Un peu partout dans Bangkok et en province, la grogne anti-gouvernementale thaïlandaise a continué de donner de la voix dimanche, multipliant les sites de manifestation malgré l’absence de leaders après plusieurs dizaines d'arrestations en fin de semaine
"Ils pensent qu'arrêter les leaders nous arrêtera. Cela ne sert à rien. Nous sommes tous des leaders aujourd'hui", a lancé Pla, 24 ans, à plusieurs milliers de manifestants au Monument de la Victoire dimanche à Bangkok.
Dans une vingtaine de provinces de Thaïlande et autant de quartiers de Bangkok, les manifestations désormais quotidiennes ont essaimé et redoublé d’intensité, dimanche, malgré l'arrestation de plusieurs chefs de file du mouvement de protestation la semaine dernière, martelant les appels à la destitution du Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha et à des réformes de la monarchie du roi Maha Vajiralongkorn.
Empruntant par certains aspects au modus operandi des manifestants de Hong Kong tout en ajoutant leur propre touche, ces tout jeunes manifestants ont su contrecarrer les tactiques policières et s’attirer le soutien populaire à leur demande de changement d’une manière inédite depuis des décennies.
"Préparez vos mégaphones, mettez votre équipement de protection, car tout le monde est un leader", a annoncé dimanche le groupe protestataire Free Youth dans un message sur Facebook.
Avant d'être emmené samedi par la police, le jeune militant de 24 ans, Panupong "Mike Rayong" Jadnok, connu pour avoir notamment été l’un des premiers arrêtés en août, avait envoyé le même signal en utilisant le mot-dièse #everybodyisaleader sur Facebook.
Même les lieux de manifestations ont été décidés par des votes sur des groupes de discussion sur les réseaux sociaux. Et la multiplication des annonces de sites possibles de manifestation déroute la police : au moment où les forces de l’ordre se présentent, des milliers de personnes se sont déjà rassemblées.
Sur la place du Monument de la Victoire, à Bangkok, la foule assise s’est à plusieurs reprises levée et écartée comme un seul homme pour laisser le passage à des ambulances rejoignant les hôpitaux du quartier, dont Rajavithi et Ramatibodi.
Le porte-parole de la police Kissana Phathanacharoen a qualifié la situation de "très dynamique", ajoutant: "Ce que nous pouvons dire maintenant, c'est avertir les gens qu'ils doivent respecter la loi."
L’absence sur place des leaders habituels a suscité quelques moments d’hésitation dans les tours de parole, les gens censés prendre le micro n’étant pas toujours certains de savoir qui devait parler. Les manifestations en Thaïlande impliquent généralement une série d'orateurs qui se suivent pour tenir la foule en haleine.
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Suthida Buakhom, étudiante de 20 ans surnommée "Smile", est intervenue sur un rassemblement - elle avait amené son propre microphone pensant que cela pourrait être utile après l'arrestation de dizaines de militants. "Je sais que les gens ne peuvent pas rester longtemps au même endroit sans avoir quelque chose sur quoi se focaliser", a-t-elle confié à Reuters. "J'essaie d'encourager tout le monde à se lever pour parler."
Modèle de Hong Kong
Les manifestants thaïlandais ont rapidement adopté la tactique "Be Water" des manifestants de Hong Kong -privilégiant l’agilité, la mobilité, l’adaptation par opposition à la stratégie traditionnelle d’occupation prolongée d'une ou plusieurs zones données-, et ils ont aussi obtenu le soutien moral des militants là-bas qui voient une lutte comparable avec un système autoritaire.
"Soyez gentil avec vos camarades, ayez foi en la sagesse collective, soyez fluide dans les stratégies, soyez déterminés dans les actions", a tweeté dimanche l'activiste Hongkongais Nathan Law en soutien aux manifestants thaïlandais. "Ne perdez jamais espoir, soyez prudents."
Une douzaine de militants, qui se rencontraient pour la première fois dimanche au carrefour d’Asoke à Bangkok, ont fait le point ensemble après que la foule, qui comptait plusieurs milliers de personnes, se soit dispersée dans le calme – ils ont convenu d'échanger via un nouveau groupe de discussion pour rester en contact et préparer de futures manifestations.
"Je suis venue aujourd'hui pour aider à l'organisation mais quand je suis arrivée, il n'y avait pas encore de leader naturel, alors j'ai simplement commencé à parler", a déclaré Omyim, ne donnant que son surnom.
Parmi ceux qui se sont portés volontaires, PK, 30 ans, était le plus âgé. Il a contribué à assurer la sécurité car tout le monde craignait que les forces de l’ordre utilisent à nouveau des canons à eau et des matraques comme elles l'avaient fait lors de la manifestation de vendredi.
"Nous devons protéger les manifestants, en particulier les plus jeunes", a-t-il dit. Lui et d'autres manifestants avaient formé une barrière humaine en s’entrecroisant les bras pour séparer le site de manifestation du trafic routier et faire en sorte que les gens aient suffisamment d'espace pour se déplacer.
Les militants ont établi des signaux de la main pour indiquer «Danger», «Sûr», «Quelqu'un a été arrêté», «Ne peut pas entendre», «Besoin d'eau» et d’autres encore.
Au fur et à mesure que la rumeur montait sur une possible intervention de la police, des chaînes humaines se sont mises en action pour faire passer vers l'intérieur du rassemblement des équipements de protection: casques, lunettes et parapluies.
Et malgré ces préoccupations en matière de sécurité, les réseaux sociaux bouillonnaient d’informations, indiquant où les manifestants pouvaient trouver des toilettes, où ils pouvaient retrouver des amis perdus, des biens oubliés ou encore s'ils avaient besoin d'un lit pour la nuit.
Une leader étudiante qui s’était faite connaître lors de précédentes manifestations a déclaré qu'elle se mettait en retrait de la scène, ayant jusqu'ici évité d’être arrêtée.
"Désormais, je ne suis qu'une personne parmi tant d’autres qui veulent voir le changement ", a déclaré Chonthicha 'Lookkate' Jangrew, 27 ans.