues mais je me souviens de l'ambiance, du contenu. J'ai réarrangé les scènes pour qu'elles soient lisibles. Il n'y a pas si longtemps, j'ai retrouvé une photo du village où j'habitais et je me suis rendu compte que j'avais oublié un détail, très important ; il y avait des fils électriques partout alors que dans mes dessins, il n'y en a aucun. Je me suis dit « Ah merde, je les ai oubliés ». Mais finalement, je trouve ça plus intéressant de partir de mes souvenirs plutôt que de faire un travail de recherches précis. Cela donne une autre ambiance au village.

LPJ-Berlin – Les passages que vous avez choisis d'omettre, était-ce pour ne pas trop cataloguer une culture ? Par rapport à la violence ou à l'antisémitisme par exemple ?
R.S. - Comme j'ai grandi dans cet univers, cela me semblait une évidence que les gens occidentaux éduqués connaissaient ces faits là. En réalité, absolument pas. Le fait que l'antisémitisme et la haine d'Israël fassent partie pleinement de la société syrienne, je pensais que cela se savait et je me rends compte qu'il y a une sorte d'ignorance occidental. J'ai été également étonné de voir que de nombreuses personnes ont découvert que beaucoup des pays arabes étaient dirigés par une dictature. Je trouve cela très étrange…

LPJ-Berlin – Votre série n'a-t-elle pas pour objectif d'informer justement les lecteurs à ce sujet ?
R.S. - Non pas du tout. Je pensais vraiment que c'étaient des faits connus. Si vous allez sur YouTube, vous trouverez facilement des vidéos à ce sujet mais les gens ne s'y intéressaient pas avant.

LPJ-Berlin – Mais l'actualité a tout de même déclenché votre envie de parler de la Syrie ?
R.S. - Je ne l'ai pas intellectualisé comme cela. Et la Syrie que j'ai connue est celle des années 80. Celle actuelle, je ne l'ai jamais vécue. Il est difficile pour moi de relier mon histoire avec ce que j'ai vu dans les infos.

LPJ-Berlin – Et inversement, le succès de votre premier tome est peut-être lié au fait que les personnes ont eu envie de s'intéresser à la série par rapport aux événements ?
R.S.- Je ne sais pas exactement expliquer les raisons de ce succès. Mais à chaque fois que j'ai rencontré des personnes lors de séances d'autographes, j'ai échangé avec elles. Et je crois que ce qui a intrigué, est plutôt le mélange de deux cultures au sein d'une famille. L'alliance entre l'Europe et l'Orient, de voir si ça fonctionne mais aussi les points communs et différences. La Syrie que je décris dans le 2e tome est, en réalité, très proche de celle française que décrit François Truffaut dans les 400 coups, par exemple. Les gens ont tendance à oublier l'histoire même de leurs pays.

LPJ-Berlin- Vous ne comptez donc pas vous arrêter au 3e tome ?
R.S . - Je connais déjà la fin, je suis en train d'écrire la suite de l'histoire mais je ne sais pas encore comme cela va se mettre en place.

LPJ-Berlin – Comment voyez-vous aujourd'hui l'Arabe du futur ?
R.S. - Je ne sais pas...L'Arabe du futur, c'était une phrase que disait mon père quand je ne voulais pas aller à l'école : « L'Arabe du futur doit aller à l'école ». Il y un notion désuète et nationaliste aussi dans cette phrase.

LPJ-Berlin – Et que pensez-vous de la situation actuelle avec les réfugiés ?
R.S. - Je ne suis pas sûr d'être bien placé pour donner mon opinion mais je pense qu'il faut les accueillir. Ce sont des gens qui fuient leurs pays car ils y ont été obligés et qui ont envie de travailler. Il faut les aider.

Propos recueillis par Anaïs Gontier (www.lepetitjournal.com/Berlin) mercredi 23 septembre 2015

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Publié le 22 septembre 2015, mis à jour le 12 octobre 2023

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