La police thaïlandaise a usé vendredi soir de canons à eau sur des manifestants anti-gouvernementaux rassemblés dans le centre de Bangkok malgré le décret d'urgence et armés de parapluie comme à Hong Kong.
Les manifestants, qui défiaient pour la deuxième fois vendredi l'interdiction imposée la veille de se rassembler, ont tenté de résister face aux policiers casqués qui avançaient vers eux armés de matraques et de boucliers anti-émeute.
Face aux canons à haute pression qui projetaient sur eux une eau mélangée à un liquide irritant, les manifestants ont brandi de fragiles parapluies, une scène qui rappelait les manifestations à Hong Kong.
"Ce gouvernement dictatorial utilise la violence pour disperser le mouvement du peuple", a déclaré Tattep Ruangprapaikitseree, l'un des leaders de la contestation, avant d’être arrêté quelques heures plus tard, avec six autres manifestants, selon la police.
Le roi n'a fait aucun commentaire directement sur les manifestations, mais la télévision publique a diffusé des images de lui déclarant que la Thaïlande "avait besoin de gens qui aiment le pays et aiment la monarchie".
Jusque-là, les forces de l’ordre n'avaient pas utilisé la force face à ces manifestations pacifiques qui ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes, même si la police a arrêté une cinquantaine de manifestants - dont plusieurs leaders – au cours de la semaine passée.
Un jeune journaliste du journal en ligne Prachatai a été arrêté alors qu’il diffusait en direct sur Facebook Live, a indiqué le média indépendant.
Le gouvernement a interdit jeudi les rassemblements politiques de plus de cinq personnes.
Le porte-parole de la police, Kissana Phathanacharoen, a estimé que l'utilisation de canons à eau était justifiée et il a assuré que les produits chimiques mélangés à l'eau ne présentaient pas de danger.
"La police a respecté les normes internationales pour disperser la manifestation", a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse.
Les organisateurs ont demandé aux manifestants de se disperser plus de trois heures après leur rassemblement.
"Je n'ai pas peur pour moi. Je crains davantage pour l'avenir du pays", a déclaré Poom, une manifestante de 31 ans, qui n'a pas voulu donner son nom complet.
Des rassemblements ont été signalés en province. Une manifestation a éclaté sur un campus universitaire à l'extérieur de Bangkok et la police a eu à faire avec un autre groupe de personnes sur une rue de la ville.
"Je ne démissionne pas"
Prayuth Chan-O-Cha a pris le pouvoir pour la première fois en tant que chef de l'armée lors d'un coup d'État en 2014. Ses détracteurs estiment que la junte, qui a repoussé maintes fois pendant quatre ans les élections promises après le putsch, a soigneusement préparé le scrutin, qui a eu lieu l'année dernière, de manière à maintenir Prayuth et son camp à la tête du royaume sous un vernis démocratique. Les élections de 2019 ont été marquées par la controverse, mais Prayuth Chan-O-Cha considère néanmoins qu’elles ont été justes.
Les manifestants veulent aujourd'hui la démission de ce dernier qu’ils considèrent toujours comme un dictateur et demandent également une nouvelle Constitution, pour remplacer celle rédigée sous le régime militaire.
"Je ne démissionnerai pas", a déclaré Prayuth Chan-O-Cha aux journalistes après une réunion de cabinet d'urgence, ajoutant que les mesures d'urgence imposées jeudi resteraient en vigueur pendant 30 jours.
Des appels se sont également multipliés au sein des manifestants pour des réformes concernant la monarchie, certains lui reprochant de laisser l'influence militaire s’enraciner dans la politique.
Pretexte
Les autorités thaïlandaises justifient l’imposition des mesures d’urgence par un seul incident survenu dans des circonstances curieuses lorsque le convoi transportant la reine Suthida s’est mystérieusement retrouvé au beau milieu du site de manifestation devant la Maison du gouvernement, à la grande surprise de la foule de protestataires.
Les raisons pour lesquelles le parcours officiel d’une personnalité aussi importante a pu être dérouté sans préavis sur un site de manifestation planifié depuis plusieurs jours n’ont pas été données.
Toujours est-il que le fait que le convoi ait été ralenti et que, selon les autorités, des manifestants l'auraient hué, permet aujourd’hui au gouvernement d’accuser le mouvement de contestation de menacer la sécurité nationale.
La police a déclaré vendredi que deux hommes seraient inculpés de tentative de violence contre la reine, une accusation passible de la prison à vie - voire d'une condamnation à mort si sa vie a été menacée.
Le bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme s'est déclaré préoccupé par la situation en Thaïlande, en particulier par les accusations graves contre des personnes exerçant pacifiquement leurs droits.
Les partis de l'opposition ont condamné les mesures d'urgence et "l'action excessive du gouvernement pour disperser la manifestation". Lire aussi sur le Bangkok Post Demonstrators were 'unaware' of approaching royal motorcade.
"L'usage de la force pour réprimer la manifestation alimente le feu de la haine et accroît la perte de foi", ont déclaré six partis politiques thaïlandais dans un communiqué.