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Une exposition exceptionnelle : Frans Hals à la Gemäldegalerie

La Gemäldegalerie présente une exposition dédiée à Frans Hals, l'un des maîtres de la peinture hollandaise du XVIIe siècle. Son commissaire, Erik Eising, nous offre une plongée dans l'univers de cet artiste singulier.

image de l'exposition image de l'exposition
Ausstellungsansicht, Gemäldegalerie, 2024 © Staatliche Museen zu Berlin / David von Becker
Écrit par Sandrine Ibanez
Publié le 9 août 2024, mis à jour le 9 août 2024

Un portraitiste brillant méconnu en Allemagne

Frans Hals, né entre 1582 et 1584 à Anvers, a marqué son époque par un style de peinture novateur et une personnalité affirmée. Il fait partie des peintres majeurs du XVIIe siècle - avec Vermeer et Rembrandt, et pourtant, il est moins connu, notamment en Allemagne.

Sa famille a fui la ville après sa reconquête par les Espagnols catholiques en 1585. Ils se sont installés à Haarlem, où le père de Frans Hals a pu continuer son travail dans l'industrie textile florissante de la ville. Haarlem accueille de nombreux réfugiés flamands, prospère, ce qui crée un environnement culturel et économique riche… et de nombreux commanditaires potentiels.

Dès son adolescence, Frans Hals est formé par Karel van Mander, un peintre flamand réfugié lui aussi à Haarlem. Alors que son maître considérait le portrait comme un genre mineur (où il suffit juste de peindre ce que l’on voit, au lieu de faire appel à son imagination), Hals s'est spécialisé dans… le portrait - un choix qui en dit long sur son caractère et son originalité. Aujourd'hui, il reste environ 200 œuvres de Frans Hals, et 85% sont des portraits. 

 

image de quelques portraits de l'exposition
Ausstellungsansicht, Gemäldegalerie, 2024 © Staatliche Museen zu Berlin / David von Becker


 

Un style unique et moderne

“Le jeune Frans Hals était encore un peu prudent, peut-être un peu hésitant, mais déjà dans ses premières peintures, on peut voir qu'il fait les choses à sa manière.”

Malgré son éducation artistique traditionnelle, Frans Hals a rapidement développé un style unique. Il se distingue par une technique de peinture fluide et expressive, contrastant fortement avec la précision minutieuse répandue à l’époque. Il peignait beaucoup plus librement, rapidement, avec des coups de pinceaux vifs et souples, ce qui le distinguait de ses contemporains qui avaient un style plus lisse et détaillé. 

Durant ses 50 ans de carrière, son style devient de plus en plus libre et esquissé. Dans ses peintures tardives, on dirait même qu'il est impressionniste, elles ressemblent à des peintures de la fin du XIXe siècle et paraissent vraiment très modernes. 

Un autre aspect de son style unique est son utilisation de la lumière et des ombres pour créer une profondeur et une texture remarquables. Hals parvenait à donner vie à ses portraits avec une simplicité apparente, mais une complexité technique sous-jacente. Ses coups de pinceau, parfois rapides et presque négligés, contribuent à cette impression de spontanéité et de vivacité.

 

une des oeuvres de l'artiste
Frans Hals, Porträt eines Paares, vermutlich Isaac Abrahamsz Massa und Beatrix van der Laen, um 1622, Amsterdam, Rijksmuseum, © Rijksmuseum, Amsterdam

 

La maîtrise de l'émotion et de l’authenticité

Cette approche permet à Hals de capturer la vitalité et l'émotion de ses sujets de manière inégalée. Ses portraits dénotent une maîtrise rare de la représentation des émotions.

“Capturer une expression naturelle et vivante avec une telle aisance est l'une des caractéristiques les plus remarquables de son travail.”

