Arnaud Dubus, journaliste spécialiste de la Thaïlande, présentera lundi 19 février son nouvel ouvrage "Buddhism and Politics in Thaïlande", dans les locaux de l’Alliance Française de Bangkok.
La présentation se fera au gré d’une discussion avec Pravit Rojanaphruk, journaliste thaïlandais à Khaosod English, avec la participation de Claire Tran, directrice d’Irasec. L’événement est ouvert à tous gratuitement.
Le dernier ouvrage d’Arnaud Dubus s’intéresse à la nature des relations politico-religieuses en Thaïlande, et notamment à leurs évolutions depuis le milieu du XXème siècle.
L’auteur, journaliste pour Radio France Internationale, Libération, Le Temps et TV5, propose une analyse empirique et concise des enjeux que représentent le religieux bouddhiste dans la politique thaïlandaise, en insérant, au long de sa réflexion, les retranscriptions de ses entretiens effectués avec des moines et des experts.
"C’est un livre qui focalise sur les relations entre bouddhisme et politique sur les trente dernières années en Thaïlande. Comme beaucoup de chercheurs avant moi, j’ai trouvé intéressant de me pencher sur cette problématique, sur le combat entre pro-Thaksin et anti-Thaksin. Cela m’a amené à examiner l’histoire, les scandales et phénomènes, non purement religieux", affirme Arnaud Dubus.
Spécialiste de politique, affaires militaires, religion et culture, le journaliste français a déjà publié plusieurs livres sur l’Asie du Sud-est, dont "Armée du Peuple, armée du Roi. Les militaires indonésiens et thaïlandais face à la société", en 2002.
La connaissance précise et rigoureuse d’Arnaud Dubus, installé en Thaïlande depuis près de trente ans, permet de saisir la complexité et les enjeux que représente le sujet.
Selon la voix sacrée du Bouddha, la communauté monastique se doit de rester à l’écart du domaine politique et adopter un regard neutre, impartial, sur les questions d’ordre gouvernemental.
L'auteur explique, qu’en réalité, malgré les idées préconçues que Bouddhisme et Politique sont, ou alors devraient être, indépendants, la religion bouddhiste a toujours été intrinsèquement liée à la politique. "Le bouddhisme est un outil dans les mains de l’Etat siamois depuis la fin du 19ème siècle, c’est une véritable institution qui sert à légitimer le pouvoir, donc en tant qu’institution le bouddhisme joue un rôle politique dans la société", explique-t-il.
L’ouvrage montre que cette tendance s’est notamment confirmée après l’abolition de la monarchie absolue en 1932, lorsque les élites, voulant accéder au pouvoir, ont utilisé la religion comme élément de légitimation. Ainsi, selon l’auteur, le Bouddhisme, progressivement assujetti au pouvoir, s’est nationalisé, hiérarchisé, fragmenté pour en devenir aujourd’hui considérablement affaibli.
Les tensions politico-religieuses se sont notamment exacerbées au cours des troubles dans les années 70, lorsque la Thaïlande, alliée des Etats-Unis, tentait d’enrôler la communauté bouddhiste dans leur combat anticommuniste.
De plus, l’émergence d’une division politique grandissante dans le pays a fortement fragilisé la communauté monastique, avec l’apparition d’un activisme accru de certains moines.
"Il y a une seconde dimension, celle des moines, temples et groupes religieux qui s’engagent eux-mêmes en politique", souligne Arnaud Dubus. "Cette dimension a resurgit depuis 2005, à la faveur de la scission entre Chemises jaunes perçues comme soutenant les élites traditionnelles et Chemises rouges soutenant le clan émergent des Shinawatra. La communauté monastique souffre aujourd’hui de son alliance avec la société élitiste, qui a rompu les liens avec sa communauté locale", ajoute-t-il.
Récemment, le scandale du temple controversé Dhammakaya et son impact sur le choix du nouveau leader monastique a davantage divisé le dogme bouddhiste. De surcroit, le pays fait actuellement face à une situation politique délicate, avec la fin des soixante-dix ans de règne du très adulé dernier roi, Bhumibol Adulyadej, ou Rama IX, et avec l’émergence de nouvelles agitations politiques qui menacent la stabilité du royaume.
"Le pays est actuellement dans une phase de transition, on est dans une période d’incertitudes. Cela me paraissait intéressant de voir si le bouddhisme pouvait jouer rôle de facteur unificateur. Mais en réalité, la crise morale et politique a affaibli la religion, qui se trouve en position d’assiégée. Cette institution archaïque, très hiérarchisée, ne peut se réformer elle-même car elle manque de dynamisme", explique l’auteur.
Arnaud Dubus montre finalement à quel point l’implication de l’ordre du sangha en politique a finalement contribué au déclin de sa force première, qu’est le rassemblement et l’unité du peuple en tant que pilier national : "Le bouddhisme aura à l’avenir besoin de prendre une certaine distance avec l’Etat pour se recentrer sur les attentes des petites communautés locales, explique-t-il.
"Mais en Thaïlande tout cela est extrêmement enraciné, cela prendrait des années, il faut amorcer doucement les choses", conclut l’auteur.
La présentation du livre "Buddhism and Politics in Thaïland" aura lieu lundi 19 février à la médiathèque de l’Alliance Française de Bangkok à 18h30.
Livres publiés par Arnaud Dubus:
Buddhism and Politics in Thailand, par Arnaud Dubus. Irasec, Bangkok, janvier 2018, 92 p.
Thaïlande, par Arnaud Dubus. Editions du Chêne, 2012, 272 pages
Policies of the Thai State Towards the Malay Muslim South (1978-2010), par Arnaud Dubus et Sor Rattanamanee Polkla. Irasec, Bangkok, juin 2011, 112 p.
Thaïlande : histoire, société, culture, par Arnaud Dubus. Paris : La découverte, 2011. 223 pages.
Cambodge, La longue marche des chrétiens khmers par Arnaud Dubus. CLD, 149 pages
Armée du Peuple, armée du Roi. Les militaires indonésiens et thaïlandais face à la société, par Arnaud Dubus et Nicolas Revise. L'Harmattan-Irasec, Paris-Bangkok, 2002, XX-256 p.