Depuis 2012, la Berlin Art Week réunit chaque année musées, institutions et galeries de la capitale autour d’un programme commun d’expositions et d’événements. Du 10 au 14 septembre 2025, Berlin se transforme en un véritable parcours artistique, entre lieux emblématiques et adresses plus confidentielles. Voici un aperçu des expositions découvertes lors de la présentation presse, qui rappellent, s’il en était besoin, le rôle essentiel de l’art comme contre-pouvoir et outil de résistance face aux dérives, aux injustices et à l’effacement de certaines voix.


Christelle Oyiri – Dead God Flow (Cank)
Au Cank, espace brut et minimaliste, la LAS Art Foundation dévoile la première installation berlinoise de l’artiste, DJ et productrice franco-ivoirienne Christelle Oyiri. Une expérience sensorielle, où les yeux mettent du temps à s’habituer à la pénombre, et où les installations et les stimulations visuelles et sonores désorientent le corps.
“God is dead” disait Nietzsche, faisant référence à une crise de foi, une perte des repères et des valeurs. Christelle Oyiri puise dans son double background en philosophie et musique pour nous emmener dans deux expériences audiovisuelles puissantes, nous rappelant que “la mort n’est pas une fin, mais une boucle, un beat de dieu brisé qui pulse encore”.
Hauntology of an OG relie Memphis, Tennessee à l’Égypte ancienne, la pyramide du Mississippi apparaissant en miroir à celle de Gizeh. Racontée par Darius Phatmak Clayton, rappeur et poète, c’est une histoire de conflits et de monuments, et le rap local joue à l’architecte musical. Et à Memphis, on trouve aussi l’église où Martin Luther King a fait un de ses derniers discours avant son assassinat, qui a oblitéré les rêves d’autres possibles.
Hyperfate (2022) explore les modèles noirs disponibles aujourd’hui, notamment les rappeurs, figures adulées, enviées, aux destins parfois tragiques, tels que Tupac ou King Von, assassinés, et érigés en saints modernes.
En parallèle, le collectif CEL (Shannen SP et GLOR1A) lance Foundations, un projet itinérant et de longue durée. CEL s’attaque aux inégalités dans le monde de l’art et de l’industrie musicale, explore de nouvelles formes d’autonomisation artistique et entend bâtir un écosystème durable permettant aux artistes noirs et issus de la diaspora de s’épanouir.

Gerd Rohling – Ercolano Underground (Passage, U-Bahnhof Hermannplatz)
Passage, c’est un programme artistique berlinois qui investit les stations de métro pour y présenter des expositions temporaires.
L’art sort des musées, et débarque dans des lieux de passage quotidiens, à la rencontre d’un public plus vaste.
Et c’est sur le quai de la ligne U7 à Hermannplatz qu’on retrouve l’installation de Gerd Rohling.
Depuis 1995, son projet Wasser und Wein a voyagé dans des lieux prestigieux, mais pour la Berlin Art Week, ses amphores, bols et bouteilles quittent les musées pour descendre sous terre. Le titre Ercolano Underground relie d’ailleurs Herculaneum (ensevelie par le Vésuve) au lieu d’exposition.
On imagine du verre ou du cristal. En réalité, il s’agit de plastique usé, repêché pendant des décennies dans le golfe de Naples. Des déchets marqués par le sel de la mer, transformés en trésors lumineux, à la fois fragiles et précieux.
Rohling rappelle qu’ici aussi, « les plus beaux objets peuvent naître des déchets et les plus précieux être les plus modestes ».
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Charmaine Poh – Make a travel deep of your inside, and don’t forget me to take (PalaisPopulaire)
Au PalaisPopulaire, on découvre la première grande exposition institutionnelle de Charmaine Poh, artiste et vidéaste installée entre Singapour et Berlin, désignée Artiste de l'année 2025 par Deutsche Bank.
Le titre vient d’une phrase d’un ami turc dans un anglais imparfait, mais d’une poésie inouïe, qu’elle n’aurait jamais pu écrire elle-même.
Charmaine nous emmène dans un univers poétique où les frontières entre réel et virtuel se floutent, avec ce qu’on pourrait appeler un activisme doux : vulnérable, authentique, mais aussi profondément engagé et assertif, une plaidoirie contre l’exclusion, l’invisibilisation et la marginalisation des minorités.
The Moon is Wet (2025), une installation vidéo à trois canaux, relie trois figures féminines : Mazu, déesse de la mer honorée dans le sud de la Chine ; une Majie, migrante du XIXᵉ siècle travaillant comme domestique à Singapour ; une employée de maison indonésienne d’aujourd’hui dans des foyers aisés de Singapour. Trois époques, trois femmes à qui on donne enfin une voix. Leurs récits s’entrelacent en une histoire qui parle, entre autres, d’oppression et de solidarité.
What’s softest in the world rushes and runs over what’s hardest in the world (2024), présenté à la Biennale de Venise, est un film d’une tendresse radicale sur des couples lesbiens et queer à Singapour, décidés à fonder une famille malgré l’absence totale de cadre légal.
Charmaine revient aussi sur son propre passé, mélangeant IA et vraies images, et nous livre la réalité parfois glaçante derrière les paillettes d’une enfant star de la télévision : dans Good Morning Young Body (2021–23), elle dévoile l’objectification, le cyberharcèlement et la sexualisation dont elle a été victime. Et dans public solitude (2022), elle poursuit cette réflexion sur l’image publique et le masque que chacun porte, qui cache la vulnérabilité et l’isolement.

