Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

Des milliers de Thaïlandais défient le décret d’urgence

manifestation-Ratchaprasong-bangkokmanifestation-Ratchaprasong-bangkok
REUTERS / Soe Zeya Tun - Les manifestants ont défié l'interdiction de rassemblement jeudi soir et ont promis de recommencer vendredi et les jours suivants

Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont de nouveau manifesté jeudi soir dans le centre de Bangkok défiant en masse un décret d’urgence imposé le matin interdisant tout rassemblement.

Alors que les autorités thaïlandaises avaient imposé dans la nuit un décret d’urgence interdisant les rassemblements et fait disperser au petit matin des manifestants décidés à rester trois jours devant la Maison du gouvernement, le mouvement anti-gouvernemental s’est remobilisé spontanément jeudi en fin de journée, au carrefour Ratchaprasong, le quartier des centres commerciaux. Un lieu hautement symbolique puisque c’est là que les manifestants anti-establishment "chemises rouges" ont été réprimées dans le sang il y a dix ans par les militaires, sous la supervision d’un certain Prayuth Chan-O-Cha, aujourd’hui Premier ministre.

Les Thaïlandais sont de plus en plus nombreux à faire entendre leurs revendications vis-à-vis du roi Maha Vajiralongkorn et du Premier ministre et ancien chef de la junte, Prayuth Chan-O-Cha. Et si lors des manifestations des chemises rouges en 2009 et 2010, les manifestants employaient des termes génériques comme "aristocratie" ou "oligarchie" pour dénoncer les injustices dont le peuple souffrait, en 2020, les protestataires ne machent plus leurs mots. La rue semble bien décidée à défier cet establishment noyauté par l’armée et le palais comme jamais cela n’a été fait depuis des décennies.

"Comme des chiens acculés, nous nous battrons jusqu'à notre mort", a déclaré à la foule Panupong Jadnok, alias "Mike Rayong", l'un des leaders du mouvement de protestation. "Nous ne reculerons pas. Nous ne nous enfuirons pas. Nous ne bougerons pas."

Les manifestants, jeudi soir, ont ignoré les appels de la police leur intimant de se disperser et se sont déployés depuis le carrefour Ratchaprasong dans les rues et allées tout autour, leurs téléphones portables scintillant dans la nuit. 

"Tous les manifestants seront poursuivis", a déclaré le chef adjoint de la police de Bangkok, Piya Tawichai, lors d'une conférence de presse. "Je voudrais mettre en garde les enfants et les jeunes: participer à ces manifestations pourrait avoir des conséquences pour vous à l'avenir".

La police a estimé le nombre de manifestants à 10.000.

La foule a appelé à la libération de la quarantaine de militants arrêtés cette semaine. Certains manifestants ont également lancé des insultes à l’encontre du roi – un comportement impensable en public avant ces derniers mois.

Clôturant la manifestation vers 22h, Jutatip Sirikhan, une leader étudiante, a appelé les gens à revenir à 17 heures vendredi et à faire de même les jours suivants.

Prétexte parfait

Les manifestations anti-gouvernementales depuis juillet se sont déroulées de manière pacifique, mais un curieux incident survenu mercredi lorsque la voiture de la reine Suthida s’est retrouvée de façon inexpliquée sur l’avenue Pitsanulok au beau milieu des manifestants rassemblés devant la Maison du gouvernement, a donné le prétexte nécessaire aux autorités pour prendre des mesures d’urgence.

Le gouvernement a accusé les manifestants d’avoir bloqué le convoi royal et insulté la monarchie, et le Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha a demandé à la police de poursuivre les militants après avoir qualifié la manifestation de mercredi de "rassemblement violent cherchant à saboter l'administration" et l'ordre public, selon le porte-parole du gouvernement Anucha Burapachaisri.

Le cortège transportant la reine et le prince Dipangkorn, fils du roi, était pourtant censé passer par l’avenue Ratchadamnoen tout proche et sécurisée. Mais la voiture s’est finalement retrouvée sur une avenue Pitsanulok bondée, prenant les manifestants par surprise, selon le journal Khaosod English. Le journal en langue anglaise souligne qu’aucune annonce officielle n'avait été faite concernant cet itinéraire, différent de celui annoncé précédemment.

Jeudi, trois officiers en charge du convoi ont été transférés à des postes inactifs le temps d’une enquête. Interrogé sur les raisons de ce détour impromptu et particulièrement risqué du convoi royal, le porte-parole de la police, le général Yingyot Thepchamnong, a refusé de répondre, rapporte Khaosod English.

Quelques heures après l’incident, à 4 heures du matin, jeudi, le gouvernement interdisait les rassemblements politiques de cinq personnes ou plus ainsi que la publication en ligne d'informations susceptibles de menacer la sécurité nationale, et la police anti-émeute a dispersait un camp de protestation devant le bureau de Prayuth Chan-O-Cha.

"Ces mesures sont nécessaires pour assurer la paix et l'ordre", a déclaré Anucha Burapachaisri dans un communiqué.

Le porte-parole du gouvernement a rejeté les accusations de certains opposants selon lesquelles l'incident du cortège est une belle excuse pour prendre des mesures sévères qu’il eut été difficile à imposer dans d’autres circonstances.

Poursuivis pour avoir blessé la reine

Les médias thaïlandais ont rapporté que des mandats d'arrêt avaient été émis contre deux personnes pour avoir blessé la reine - ce qui peut entraîner une peine d'emprisonnement à perpétuité, tandis que la peine maximale pour insulter le monarque est de 15 ans de prison en vertu des lois de lèse-majesté.

La police a déclaré avoir arrêté pendant la nuit les leaders Parit "Penguin" Chiwarak et Arnon Nampa. Une autre dirigeante, Panusaya "Rung" Sithijirawattanakul, a été emmenée en fauteuil roulant.

L'avocat des droits de l'homme Arnon Nampa a fait savoir sur Facebook qu'il avait été emmené à Chiang Mai, où il fait l’objet d’accusations de sédition pour un discours donné en août. Les deux autres sont eux aussi sous le coup d’accusations de sédition pour des commentaires lors de précédentes manifestations, a déclaré leur avocat. Tous rejettent les charges portées contre eux.

Dans une note manuscrite décorée d’un arc-en-ciel, Panusaya Sithijirawattanakul appelle les manifestants à poursuivre la lutte.

"Vous verrez peut-être tous des dirigeants disparaître un par un, mais nous sommes toujours avec vous", a écrit la jeune femme de 22 ans.

Les manifestants estiment que la Constitution rédigée en 2017 par un comité nommé par la junte de l'époque a été conçue pour permettre à Prayuth Chan-O-Cha, meneur du coup d'Etat de 2014, de garder le pouvoir après les élections controversées de l'année dernière. Ils exigent donc la démission de ce dernier et la rédaction d'une nouvelle charte. Ils veulent également réduire les pouvoirs récemment accrus du roi et demandent à ce que la monarchie soit encadrée par la Constitution.

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions