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Une journaliste thaïlandaise condamnée à 2 ans de prison pour un tweet

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Suchanee Cloitre a été condamnée pour avoir qualifié "d’esclavage" des conditions de travail impliquant des journées de travail pouvant aller jusqu’à 20 heures, la confiscation des passeports, et des salaires très inférieurs au minimum légal.
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec Reuters
Publié le 27 décembre 2019, mis à jour le 28 décembre 2019

Une journaliste de la télévision thaïlandaise a été condamnée mardi à deux ans de prison en vertu de la sévère loi de diffamation en vigueur dans le royaume, selon un communiqué de son avocat. En cause, un tweet considéré comme calomnieux envers une entreprise d’élevage de poulets condamnée dans une affaire de travail forcé.

Suchanee Cloitre, journaliste de la télévision thaïlandaise, a été condamnée mardi par la Cour de Lopburi pour un post publié sur Twitter à propos d’un scandale agroalimentaire impliquant l’entreprise thaïlandaise d’élevage de poulets, Thammakaset, a indiqué, le 24/12, jour de la sentence, son avocat, Woraporn Uthairangsee. 

"Je suis choquée, je ne pensais pas que la peine serait aussi sévère", a déclaré la jeune femme à l’issue du jugement. 
Le message incriminé, posté en septembre 2017, accompagnait un "retweet" du militant pour les droits des migrants en Thaïlande, Andy Hall, au sujet d’une plainte déposée en 2016 par un groupe de travailleurs birmans auprès de la Commission nationale thaïlandaise des droits de l'homme sur les conditions de travail à la ferme Thammakaset.

Cette plainte faisait notamment état de journées de travail pouvant aller jusqu’à 20 heures consécutives, des nuits passées à dormir à proximité des poulaillers, des congés rares, la confiscation des passeports et des salaires très inférieurs au minimum légal.

Tirer sur le messager

En janvier dernier, Thammakaset a perdu son ultime recours auprès de la justice thaïlandaise qui a ordonné que l’entreprise verse une compensation aux plaignants, après avoir précédemment rejeté une action en diffamation intentée par cette dernière contre les travailleurs.

"Il n’existe aucun argument juridique significatif provenant de l’entreprise", avait alors déclaré la Cour suprême dans son ordonnance, rejetant l’appel.

Thammakaset, qui a toujours nié les accusations, a néanmoins intenté des poursuites en diffamation contre une vingtaine de journalistes et militants dans le cadre de cette affaire.

Les représentants de Thammakaset n'étaient pas joignables immédiatement pour réagir mardi, selon Reuters.

Ce qui est reproché à Suchanee Cloitre, qui ne se présente pas particulièrement comme une militante, est d’avoir qualifié dans son retweet les conditions de travail "d'esclavage", le tribunal considérant l’usage de ce qualificatif comme un acte diffamatoire.

L'article 326 du Code pénal thaïlandais prévoit pour les cas de diffamation une peine maximale d'un an d'emprisonnement et/ou une amende pouvant aller jusqu'à 20.000 bahts. Cela dit, selon l’article 328, s’il s’agit d’une diffamation "par voie de publication" la peine peut aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et une amende pouvant atteindre 200.000 bahts.

Ecraser les petits sans peine

Cette affaire illustre la grande difficulté d'exercer librement son activité de journaliste dans un pays classé 136ème sur 180 dans le classement 2019 de liberté de la presse par Reporters Sans Frontières, souligne la section Thaïlande de l'Union de la presse francophone (UPF) dans un communiqué diffusé jeudi. 

En 2018, le responsable de Lepetitjournal.com Bangkok avait fait l’objet de poursuites, en vertu de ces mêmes lois de diffamation, engagées par un Français en Thaïlande eu égard à des propos tenus par un député français dans une interview sur les élections législatives françaises.

L’UPF Thaïlande rappelle dans son communiqué que "les coûts d’une défense juridique sont exorbitants, voire purement prohibitifs, notamment pour des freelances ou des blogueurs. Et les journalistes ne peuvent espérer être dédommagés même quand ils démontrent que les accusations dont ils font l’objet sont fallacieuses ou abusives".

Reporters Sans Frontières, qui dénonce régulièrement la sévérité de la loi de diffamation thaïlandaise et l’instrumentalisation qui en est faite pour intimider les journalistes, a également réagi au verdict. 

“Nous appelons les juges de la cour de Lop Buri à retrouver un semblant de crédibilité en abandonnant les charges absurdes qui pèsent contre Suchanee Cloitre, déclare Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, dans un communiqué publié jeudi. Cette condamnation inique est le signe d’une justice qui méprise le libre exercice du journalisme et se range du côté des puissants. Elle semble n’avoir qu’un seul but : intimider l'ensemble de la profession.”

Le journal thaïlandais Prachathai rappelle pour sa part qu’un rapport de l'ONU a soulevé en 2018 des inquiétudes concernant l’instrumentalisation abusive des lois de diffamation pour réduire au silence les défenseurs des droits humains et les médias gênants.

Suchanee Cloitre, qui est mariée à un chef d’entreprise français de Bangkok, s’est dite inquiète pour l’avenir de leur fils de 8 mois, peu après avoir entendu le verdict mardi.

Mais la jeune femme âgée de 30 ans, qui bénéficie du soutien d’associations de journalistes, est bien décidée à se défendre et a déclaré qu'elle ferait appel de la décision. Elle est actuellement en liberté sous caution.

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