Issy Wood – Magic Bullet (Schinkel Pavillon)
Dans ce lieu brut, une sorte d’aquarium de béton, on découvre la première grande exposition personnelle en Allemagne de l’artiste britannique Issy Wood.
Une série inédite d’œuvres dialogue ici avec l’architecture singulière du lieu, presque un décor de théâtre pour ces tableaux étranges et dérangeants.
Issy Wood peint notre époque avec un classicisme de forme, mais les sujets sont extrêmement modernes. Elle se décrit elle-même, et on apprécie l’ironie, comme une “millennial médiévale”.
Une formule qui colle parfaitement à son travail : des peintures entêtantes, sur toile ou sur mobilier recouvert de velours brillant, où se croisent objets de luxe, obsessions consuméristes, reliques étranges, quelque part entre réalisme et surréalisme, qu’on peine à catégoriser. Ce qui n'est sans doute pas plus mal.

Close to Home. Remittance Spaces Between Arrival and Return (Savvy Contemporary)
Chez Savvy Contemporary, l’exposition Close to Home ramène le projecteur sur celles et ceux qu’on n’écoute pas : enfants et petits-enfants de la migration, voix souvent réduites au silence, ici au centre. Une douzaine d’artistes, pour la plupart âgés de 20 à 30 ans — certains exposent ici pour la première fois.
L’exposition explore l’expérience migrante au quotidien, qui n’est pas un simple aller ou retour, mais un va-et-vient constant, des identités mouvantes et des transmissions invisibles.
Le mot remittance, souvent limité à l’argent qu’on envoie à sa famille depuis l’étranger, prend ici un sens élargi. On parle de gestes, d’objets, de sons, de savoirs, de tissus ou de recettes qui circulent entre les lieux et les générations, façonnant une autre idée du chez-soi : non pas un point fixe, mais un espace à construire, hériter, partager.
Chaque œuvre est chargée d’émotion. Lost kisses, ce sont des cassettes vidéos retraçant des moments de vie, destinées à des membres de la famille éloignés, dont certaines ne sont jamais arrivées à bon port parce que la vie est aussi faite de déplacements, et de décès.
Imaginary Homeland combine peinture et vidéo pour nous faire voyager de l’Iran à Londres et interroger l’identité, l’appartenance, et ce qu’est être une artiste.
Une (very) tiny house à l’intérieur d’un meuble de stockage fait miroir avec les 5 m² où la tante de l’artiste vit, alors qu’elle envoie de l’argent à sa famille.
Avec son format mosaïque, sans narration imposée, loin du spectaculaire, Close to Home nous touche au cœur et rend visibles ces circulations discrètes mais fondatrices.

Global Fascisms (Haus der Kulturen der Welt – HKW)
Avec son titre qui ne laisse pas de place à l’interprétation, l’exposition Global Fascisms à la HKW ne se contente pas d’aligner les grands méchants, ceux qu’on ne peut pas rater. Elle met en lumière tout ce qui permet à ces idéologies nauséabondes de prospérer.
Pas de pédagogie molle ici, mais une plongée critique dans les mécanismes du pouvoir autoritaire. Glorification du passé, masculinité toxique élevée au rang de modèle, rejet de la complexité, obsession pour l’uniformité. Moins de tolérance, plus de frontières, moins de nuances, et une disparition progressive de ce qui faisait lien : les espaces d’échange, les soutiens aux artistes, les contre-pouvoirs, les imaginaires divergents.
On est accueillis par une banderole avec cette phrase toute faite qui n’attend surtout pas de vraie réponse : “Hope this message finds you well.” L’incarnation de la platitude pour oublier que le monde brûle.
L’exposition rassemble des œuvres de plus de 50 artistes internationaux, et accueille tous les formats pour illustrer un monde qui va mal, et où les alternatives proposées n’ont rien de réjouissant, sont souvent trop basiques et gomment les différences à coup d'injonctions : fix, heal.
Mais Global Fascisms n’est pas qu’un mur d’alertes. La satire est bien là, comme elle l’a toujours été, cruciale pour s’opposer au fascisme, car elle en dénonce la profonde stupidité.
Face à la montée des extrêmes, Global Fascisms rappelle que le fascisme n’est jamais une relique. Et que l’art reste l'un des meilleurs moyens pour dénoncer, questionner, refuser et résister.
Ce n'est qu'un aperçu ! Pour retrouver le programme complet et ne rien manquer de la Berlin Art Week, c'est par ici.
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