Il est difficile de dépeindre des sourires de manière convaincante sans qu'ils paraissent forcés ou caricaturaux. Hals excelle dans cet art subtil, d’ailleurs il est souvent appelé le maître du rire et des sourires, car beaucoup de ses portraits montrent des sujets avenants et pas du tout impassibles, ce qui était rare à l'époque.

Loin des portraits figés, on voit dans ses tableaux des yeux rieurs, provocateurs, doux, des attitudes nonchalantes, arrogantes, des poses peu conventionnelles. On dirait presque des instantanés, des photos plus que des peintures, et tous ses portraits dégagent une incroyable authenticité.

Hals savait aussi capturer des moments d'émotion plus profonde, comme la mélancolie ou la contemplation. Ses portraits ne sont pas seulement des représentations physiques: chacun raconte une histoire et exprime une gamme complexe de sentiments.

 

image d'une partie de l'exposition
Frans Hals, Lachender Junge, 1630, Den Haag, Mauritshuis, erworben mit Unterstützung der Vereniging Rembrandt, dem Prins Bernhard Cultuurfonds und der Stichting Vrienden van het Mauritshuis, 1968, © Mauritshuis, Den Haag

 

De l'élite aux marges de la société

“Frans Hals dépeint ces gens des couches les plus basses de la société de manière très respectueuse, comme s'il s'agissait de portraits.”

Les commanditaires pour lesquels Hals réalise ses portraits appartiennent à la classe dominante de la société. Nantis, marchands aisés, politiciens et brasseurs de bière (qui étaient très importants à l'époque), tous font partie de l'élite fortunée de Haarlem.

Le reste de ses peintures, qui ne sont pas des commandes, sont des scènes de genre. Comme en opposition, elles montrent la vie quotidienne, des personnes dans la rue, mais surtout des gens appartenant aux couches les plus basses de la société : mendiants, musiciens de rue, acteurs, prostituées, ainsi que de personnes avec des handicaps, notamment des déficiences mentales.

La manière dont il représente ces exclus sociaux est également très particulière, car à l'époque, d'autres peintres utilisaient ces scènes de genre pour se moquer des personnes représentées, ou de manière très moralisatrice - faites attention, ou vous ressemblerez à “ça”. 

Frans Hals, lui, choisit de les dépeindre de manière très respectueuse. Les compositions qu'il utilise sont les mêmes que pour les portraits, ce qui, à l’époque, est unique et original dans les scènes de genre. Une manière personnelle de rétablir un semblant d’équilibre ?

 

image d'une partie de l'exposition
Ausstellungsansicht, Gemäldegalerie, 2024 © Staatliche Museen zu Berlin / David von Becker

 

Une approche comparative pour cette exposition pionnière 

Réalisée en partenariat avec la National Gallery de Londres et le Rijksmuseum d'Amsterdam, cette exposition est la première en Allemagne à offrir une rétrospective complète du travail de Frans Hals. 

"Nous voulions montrer ce qui rend Frans Hals si spécial en contrastant ses œuvres avec celles de ses contemporains et concurrents, comme Johannes Verspronck."

L'exposition présente près de 50 œuvres de Frans Hals ainsi que 25 œuvres d'autres artistes contemporains. Cette approche comparative permet de mieux comprendre ce qui rend Hals unique. Les visiteurs peuvent ainsi voir côte à côte des portraits réalisés par Hals et ses concurrents, pour apprécier les choix stylistiques distincts. 

Par exemple, l'exposition juxtapose un portrait par Hals avec un portrait du même modèle réalisé par Verspronck. Tandis que le portrait de Hals présente une vivacité et une texture riches, celui de Verspronck est plus lisse et formel. 

De même avec un portrait de Jasper Schade. Vu par Frans Hals, il semble très arrogant, mais c'est une peinture très vivante, on a l'impression que la peinture respire. Dans l'autre portrait, réalisé par Cornelis Jonson van Ceulen, la même personne semble fade, limite ennuyeuse, avec un rendu très lisse. 

