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Le cinéaste thaïlandais Apichatpong transpose ses fantômes en Colombie

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ROMEO GACAD / AFP - Apichatpong Weerasethakul à Nakhon Pathom, dans la banlieue de Bangkok, où il a reçu le 19 novembre le prix FIAF 2018
Écrit par Agence France Presse
Publié le 22 novembre 2018, mis à jour le 3 avril 2020

Le réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, Palme d'Or à Cannes en 2010, transpose ses fantômes en Colombie avec un premier film tourné hors de Thaïlande en 2019, dans lequel jouent les actrices écossaise Tilda Swinton et française Jeanne Balibar.

"J'avais besoin d'une pause" avec la Thaïlande et sa "dictature" militaire en place depuis un coup d'État en 2014, de "partir à la rencontre d'une autre culture", explique-t-il dans un entretien à l'AFP.

"J'étais fasciné par l'Amazone. Mais une fois sur place, ce sont les gens, leurs souvenirs qui m'ont attiré", raconte celui qui vient de passer cinq mois à explorer la Colombie en repérage pour son film, "Memoria".

Celui-ci se situera dans les années 1970-1980, marquées par la lutte entre la guérilla marxiste des Farc et les groupes paramilitaires d'extrême droite. "Mais ce ne sera pas un film politique, plutôt le regard d'un étranger" transposant en Amérique latine ses propres fantômes, dit le réalisateur.

Figure clef du cinéma d'art et d'essai contemporain, Apichatpong, 48 ans, explorait jusqu'ici le rapport aux esprits dans la société thaïlandaise. Dans "Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures", sacré en 2010 à Cannes, il racontait l'histoire d'un homme dialoguant avec sa femme morte et son fils disparu.

- L'hôpital "terrain de jeu" -

Tilda Swinton, avec laquelle Apichatpong est ami depuis des années, jouera dans Memoria le rôle d'une "aventurière" installée en Colombie, "scientifique ou horticultrice d'orchidées", qui se retrouve "prise d'hallucinations auditives".

"Elle essaye de trouver la source des sons qu'elle est la seule à entendre", raconte Apichatpong, dont la filmographie est marquée par son obsession des bruits, de la jungle aux hôpitaux.

Ce fils de médecins a grandi dans un logement de fonction de l'hôpital de Khon Kaen, petite ville du nord-est de la Thaïlande. "L'hôpital était mon terrain de jeu (...) Nous étions entourés par la maladie, la mort, la naissance (...) Cela a eu une grande influence sur moi, sur ma façon de représenter le temps" dans mes films.

Pour tromper l'ennui, enfant, il dévore livres et BD de science-fiction, va voir les films de fantômes thaïs qui passent au cinéma local. Puis étudie l'architecture avant de s'envoler pour Chicago à 24 ans pour se former au cinéma. Il y découvre le cinéma expérimental américain et Andy Warhol, les réalisateurs iraniens et taïwanais...

En Colombie, pays où les histoires de fantômes sont aussi légion, ses pas l'ont naturellement porté à visiter deux hôpitaux psychiatriques, pour se documenter sur les hallucinations liées aux drogues.

- "Trop risqué" en Thaïlande -

Jeanne Balibar, rencontrée à Cannes en 2008 quand ils étaient tous deux membres du jury, jouera quant à elle le rôle d'une archéologue. Une distribution et une équipe de tournage internationale qui sont une nouveauté pour Apichatpong.

Pourquoi pas tourner en Thaïlande? "J'ai essayé", explique celui qui a commencé par imaginer y réaliser "Memoria", un projet qu'il porte depuis des années avec Tilda Swinson. "Je ne lui ai pas dit, mais j'ai commencé par écrire un scénario pour elle ici. Mais c'était bizarre. Je connais trop bien cet endroit... En Colombie, nous serons deux étrangers".

À cela s'ajoutent des raisons très pragmatiques: le soutien financier du gouvernement colombien, soucieux d'attirer les tournages internationaux, et surtout la crainte de voir son tournage interrompu en Thaïlande. Il était "trop risqué de tourner un long-métrage impliquant de nombreux partenaires internationaux" avec des généraux imprévisibles au pouvoir, tranche le réalisateur.

"Ceux qui font des films en Thaïlande en ce moment ne peuvent pas parler de politique. Et moi je veux parler de politique, de notre réalité, de nos vies", souligne celui dont le long-métrage "Ten Years in Thailand" sort en décembre dans son pays, si ce film très critique sur la junte passe la censure. Il s'agit d'une oeuvre commune avec trois autres réalisateurs thaïlandais, présentée à Cannes cette année.

Le tournage de "Memoria" en Colombie ne signifie cependant pas un abandon de la Thaïlande pour celui qui vit à Chiang Mai, dans le nord du royaume et rêve de "trouver des fonds pour former une nouvelle génération de réalisateurs".

"Mes fantômes sont ici", a-t-il dit en recevant lundi le Prix de la Fédération internationale des archives de film (FIAF), près de Bangkok.

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