Les efforts déployés pour protéger les travailleurs de la mer en Thaïlande contre l'exploitation par le travail et l'esclavage moderne risquent de caler, car la plupart des marques et des distributeurs internationaux refusent de payer plus cher leurs fournisseurs pour se mettre en conformité avec la nouvelle politique anti-esclavage, a déclaré mercredi un collectif humanitaire qui vient de publier une étude sur le sujet.
Les fournisseurs thaïlandais de produits de la mer se démènent avec une hausse des coûts de production inhérente au fait qu'ils cherchent à améliorer les conditions de travail et à se conformer aux nouvelles lois et réglementations anti-esclavage, mais les gros acheteurs ne leur concède pour autant que peu ou pas du tout de soutien financier, révèle une étude réalisée par le groupe Praxis Labs.
"Le fossé entre ce que les acheteurs prétendent vouloir et ce qu'ils sont disposés à payer (...) transparaît nettement", déplore Sarah Mount, du Freedom Fund, une organisation internationale dédiée à la lutte contre l'esclavage moderne qui a cofinancé cette étude qui analyse les politiques et les actions de 28 entreprises.
"Les coûts inhérents à la protection des travailleurs contre l'exploitation et le travail forcé devraient être répartis équitablement sur toute la chaîne de valeur", estime-t-elle.
Au cours des quatre dernières années, après qu’une série d’enquêtes institutionnelles et médiatiques ont mis au jour des abus généralisés accablants ayant amené l'Union européenne à menacer d'interdire les importations en provenance du royaume, la Thaïlande a cherché à assainir son secteur de la pêche, évalué à plusieurs milliards de dollars.
De nouvelles lois contre la traite des êtres humains et le mauvais traitement des travailleurs migrants ont été introduites en vue d’aider le secteur à répondre à la demande de produits de la mer plus éthiques de la part des acheteurs.
Le gouvernement thaïlandais a remanié ces dernières années le cadre juridique régissant la pêche, il a réglementé les agents de recrutement, mis à jour les lois anti-trafic afin d’intégrer le travail forcé et mis en place un dispositif de contrôle plus strict du secteur de la pêche.
Mais le rapport Praxis Labs souligne que cette mise en conformité avec les nouvelles lois et réglementations a entraîné une augmentation des coûts de production, alors que dans le même temps la plupart des acheteurs internationaux refusent d’augmenter leurs prix.
"Les fournisseurs thaïlandais constatent un timide soutien financier à l'audit social mais aucun pour l'amélioration des conditions de travail, et ils ne font état d’aucune augmentation de prix", ont indiqué les chercheurs dans le rapport.
Panisuan Jamnarnwej, président émérite de la Thai Frozen Foods Association, qui représente plus de 100 entreprises de transformation des produits de la mer, explique que la plupart des acheteurs entendent seulement respecter les normes éthiques minimales et sont beaucoup plus soucieux des prix.
"Nous avons soulevé cette question par le passé -que (les acheteurs) nous obligent (à nous conformer à certaines normes)- mais ils ne font rien pour nous soutenir", dit-il.
La Thai Retailers Association, qui compte parmi ses membres d'importants acheteurs internationaux de produits de la mer, et la Seafood Task Force, un groupe d'entreprises et d'organisations caritatives chargé d'auditer les navires de pêche pour faire cesser les violations des droits de l'homme, n'étaient pas disponibles pour donner leur avis sur la question.
Si les acheteurs refusent de payer un peu plus cher, les travailleurs du secteur thaïlandais de la pêche risquent de faire les frais de nouveaux abus malgré l’attention portée par certains à la question, indique le rapport.
"Tant que les coûts associés à l'approvisionnement éthique ne seront pas intégrés au prix du produit, le modèle économique actuel basé sur un volume élevé à bas prix demeure un obstacle intrinsèque à l’avancement des droits l'homme au sein des chaînes d'approvisionnement en produits de la mer", estiment ceux qui ont réalisé l’étude.