Cette comparaison directe permet aux visiteurs de comprendre l'audace et l'innovation de Hals dans son approche du portrait.

 

Un mentor ouvert d’esprit

L'exposition se distingue également par son accent sur l'enseignement de Hals. Contrairement à Rembrandt, qui imposait son style à ses élèves (ce qui est pratique quand il s’agit de leur faire terminer les détails les moins enthousiasmants d’un tableau), Hals permettait à ses apprentis de développer leur propre voie artistique. 

La majorité des anciens assistants de Frans Hals ont développé leur propre style, ce qui montre qu'il était probablement un professeur ouvert, soutenant les talents individuels plutôt que d’en faire des clones. 

Hals avait également une approche pédagogique unique, encourageant ses élèves à explorer différents genres et techniques. Certains de ses élèves sont devenus des paysagistes renommés, tandis que d'autres se sont spécialisés dans les natures mortes ou les scènes de genre. 

Cette diversité dans l'enseignement montre la flexibilité et l'ouverture d'esprit de Hals en tant que mentor.

 

Où sont les femmes ?

Une des volontés pour cette exposition, c’était de mettre davantage les femmes en avant - la peinture à l’époque étant largement dominée par les hommes, que ce soit du côté des peintres, ou des sujets. 

Idée louable, mais qui s’est avérée complexe à mettre en pratique. Alors que Johannes Verspronck, avec son style de peinture lisse et détaillé, a peint beaucoup de femmes et de jeunes filles, Frans Hals a peint principalement des hommes, et ses quelques portraits féminins sont souvent plus conventionnels et moins audacieux artistiquement. Donc moins intéressants quand il s’agit d’illustrer la particularité du style de Hals.

L’exposition compte finalement 6 portraits de femmes, dont le fameux portrait de "Malle Babbe" (“Barbara la folle”), la Mona Lisa de Frans Hals, une femme avec une déficience mentale qui était une figure locale connue à Haarlem. Ce tableau témoigne de l’empathie et du respect avec lesquels Hals dépeignait ses sujets, quelles que soient leurs origines sociales. 

Autre fait notable, Judith Leyster, une des élèves de Hals, est mise en avant avec 3 de ses œuvres. Elle a a été la toute première femme des Provinces-Unies, et peut-être même d’Europe, à devenir maître peintre indépendant, membre des guildes de peintres et à avoir son propre atelier. C'était donc une véritable pionnière. Et Judith Leyster, de manière intéressante, est la seule de ses anciens assistants à être restée dans un style proche de Hals. Pour l’anecdote,  elle a arrêté de peindre quand elle s’est mariée.

 

image d'une partie de l'exposition
Ausstellungsansicht, Gemäldegalerie, 2024, © Staatliche Museen zu Berlin / David von Becker

 

L’influence de Hals sur la peinture moderne

La fin de l'exposition est consacrée à l'influence de Hals sur les peintres modernistes du XIXe et XXe siècles. Des artistes comme Gustave Courbet, Max Liebermann, et John Singer Sargent ont été profondément inspirés par son travail et influencés par son style de peinture libre et expressif.

Cette section de l'exposition montre comment Hals a contribué à l'évolution de la peinture moderne. Courbet, par exemple, a été particulièrement impressionné par la capacité de Hals à capturer l'essence de ses sujets avec des coups de pinceau rapides et vigoureux. Liebermann, quant à lui, a trouvé dans les œuvres de Hals une source d'inspiration pour ses propres scènes de la vie quotidienne, souvent marquées par un réalisme brut et direct. Sargent, célèbre pour ses portraits, a étudié les techniques de Hals pour améliorer son propre style de peinture.


Si vous aussi, vous voulez profiter d’une occasion rare de découvrir l'œuvre d'un artiste unique et audacieux, précipitez-vous à l’exposition Frans Hals, Meister des Augenblicks, à la Gemälde Galerie, jusqu’au 3 Novembre 2024.

 

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